© Les Films du Losange
SÉLECTION OFFICIELLE – UN CERTAIN REGARD – Après un premier volet sous forme de comédie musicale électro-médiévale, Bruno Dumont revient à Cannes pour mettre un point final à son éblouissante fresque historique consacrée à Jeanne d’Arc.
Dès les premières images on se réjouit du parti pris de casting de Bruno Dumont, qui choisit d’emmener la jeune et talentueuse Lise Leplat Prudhomme, jusqu’au bout de son histoire, faisant de Jeanne d’Arc une enfant en armure. Pas de chants et de headbang dans les dunes cette fois, Jeanne doit mener « la bataille humaine » qu’elle nous avait prophétisé, et sa tâche s’annonce ardue. Abandonnée par ses voix et par les soldats, qui discréditent sa parole, Jeanne se lance alors seule dans un combat que le.a spectateur.trice sait perdu d’avance.
On se demandait comment Bruno Dumont allait bien pouvoir filmer la fin de Jeanne d’Arc sans trahir sa jeune héroïne et l’univers dont il avait amorcé la création, avec ce second volet le réalisateur ne flanche pas, portant haut la colère de Jeanne comme il avait déjà su si bien le faire pour d’autres de ses héroïnes féminines dont l’histoire a discrédité la parole, la sculptrice Camille Claudel, ou encore la mystique Hadewijch d’Anvers.
Bruno Dumont fait le choix de ne jamais montrer cette « bataille humaine » dans laquelle Jeanne est précipitée, en lieu et place de la guerre il film un ballet équestre chorégraphique, saisi du ciel où l’on voit les soldats tournoyer sur leurs destrier dans un mouvement infini qui semble déjà échapper au contrôle de Jeanne. Le vrai champ de bataille c’est en effet celui de la parole et du procès d’hérésie, bien inégal, que le réalisateur met en scène de manière magistrale. Il y peint les accusateurs de Jeanne avec un ridicule comique qui contraste avec le pouvoir tout puissant de cette parole ecclésiastique masculine, aveugle et sclérosée. Face à ces hommes qui se revendiquent de la parole de Dieu, Jeanne laisse exploser toute sa colère, se refusant à répondre des accusations qui lui sont faites. Lise Leplat Prudhomme est époustouflante dans ces scènes de passes d’armes verbales où elle toise d’un air revêche ses accusateurs, le corps et la voix entièrement dévoués à la résistance de Jeanne.
Christophe s’invite ici pour une bande son vaporeuse qui électrise les mots de Charles Péguy, et nous offre, au passage, un des moments les plus tendres et loufoques du film. Alors que Jeanne refuse obstinément d’avouer ses fautes sous la menace de la torture, le collège des hommes d’église, ridiculement impuissant face à cette enfant en colère, requiert qu’elle soit brûlée. Frère Guillaume Evrard jusqu’ici encapuchonné révèle alors son visage, celui du chanteur, lui même, qui chante la condamnation de Jeanne, tout en douceur et en autotune, sous le regard ébahi de ses confrères
Avec Jeanne, Bruno Dumont achève son pari fou, celui de redonner la parole à Jeanne d’Arc et de l’arracher à cette image canonique réductrice du corps hérétique sacrifié au bûcher. On pense à La Passion de Jeanne d’Arc (1928) de Carl Theodor Dreyer, et à ses gros plans glaçants du visage de Renée Falconetti, dévoré par la souffrance et la peur. Bruno Dumont lui se refuse à filmer l’agonie de sa jeune héroïne, expédiant le bûcher en un dernier plan bref et plein de pudeur, où le corps de Jeanne est filmé de très loin, gardant la puissance du gros plan pour soutenir le regard impassible d’une Jeanne enfant à la droiture bouleversante.