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SÉLECTION OFFICIELLE – COMPÉTITION – Marco Bellochio, connu pour s’attaquer aux grandes institutions, s’empare cette fois-ci de la Cosa Nostra et peint majestueusement le portrait d’une pieuvre amputée.
Le récit est inspiré de l’histoire réelle du mafieux repenti Tommaso Buscetta (Pierfrancesco Favino) et de ses aveux faits au juge Falcone (Faust Russo Alesi). Buscetta, simple soldat, homme honorable ayant juré fidélité à la Cosa Nostra depuis l’enfance, sent que cette dernière n’est plus maîtrisée depuis que la drogue, notamment l’héroïne, s’est infiltrée dans son business. On ne peut que se rappeler l’oeuvre de Francis Ford Coppola : Le Parrain, dans laquelle Don Corleone refuse catégoriquement d’être mêlé au trafic de drogue, ce qui engendre le début de sa chute. Face à un fils lui-même ravagé par l’héroïne et sentant qu’il est en danger, Buscetta s’exile avec sa famille au Brésil, laissant néanmoins ses deux fils aînés en Italie. Il les confie à un ami de confiance, Pippo Calò (Fabrizio Ferracane). On assiste alors à des scènes parallèles entre la belle vie que mène Tommaso Buscetta dans sa villa brésilienne et les séries de meurtres de nombreux chefs de familles dans les rues charpentées de Naples. Le rythme narratif s’accélère et vient clôturer la première partie du film. Buscetta est retenu par la police brésilienne, torturé, puis renvoyé en Italie où il devra faire face au juge Falcone. La mise en scène et la musique de ce premier volet apporte une dimension d’une grandeur mystique autour de ce personnage dont la volonté vacille.
La scène d’ouverture, une soirée qui réunit tous les grands chefs de familles rivales pour célébrer un pacte de paix est calquée sur un modèle connu des grands films mafieux. Mais elle est aussi la preuve d’une maîtrise totale quant à la mise en scène d’un contexte dans lequel naît déjà une multitude d’indices sur l’évolution de l’oeuvre. Les mouvements des corps trahissent : Buscetta qui passe dans l’encadrement d’une porte, surveillé de loin pas des regards hostiles montrent son exclusion de cette nouvelle conception de la Cosa Nostra. Cette photo de groupe, où se serrent enfants, hommes de main et épouses et la capture d’une illusion que tous portent en eux. Encore une fois, on ne peut que se rappeler le mariage de Bonnie, fille du Parrain, scène qui ouvre le premier volet de la trilogie et qui annonce elle aussi à sa manière les tensions contenues d’un monde où l’on fait semblant. Ce monde, Tommaso Buscetta choisit de se le mettre à dos lorsqu’il se repentit. La trahison et la vengeance sont les éléments moteurs de sa décision. Il veut faire tomber ces hommes malsains et menteurs qui ont détruit la Cosa Nostra. « Ne me posez surtout pas la question du trafic de drogues » avertit le repenti au juge. Car pour lui, cet idée de l’homme d’honneur l’empêche n’y serait-ce que d’y songer.
Les scènes de procès s’ensuivent. Buscetta confronte les chefs restants et attend impatiemment le jour où il pourra faire face à celui qui l’a trahi. Ces scènes sont longues, figées. La caméra oscille entre les deux camps, celui des hommes défigurés par la haine derrière les barreaux et celui serein de l’homme sage qui parle, qui détruit d’une parole les accusations de ces imposteurs. Pierfrancesco Favino parvient à donner à son personnage une intensité captivante. Derrière ce regard noir franc, Tommaso Buscetta a chassé toute trace d’émotion. Elles ne se manifestent que très rarement, lorsque sa famille est touchée, la tristesse s’empare de manière brutale et incontrôlée de ce visage et rappelle que derrière sa carrure imposante, cet individu si important de la Cosa Nostra reste un homme, avec ses peines et ses craintes. Le respect qui naît entre le repenti et le juge Falcone écarte un instant ces barrières institutionnelles qui devraient en faire des ennemis et donne aux personnages un côté humain, toujours dans la contenue. Par ailleurs, la scène du chant qui vient clôturer l’oeuvre de Marco Bellochio rassemble l’explosion des émotions qui ont traversé cet homme dans sa vie. Tommaso Buscetta chante le regret d’avoir commis ces crimes, la peur de vivre, la fierté d’avoir jurer fidélité. Il chante l’épopée d’un homme qui a du renoncer à son passé au risque de s’oublier.