Dans son deuxième roman, Florence Herrlemann redonne à la littérature épistolaire ses lettres de noblesse. Le temps d’un échange entre une vieille dame centenaire et une jeune trentenaire, séparées par un étage dans un immeuble parisien. Voici comment prendre le temps de s’écrire à l’ère des réseaux sociaux.
Hectorine va avoir 104 ans. Hectorine vit dans un petit immeuble dans le quartier du Marais à Paris. Hectorine aime écrire. Et quand une jeune femme de trente ans, prénommée Sarah emménage dans l’appartement du dessus, la vieille dame s’empresse de lui adresser une première lettre afin de se présenter. Et nous voilà, lecteurs pris aux piège dans une correspondance entre ces deux femmes séparées par quelques marches et plus de la moitié d’un siècle.
“Un jour vous le saurez, je vous le promets”
À l’heure des messageries instantanées, Florence Herrlemann prend le temps de construire un échange, comme un engrenage dramatique dans lequel nous sommes invités sans bien comprendre, mais désireux de tourner les pages pour en savoir plus. L’auteur parvient parfaitement à saisir la tension de son récit à travers ces lettres. Tandis que ces deux femmes s’entretiennent sur leur vie quotidienne : voisinage, peines de coeur, fatigue et services rendus, le véritable enjeu de l’histoire est disséminé comme un feuilleton avec mystère et subtilité dans les lignes écrites par Hectorine.
L’Allemagne des années 20 puis des années 30, la Seconde Guerre Mondiale, une étudiante homosexuelle envoyée en prison pour “communisme”, deux amours perdues, la fuite vers la France et le Paris de l’après-guerre. Mais pourquoi raconte-t-elle sa vie à sa jeune voisine ? Comme cette dernière, attisé par la curiosité, le lecteur peut s’imaginer différents scénarios. Hectorine ne laisse pas le choix à ceux qui la lisent, elle ne veut pas rencontrer physiquement Sarah et dit ne pas avoir de téléphone.
L’appartement du dessous est écrit avec douceur et nous plonge avec humanité dans l’intimité de ces deux personnages parfois agaçants mais extrêmement attachants. Cet échange haletant devient vital pour ces deux femmes et malgré un goût un peu trop prononcé pour le “name dropping” culturel (Proust, Bach, Chopin, Radiguet, Zweig ou Caravage, entre autres) l’auteur nous donne envie de savoir ce qui se passe au-delà des murs de notre appartement, quels secrets habitent nos voisins si proches et pourtant si lointains. Une lettre déposée sur un paillasson comme une ode à la lenteur, à la véritable construction d’une relation profondément humaine. Un roman sincère et vivant rythmé par deux écritures différentes et dont le principal atout est de ne pas vous lâcher jusqu’à la dernière page.