CINÉMA

« Raoul Taburin a un secret » – Hors du temps

Après le charmant Juliette (2013) et le plus décevant Éperdument (2016), le cinéaste Pierre Godeau s’est penché sur le seul roman graphique écrit et dessiné par Jean-Jacques Sempé lui-même, Raoul Taburin. Une fable poétique, portée par Benoit Poelvoorde.

« Quand on partait sur les chemins, quand on partait de bon matin…  » À bicyclette, sur ces chemins, Raoul Taburin – incarné par Benoît Poelvoorde qui tente de pédaler, dix-huit ans après Le Vélo de Ghislain Lambert de Philippe Harel – ne peut pas s’y mettre en selle. Et pour cause, le réparateur de vélos le plus réputé de Saint-Céron cache un terrible secret. Raoul Taburin ne sait pas tenir en équilibre sur un bicycle – ou comme il est surnommé par les locaux, un taburin.

Dans ce village idéal aux allures de carte postale, où tous les habitants ne sont que bienveillance et naïveté enfantine, les artisans et les commerçants transmettent leur savoir-faire à leurs enfants. Le père du petit Raoul Taburin, ce personnage inventé pour le film et superbement interprété par Grégory Gadebois, est facteur à vélo et le jeune garçon devient obsédé par le véhicule à deux roues. S’il ne parvient pas à pratiquer, il ne se promène jamais sans ce dernier qui l’accompagne comme un animal domestique alors que tous ses paires pensent qu’il est un extravagant casse-cou de la bicyclette. À défaut de pouvoir devenir facteur, il enfouit son précieux secret avec lequel il vit en paix, jusqu’au jour où un photographe du nom de Figougne (Édouard Baer) s’installe à Saint-Céron pour immortaliser les villageois. Si une amitié nait entre les deux hommes, il commence à mettre en péril le mystère de Raoul Taburin en souhaitant le photographier en pleine action sur son taburin.

Pierre Godeau recrée un univers singulier, visuellement plutôt proche de la France des Trente Glorieuses mais en figeant l’espace-temps, en inventant un village bulle universel où comme dans les bande-dessinées les personnages portent le même costume de l’enfance à l’âge adulte – la salopette pour le principal protagoniste. Le cinéaste adapte le roman graphique comme un conte à la frontière entre naturalisme et onirisme, une malédiction incarnée par la foudre mais également le travail du son et des effets spéciaux. L’idée amusante de Raoul Taburin étant de donner vie aux différents vélos des personnage en leur donnant un sonorité différente, celui de Taburin émet un doux bruit de rouages en lien avec son métier. La voix-off place instamment l’histoire du point de vue du héros et fait voyager le spectateur dans le passé pour comprendre d’où vient ce rapport étrange entre Taburin et son taburin. Ce dernier roule d’ailleurs seul et préfère faire des cabrioles impressionnantes dans les airs avant de retomber sur le sol, chaque chute s’accompagne d’un joyeux envol poétique.

Quelques regrets tout de même dans cette tendre fable adaptée de Sempé, si l’idée d’un casting francophone pour conserver cet espace-temps bédéesque est louable, seul le belge Poelvoorde touchant et authentique porte le film sur sa petite reine, le français Édouard Baer est en roue libre (sans mauvais jeu de mots) tandis que Suzanne Clément n’a pas vraiment l’occasion de monter sur la triplette. Et si ce troisième long métrage de Pierre Godeau est d’une sincérité absolue, la bienveillance de l’univers et de ses personnage a ses limites et la naïveté du film n’est pas assez égratignée pour en faire une véritable réussite.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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