Après trois disques en 2018, TH Da Freak revient à la charge avec un nouvel opus plus fantastique que jamais : Freakenstein. Rencontre et écoute avec celui qui fait trembler la scène francophone à grands coups de guitares et de thèmes à la fois hédonistes et mélancoliques.
Au-delà du clin d’œil au monstre de la littérature et du cinéma ainsi qu’au collectif du Flippin’ Freaks, qui fait le bonheur des nuits bordelaises depuis quelques années maintenant, ce Freakenstein là est avant tout un bel “assemblage de morceaux différents formant une créature étrange” selon la description de son géniteur. Des titres écrits parfois depuis plusieurs années, comme un témoignage de la vie de son créateur, entre rage adulescente, spleen authentique et percées psychédéliques.
“Il est vivant !”
Enregistré en seulement deux semaines, Freakenstein rassemble dix morceaux qui vont droits au but, sans temps mort ni tergiversation. Thoineau Palis, alias TH Da Freak, avoue avoir laissé plus de place à ses complices de scène que d’ordinaire pendant l’enregistrement : Julien, le batteur, a en effet enregistré sur une vraie batterie remplaçant ainsi les programmations et boites à rythmes des disques précédents tandis que son frère Sylvain, aka Siz, s’est occupé de certaines lignes de basse et à pris part à la composition d’interludes. Mixé par quatre personnes différentes entre Bordeaux, Lyon et Nantes, le résultat est à la hauteur des espérances : monstrueux. “Johann Philippe, un ami qui avait travaillé sur le premier album et qui vient de l’électroacoustique a apporté un côté quasi-scientifique au mix, alors que d’autres ont plutôt alimenté le côté pêchu et nerveux” précise Thoineau. La production, plus léchée qu’à l’accoutumé sans pour autant perdre le côté lo-fi et DIY cher au groupe, semble en effet avoir été marquée par plusieurs expérimentations sonores (“nous étions souvent en mode “laboratoire” pendant l’enregistrement“) et accorde une place plus importante à la voix et aux paroles du principal intéressé.
Montagnes russes et trains fantômes
S’ouvrant sur Thrill ! Love ! Freakenstein !, le disque pose d’emblée une ambiance unique, brève mais intense, quelque part entre le Bitches Brew de Miles Davis et les génériques des productions de la Hammer. “Cela nous a été inspiré par le film “Creature from the Black Lagoon”, avec ces scènes creepy où une musique très lente, avec de grosses trompettes et des percussions accompagne chaque apparition de la main de la créature“.
Un suspense de courte durée puisque aussitôt Nutty rompt la malédiction avec son gros riff entre punk et pop avant de prendre un virage plus inattendu, en forme de ballade mélancolique. “Ce morceau est à l’image du disque, très émotif, pop mais avec une forme de gravité“. Après la torpille Surrender, sorte de Soft Moon à la plage, c’est au tour de Mars Attacks ! ! de raviver les classiques du cinéma fantastique. Celui qui arbore fièrement une casquette Jumanji explique : “En fait, le morceau n’a pas grand-chose à voir avec le film, c’est plus un prétexte pour parler d’amour”. En effet, répétée plus de vingt fois tout au long du morceau, cette situation qui présage le pire n’est en fait rien d’autre qu’une belle déclaration d’amour, tout ce qu’il reste à sauver dans un contexte de fin du monde inéluctable.
« Lasers and death are not a thing that frightens me, I’ll stay with you forever »
TH DA FREAK – MARS ATTACKS ! !
Détournant le prénom du plus fameux songwriter des 90’s pour l’accoler au mot “filtres”, Kurtains semble être l’occasion pour le chanteur d’amener ce double questionnement, celui de son authenticité face à ses influences (Nirvana en tête) tout comme son rapport au monde extérieur et à lui-même. “I hate myself and I want to die, but suicide it’s not for me” clame-t-il d’entrée de jeu, ricochant sur un titre maudit du groupe tout en se détournant du tragique destin de son leader. Vous avez déjà envie de pleurer ? Peeling the Onion déboule avec son entêtant “I just want you to be my friend” et son intermède spatiale, hymne à l’amitié et aux relations humaines souvent bien trop compliquées.
Retour sur terre avec le morceau-titre Freakenstein ! !, débutant comme une parodie de ce qui furent les Artic Monkey dans ses années fastes et se clôturant comme un cauchemar éveillé. Ce n’est pas tous les jours que l’on croise une terrifiante créature qui “regarde votre âme” et s’avère porteuse d’une “douleur sans fin” sous un déluge de guitare saturé. La chanson s’arrête brusquement, nos oreilles sifflent encore.
Et c’est à ce moment-là que tombe la sentence, la sobre Never Enough Beer. “Cette chanson c’est typiquement moi, composant dans ma chambre avec ma guitare.” Une guitare folk, trois accords, et voilà une des chansons les plus tristes que Th Da Freak n’ait jamais couché sur disque. “La partie chant, elle, change tout le temps. Elle aurait pu être dans The Hood (son précédent album, ndlr), elle est dans la même veine mais avec une production plus poussée“. Ses paroles, chargées de mélancolie et de dégoût, dresse un portrait sombre des nuits alcoolisés et du genre humain en général, que les chœurs pourtant lumineux ne parviennent pas tout à fait à sauver.
« Human’s race equals Hollywood :
TH DA FREAK – NEVER ENOUGH BEER
It sucks but it feels good
I’m glad there’s weirdos like me
But I’m afraid cause they could hate me
We’re just kinks »
Après un détour vers un Hospital plus Breeders que jamais pour guérir ces blessures invisibles, dont nous vous laisserons découvrir les paroles prophétiques et chargées de vécus, le périple du monstre da freak touche déjà à sa fin. C’est sur les arpèges apaisés et latinos d’Adios Freakos que se renferme l’album, laissant s’échapper quelques notes de trompette et surtout éclater un orage menaçant, au loin. “Ce morceau me fait penser à la fin du film “Freaks” de Tod Browning, où les personnages rampent dans la boue, sous la pluie et les éclairs afin d’en finir avec celle qui les as fait souffrir. Le plus drôle, c’est que le son d’orage a été ajouté en post-prod avant que je ne parle de cette influence à celui qui s’est chargé de le mixer, il y a donc eu une vraie connexion“. Voilà qui explique sans doute la cohérence et l’efficacité de ce disque qui va embellir vos dernière soirées d’hiver.
Freaks Attacks ! !
« Quand j’ai vu le son du vinyle et sa couleur verte translucide, j’étais fou » se souvient Thoineau. “Mes meilleures écoutes du disque viennent d’ailleurs de ce support ». C’est en effet une grande première pour ceux qui n’ont cessés, depuis les débuts du collectif, de privilégier les copies sur K7 comme pour mieux coller à l’époque à laquelle se réfère leur musique. Fidèle aux traditions, le disque arbore une pochette signée Ratiskal, talentueux dessinateur et graphiste de la bande, mais est cette fois-ci co-produit par Bordeaux Rock, en plus du label habituel Howlin Banana Record. « Je fais de la musique depuis que j’ai 15 ans, au lycée je participais au festival Bordeaux Rock avec mes premiers groupes, ce qui m’impressionnait beaucoup, c’est donc dingue de les voir sortir mon disque aujourd’hui ».
Un partenariat qui a permis au groupe de faire la première partie du géant Thurston Moore, ancien Sonic Youth venu clôturer le festival Bordeaux Rock en janvier dernier. Un rêve de gosse, et un moment dont Thoineau parle encore avec émotion : “On a pu échanger avec lui, il est vraiment super sympa, c’était un honneur de pouvoir le rencontrer et de jouer avant lui“. “Il vit dans une boucle temporelle, quand tu lui parles le temps s’arrête, il est toujours dans ses expérimentations de guitare, fidèle à sa jeunesse et ce qu’il était en 1993” renchérit Sylvain, “il a une vision très scientifique et physique du son. A chaque fois que je l’ai vu, c’était une vraie leçon”. “Ce concert et cet échange, c’était un vrai cadeau” pour Rafael, “il a signé ma gratte mais j’ai tout fait partir avec la transpiration lors du concert suivant deux jours après ». Rock jusqu’au bout des ongles, un peu comme ceux de Benjamin qui arbore dernièrement un magnifique vernis, préfigurant ce que prépare le groupe sur scène : “On a beaucoup travaillé sur les lumières notamment, toujours avec nos deux fidèles techniciens, Mamat et Lucas” explique-t-il.
« Pour la première fois, je n’ai plus de morceaux en attente, je suis dans l’exécution et la transposition de l’album sur scène » conclut Thoineau.
La suite ? Comme toujours un programme chargé pour l’ensemble des membres du Flippin’ Freaks, rassemblant une dizaine de projet dont Th Da Freak n’est -pour l’instant- que la face émergée de l’iceberg.
Outre la tournée qui va sillonner la France en 2019, TH Da Freak planche sur une nouvelle collaboration avec Courtney & The Wolf après George, et avoue avoir quelques pistes pour un prochain enregistrement.
Son frère, Siz, prévoit son grand retour au printemps avec la sortie de son premier album produit par Arthur de JC Satan. Rien que ça. Rafael, le guitariste, prépare un disque pour juillet avec son projet Twingo Reverse. Enfin, Benjamin, le deuxième guitariste, poursuit l’aventure de Little Jimi, preuve une fois encore que les garçons sont insatiables tant au niveau des influences que des projets.
A noter également la parution du premier EP de Cosmopaark, la nouvelle signature du collectif, en mars prochain ainsi qu’une collaboration exceptionnelle le temps d’un disque entre Wet Dyedream (dont le prochain album paraîtra dans quelques mois) et Opinion, jeune prodige de 17 ans qui a étonné plus d’un slacker.
Un programme décidément chargé pour ceux qui vampirisent désormais la scène bordelaise et le rock “maze” in france, dont on devrait entendre parler encore longtemps.
TH Da Freak sera en concert à Paris (Point Éphémère) le 27 mars ainsi qu’à Bordeaux (I Boat) le 30 mars pour la release party du disque. Tournée à venir.