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« Le Voyage de G. Mastorna », le génie et les angoisses de Fellini au théâtre

Alors que l’exposition « Quand Fellini rêvait de Picasso » ouvre à la Cinémathèque, le mythique réalisateur italien est également mis à l’honneur à la Comédie-Française.

En ce moment, il faut croire qu’aller à la Comédie-Française c’est comme aller au cinéma. Il y du Bergman (Fanny et Alexandre de Julie Deliquet), du Visconti (Les Damnés d’Ivo Van Hove) et maintenant du Fellini. En effet, après s’être intéressée à André Agassi (oui le joueur de tennis) dont elle avait monté les mémoires puis à Bob Dylan qui lui avait inspiré la pièce musicale Comme une pierre qui…), Marie Rémond porte à la scène « Le voyage de G. Mastorna », le projet monstre que le cinéaste n’a jamais eu l’occasion de mener à terme.

La metteuse en scène Marie Rémond – Photo : Vincent Pontet

Le point de départ est un scénario jamais réalisé, Le Voyage de G. Mastorna, qui relate le passage dans l’au-delà de Giuseppe Mastorna, violoncelliste mort dans un accident d’avion. Mais, sur la scène du Vieux-Colombier, Marie Rémond ne se contente pas de mettre en scène le scénario de Fellini. Aucun intérêt, selon elle, de tenter de créer des images que Fellini lui-même n’a pas été en mesure de réaliser – au théâtre, qui plus est. Au-delà du scénario, la pièce met également en scène Fellini himself (interprété par Serge Bagdassarian) au travail (discussion avec le producteur, répétitions avec les acteurs). Une mise en abime qui a du sens puisque ce Mastorna est aussi (et avant tout  ?) un instrument cathartique par lequel le maestro tentera d’apaiser son rapport à la mort (à sa mort surtout). Une tentative qui se soldera par un échec relatif puisque, par superstition notamment, l’italien remettra toujours au lendemain ce projet qui ne verra finalement pas le jour. L’adaptation de Marie Rémond, Thomas Quillardet (également metteur en scène qui a déjà pu s’attaquer à des scénarios d’Eric Rohmer) et Aurélien Hamard-Padis questionne les enjeux de la création. Enjeux pratiques (comment monter un projet fou  ? trouver le bon acteur, les financements nécessaires  ?) mais aussi les enjeux métaphysiques (pourquoi créer  ? Pour laisser une trace, passer à la postérité ? Est-ce suffisant ou vraiment utile  ?).

Photo : Collection de la Comédie-Française – photo de répétition

L’au-delà

Des nuages duveteux, un vieil homme barbu sympathique et/ou soixante-dix vierges, de la nourriture à volonté ou des caves inhospitalières et des flammes brulantes, les imaginaires religieux regorgent de représentations de cet au-delà que nous sommes supposés rejoindre après notre mort. Petit garçon élevé en Italie, Federico Fellini n’a pas manqué d’être abreuvé de ces images, que ce soit par le Vatican et la Bible ou par l’école publique et l’étude de la Divine Comédie de Dante Alighieri. Mais, manifestement, cela n’a pas suffi à le convaincre. Selon le réalisateur, il n’y en fait pas de raison que là-haut (ou peut-être est-ce en bas  ? les versions divergent…), ce ne soit pas «  le même foutoir que celui que nous avons ici sur terre  ». Aussi, dans Le voyage de G. Mastorna, une fois mort, ce bon Giuseppe ne se retrouve pas devant Dieu pour son jugement dernier mais dans le hall d’un motel face à un réceptionniste peu amène, exigeant qu’il justifie de son identité avec autre chose que son passeport… il va alors devoir entreprendre ce fameux voyage, qui le verra rencontrer une galerie tout à fait fellinienne de personnages, et assister au «  film de sa vie  » où des jurés chercheront à identifier le moment de son existence où il aura été « authentiquement, spontanément » lui-même. Ce sera son seul passeport valable pour l’au-delà.

Projet dantesque

Après avoir déjà réalisé 8 ½ et La dolce vita, Fellini tient avec Le Voyage… ce qu’il considère comme son projet le plus fou. Entré en production en 1965, le film ne verra toutefois jamais le jour. Le producteur s’impatiente et s’effraie de la démesure du projet. Surtout, en 1967 Fellini tombe malade et y voit un signe qu’il ne doit pas poursuivre son entreprise. Le réalisateur ne mourra qu’en 1992, il fera de nombreux films entre temps (Satyricon dès 1969, Amarcord en 1973 etc.) et, s’il essayera bien à plusieurs reprises de reprendre le projet Mastorna, ce sera sans jamais y parvenir. En 1991, le scénario sera toutefois publié sous la forme d’une BD. Cet ouvrage sert de base à l’adaptation scénique, avec le moyen-métrage Le Bloc- Notes dun cinéaste où Fellini revient deux ans après sur les ruines du décor du film avorté. Si la petite scène du Vieux-Colombier peine un peu à héberger cette démesure, l’inventivité de la scénographie, les divers éléments de ce décor impossible (une aile d’avion, une tortue géante…) et l’énergie des acteurs parviennent progressivement à l’évoquer.

Photo : collection de la Comédie-Française – Photographie de répétition

Double insaisissable

La mise en scène de Marie Rémond repose sur un dispositif bi-frontal qui enserre le personnage de Fellini/Mastorna dans ses doutes, l’emprisonne, l’encercle sans pour autant lui permettre de trouver de solution. Pour Thomas Quillardet, le personnage de Mastorna est une «  double insaisissable, un démon intérieur  » de Fellini. Ses questionnements face à la mort, son incrédulité face à «  ce qui suit  », ses doutes sur le sens de sa vie et de son œuvre, sont avant tout ceux du réalisateur italien. Telle une mouche qui ne parviendrait pas à retrouver la sortie, Fellini  se démène et virevolte mais ne parvient jamais à «  voir  » le personnage de Mastorna. Est-ce la faute de Marcello Mastroianni, le complice de toujours choisi pour l’interpréter mais qui semble soudain à côté, ou l’expression d’un mécanisme de défense psychique face à la mort  ? Toute la pièce repose sur une série de questions  : qu’attendent les réalisateurs de leurs acteurs  ? Et vice-versa ? Qu’attendent les producteurs des réalisateurs  ? Qu’attendent les réalisateurs d’eux-mêmes et de leurs œuvres  ?

Sur scène – et comme souvent chez Fellini – peu de réponses à toutes ces questions. Beaucoup de discours, de décor et de perruques, du fantasme et de l’onirisme même, mais aussi une honnête dose de frustration. Evidemment, la qualité (habituelle au Français) de la performance des acteurs (Laurent Laffitte et Georgia Scalliet en tête) assure de passer un bon moment mais on ne peut s’empêcher de trouver le temps un peu long… Peut être s’agit-il d’une certaine idée du purgatoire  ? 

Le voyage de G. Mastorna, mise en scène de Marie Rémond d’après Federico Fellini. A la Comédie-Française (Théâtre du Vieux Colombier) jusqu’au 5 mai. Tarif  : 13-28€. Informations pratiques et réservations  : Comédie-Française

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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