CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « Litigante » – lente valse

© Ad Vitam

SEMAINE DE LA CRITIQUE – Litigante, dernier film du réalisateur colombien Franco Lolli après Gente de bien, présenté aussi à la semaine de la critique en 2014, faisait l’ouverture de la sélection à Cannes cette année.

Litigante raconte l’histoire de Silvia (Carolina Salin) avocate et mère célibataire à Bogota. Mise en cause dans un scandale de corruption dans laquelle l’entité des services publiques pour laquelle elle travaille est mise en cause, elle fait face plus de ses difficultés professionnelles à des angoisses beaucoup plus intimes et profondes. Alors qu’elle doit être confrontée à l’inévitable disparition de sa mère gravement malade, Silvia se lance dans une histoire d’amour, la seule qu’elle se permet depuis des années.

Douloureuse attente

Litigante signifie “plaideur” en espagnol et Silvia avocate pour le compte des autres doit aussi l’être pour elle-même. Sans cesse elle doit s’expliquer, aux yeux de sa mère, de son fils ou de son amant. Au moment où le spectateur fait sa connaissance, elle n’est autre qu’une femme en cage, immobilisée. Le réalisateur nous présente le personnage de Silvia en plein entre-deux. Malgré la volonté de ses filles à garder espoir, sa mère est condamnée et elle ne veut plus se battre. Silvia valse avec le quotidien partagé avec sa mère (les deux femmes vivent ensemble depuis l’aggravation de la maladie) et l’idée que le quotidien du lendemain pourrait en être vide. Sa carrière professionnelle est menacée et après le scandale, elle s’inquiète pour son prochain emploi. Son fils atteint l’âge où l’absence de son père et de réponses commencent à devenir un problème et alors qu’elle avait décidé de laisser le père loin de sa paternité, elle réfléchit à un retour en arrière pour son fils, Antonio. Toutes ses certitudes valsent et Silvia ne peut plus trouver le temps de savoir dans quelle direction aller. Elle ne parvient plus à ce choisir. Le personnage entre dès l’ouverture du film sur l’annonce de l’étendu du cancer irrévocable de sa mère, dans une lente et douloureuse attente. Attendre pour se décider, attendre pour enfin revivre.

©allociné

La place de l’autre

Carolina Salin, incarne avec de la douceur et de la ferveur résignée le personnage de Silvia. Le désordre intérieur du personnage est retranscrit avec justesse par l’actrice, dont le calme apparent laisse entrevoir la fragilité qu’il faut cacher à tout prix pour tenir le coup. Dans son monde incertain, il n’y a de la place pour personne et Silvia vit solitairement, en colocation avec son meilleur ami depuis la naissance de son fils. La rencontre amoureuse qu’elle fait avec un journaliste (qu’elle rencontre premièrement lors d’une interview incriminante dans la première partie du film) vient déstabiliser son fragile univers. L’amant représente une bulle de calme et de douceur, qui ne coïncide pas avec l’univers familial tendu et clos dans lequel elle vit. D’abord contre l’idée de cette rencontre Silvia s’y lance avec plein élan. Le quotidien est plus facile à vivre à deux. Alors qu’elle s’était éloignée de son fils, comme on s’éloigne sans le comprendre et sans le voir des personnes que l’on aime le plus, elle retrouve de la tendresse et du temps pour lui. Mais le couple aura besoin que l’une des incertitudes se résolve pour finalement se trouver et se retrouver. La mort de Leticia, qui s’éteint après un ordinaire au revoir, débloque pour Silvia la possibilité de se laisser aimer.

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Mère et fille

Silvia et Leticia, ont une relation compliquée. Elles se piquent, se reprochent les pires atrocités et se provoquent sans cesse. Les dialogues et les regards entre les deux femmes rappellent beaucoup de relation parent-enfant où il est aussi facile de s’aimer que de se détester, et de l’un à l’autre, la frontière est bien mince. L’amour déchirant qu’elle se porte donne lieu à des dialogues très drôles où les deux femmes, aussi têtues l’une que l’autre ne lâchent jamais le morceau. L’interprétation de Leticia Gomez, qui joue la mère de Silvia est touchante les regards désaprobateurs et les mimiques contrariées qu’elle affiche renforcent la drôlerie d’un personnage qui n’en peut plus de lutter.


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