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SÉLECTION OFFICIELLE – UN CERTAIN REGARD – Deux ans après la présentation en Séance Spéciale au Festival de Cannes de La Mort de Louis XIV, Albert Serra fait son retour cette année avec Liberté, un film d’époque impertinent.
Le Duc de Wand, le Duc de Tesis et Madame de Dumeval, font face à la répression du libertinage en France à l’aube du règne de Louis XVI. Une philosophie hors-champ issue des Lumières qui revendiquent une émancipation et un rejet des autorités morales conventionnelles. Cherchant de nouveaux lieux pour s’adonner aux plaisirs de la chair, ils s’en remettent au Duc de Walchen, éminent penseur allemand, revendiquant une liberté audacieuse. Cette nuit marque l’enchevêtrement de ces protagonistes, et nouvelles venues novices, se laissent peu à peu guider dans ce labyrinthe tortueux, où le désir est maitre de toutes les passions.
Poussé par une urgence contemplative, le film s’allonge, s’étend sous nos yeux ébahis. Liberté reprend ces codes déjà exploités dans L’Inconnu du Lac d’ Alain Guiraudie en 2013 (alors déjà présenté au sein d’Un Certain Regard) ; se retrouver en forêt, se chercher, vivre d’exhibitionnisme, de luxure et de chair (plus ou moins) fraiche. Ici tout est transposé dans un film d’époque à la fois gracile et pêle-mêle. On se touche, se caresse, s’attache, s’ébat, dans des chaises à porteurs capitonnées, ou à même le sol au pied d’une souche détrempée. Les regards se croisent, Serra dessine une chorégraphie trash qui ne se refuse rien dans ses représentations, à l’image de cette philosophie affranchie annonciatrice d’une Révolution toute proche : tout est montrable, rien n’est vulgaire. Les tissus putréfiés, les mots crus, les sexes imparfaits et chétifs, les fantasmes les plus impénétrables, les violences jouissives, l’impétuosité indécente. Liberté est le récit d’une nuit, une nuit dans une foret isolée où le temps semble s’arrêter un instant, laissant uniquement place au plaisir et à l’attente fugitive de la mort. L’image est sombre, imperceptible, et elle constitue le propos déterminant du film, les dialogues et tirades n’ayant une place propre qu’aux extrémités de ce long-métrage. Serra magnifie la nuit, la laissant dans son plus simple habit, l’agrémentant seulement parfois d’une lumière perçante, et dessine les silhouettes chaotiques de ce monde sauvage, où la vie reprend son cours. Des moments élancés ne laissent entendre que le bruit des grillons, et des cris désirables transcendent ainsi l’axe édifiant de ce film, qui indique également une légèreté appréciable. Ce dernier long-métrage démunit le film d’époque de ses artifices abjects et de ses détours politiques, et pose une nouvelle fois Serra en maitre impassible de son sujet, aussi bien sur le fond que sur la forme.