CINÉMAFestival de Cannes

« Chambre 212 », Quadrille amoureuse

© Jean Louis Fernandez

Après la présentation du bouleversant Plaire, aimer et courir vite en compétition au Festival de Cannes, Christophe Honoré laisse de côté ses idoles et les années 1990. Chambre 212 excelle dans la comédie mélancolique jonglant avec les références, de Blier à Resnais.

Article 212 du Code civil : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». Richard (Benjamin Biolay) et Maria (Chiara Mastroianni) sont mariés depuis vingt ans. Après une révélation d’adultère, un sms découvert par Richard, les époux se laissent une nuit pour réfléchir à leur amour et ses vestiges. Seule, Maria traverse la rue pour dormir dans l’hôtel d’en face. Comme sous l’effet d’un enchantement, une porte s’ouvre sur une chambre bleue, couleur de la mélancolie et du souvenir ; cette même teinte utilisée dans le précédent film de Christophe Honoré Plaire, aimer et courir vite pour raviver sa jeunesse dans les années 1990. Sans surprise, elle y retrouve Richard, vingt ans en moins (Vincent Lacoste) allongé sur le lit. Ils sont bientôt rejoints par l’amour de jeunesse de ce dernier et professeure de piano, Irène interprétée par Camille Cottin, en robe bleue, bien décidé à récupérer l’homme de sa vie. D’autres personnages plus mystérieux les uns que les autres vont se succéder dans cet chambre/espace mental, à commencer par la “Volonté” de Maria, sosie raté de Charles Aznavour. Le passé prend entièrement possession du couple.

Amour et cinéma

Après avoir vu, l’été dernier, The Awful Truth (Cette sacré vérité, 1937) de Léo McCarey avec Irene Dunne et Cary Grant. Une révélation d’écriture de scénario s’impose à Christophe Honoré, une réflexion sur le couple dans la durée, comment entretenir la passion après plus de vingt ans de vie commune, de quelle manière accepter l’affaiblissement du désir pour l’autre. Le ton de Chambre 212 apparait dès la première scène, proche du vaudeville avant de basculer délicatement dans un film onirique. Le cinéaste français laisse de côté ses idoles qui hantaient ses précédentes oeuvres pour en convoquer de nouvelles, plus cinématographiques -mais pas d’inspiration Nouvelle vague comme dans ses premiers films – dont peu de cinéphiles pouvait imaginer la cohabitation. Si les esprits de Sacha Guitry et de McCarey fixent la trame narrative, il rend hommage à d’autres réalisateurs plus inattendus dans le cinéma d’Honoré.

La poésie visuelle, les chassés-croisés des acteurs ne sont pas sans rappeler la mélancolie et les expérimentations cinématographiques d’Alain Resnais. Comme dans Coeur (2006), les flocons de neige tombant sur un décor reconstitué insufflent le lyrisme graphique. Les répliques tranchantes, « Qui couche encore avec son cousin après 14 ans ? », la beauté brute des dialogues, la théâtralité, et l’apparition de Carole Bouquet évoque le cinéma absurde de Bertrand Blier. Comme ce dernier, Christophe Honoré ose étrangement l’inventivité totale dans la mise en scène, se jouant des codes établis et brisant les conventions. La caméra survole les murs, le noir et blanc apparait furtivement, les espaces-temps se confondent et pourtant le film n’en est pas moins modeste.

Réalisé en moins d’un an, Chambre 212 démontre une fois de plus la capacité du cinéaste à se renouveler en conservant son univers propre. Cette verve comique distillée dans le film est rendue possible par le jeu époustouflant du quatuor d’acteurs, dirigés à contre-emplois. Benjamin Biolay a quitté les méchants ténébreux pour l’amoureux sincère et sensible, Camille Cottin incarne la tendresse et la folie, tandis que Vincent Lacoste et Chiara Mastroianni drôles et percutants sont toujours aussi flamboyants dans l’oeil amoureux de Christophe Honoré tandis que résonnent autour d’eux les notes de Scarlatti.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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