Le premier film de la réalisatrice allemande Eva Trobisch convainc pour la sensibilité de son portrait de femme, mais beaucoup moins quand il s’agit de lui donner des enjeux.
« Comme si de rien n’était » : de cette citation se dégage deux mouvements. Vue de l’extérieur, c’est l’abstraction d’une réalité ou d’un fait concret qui résonne en nous comme une évidence et dont on cherche à échapper. Dans un second plan, et c’est ce qui intéresse davantage Trobisch pour son tout premier film, c’est l’intériorité, l’attitude, le sentiment que la vie continue malgré ses drames que l’on ne prévoit pas et dont il est difficile de se relever. Car quand Jeanne, jeune femme amoureuse, moderne, pétillante et affirmée, se fait violer par un homme qui sera aussi son futur collègue de travail, il y a le travail sur soi-même, mais aussi sur tous ceux qui sont autour, qui se heurte au sentiment de victimisation, de honte et de dégoût. Alors comment revivre face au drame, et se dresser fièrement face au monde, tel qu’elle est, et tel qu’il est ?
On notera le parti-pris très osé de la réalisatrice pour l’anti-dramatisation d’un tel sujet. Plus loin que la reconstruction ou la poursuite du coupable, le film nous invite à observer le travail intérieur non pas d’une femme victime, mais d’une femme qui cherche à ne pas être une victime. S’amorce alors un portrait de femme touchant et dur sur son escalade final, porté par une actrice étonnante (Aenne Schwarz), dont le visage aspire milles émotions quand on les sait en danger. Seulement, Eva Trobisch apporte des contrechamps malheureux et un faux suspense qui plombe sa réalisation et qui, loin dans l’idée d’être agressive (caméra à l’épaule, montage éclectique), perd son pari, pourtant bien pensé, de l’intériorité.

Déséquilibre
Nourri par quelques incohérences de ton, Comme si de rien n’était est parfois lourd dans la confrontation entre Jeanne et son entourage, preuve que l’équilibre de la mise en scène sur le fil des émotions de sa personnage principale ne suffit pas. De ces personnages se dégage une sorte de vanité de l’existence qui donne au film une ironie nihiliste assez repoussante : le chef d’entreprise trop vieux pour tomber amoureux d’une femme trop jeune, cette même jeune femme très superficielle dans ces sentiments, un mari passif/agressif, un agresseur qui cherche à s’excuser… La terrible faiblesse du film tient sur la portée nulle du contrechamp que l’on offre à Jeanne et sa situation. Vu de l’intérieur, on est comme greffé à sa reconversion silencieuse mais profonde. Mais à trop vouloir accompagner son personnage, le film se perd dans son autre tentative, bien réel vu de l’extérieur, de l’isolement contraint par un entourage pas à la hauteur.
Et de cette solitude, le film n’en tire là aussi que très peu de choses. Le film manque le rendez-vous de la jeune femme devenue seule, perdue avec/dans son drame – ce que cherche à construire les dernières minutes – par un grossissement du trait assez malheureux, et tout bonnement maladroit. L’enjeu ici n’est pas de reprocher au film sa soif du réel (souvent fougueuse dans les premiers films) et son traitement post-traumatique, mais sa fausse capacité à susciter des enjeux équilibrés et forts aussi bien par le scénario que par la mise en scène. Ce don d’une intériorité, oui, mais aussi et surtout sa complétion avec ce qu’il y a autour, ce qui relève de l’extérieur – équation mesurée qui résumerait alors la difficulté d’être.