Toujours en proie au doute et à la solitude, Valeria Bruni Tedeschi expose ses maux au soleil. Surprise, elle se passionne aussi désormais pour ses semblables, qu’ils soient de sa classe sociale ou non. Une suite à ses précédents films en forme de miroir déformant et cruel, entre Jean Renoir et la littérature russe.
« Cela ressemble beaucoup à votre précédent film ». Observée innocemment, la remarque est réjouissante, d’autant que l’on est face aux premières images du quatrième film d’une auteure qui s’acharne à se raconter d’oeuvres en oeuvres. Comme un surdoué qui énerverait un conseil de classe, Valeria Bruni Tesdeschi se retrouve dans les premiers instants de son nouvel opus, médusée face à une commission du CNC, perplexe quant au récit de son prochain film, mi fictionnel, mi autobiographique. Astucieuse la mise en abime en forme de franche autocritique permet à la réalisatrice d’assumer les cousinages à venir avec ses précédentes oeuvres, Il est plus facile, Actrices et Un Château en Italie (son plus abouti). Famille, religion, art pourrait être la devise de son cinéma, microcosme faussement snob et sauvagement humain.
Bien que le terme soit utilisé pour les monstres difformes des ambitions démesurément hollywoodiennes, le résultat de cette lointaine adaptation de Gorki démontre les rouages de la « machine bruni tedeschi ». Carnaval ambulant et grimaçant, le film, plus amer qu’à l’accoutumée, devient l’exutoire des malheurs de Valeria.
Dans ce jeu des sept erreurs entre grand écran et réel, Valeria est Anna, réalisatrice parisienne, lâchement quittée par son compagnon, elle part dans une sublime villa avec sa fille (incarnée par la vraie fille de la réalisatrice). Là, elle y confronte ses névroses bourgeoises aux angoisses de sa (très) riche famille, avec en figures de proue la mère tyrannique, la soeur folle et frustrée et le beau-frère, homme de pouvoir aveuglément conservateur mais donc, sans l’amant à tête d’ange. Le spectateur pourra les nommer, au hasard, Marisa, Carla, Nicolas ou Louis. Pour l’auteure, le luxe gangrène absolument tout, à commencer par les esprits, déconnectés de toute réalité extérieure. À ces personnages hauts en couleur (mais sombrement vides), s’ajoutent des ombres apparemment plus discrètes, qui jusque là ne faisaient qu’effleurer le regard de Valeria Bruni Tedeschi. Ce sont ceux qui regardent la dispute éclater sans dire mot, qui souffrent sans crier sans leur haine. Désormais, elle les peint, fascinée par une pudeur et une lucidité qui lui sont lointaines, sinon étrangères. De l’amie scénariste au cuisinier séduisant, en passant par les domestiques ou le souffre-douleurs, tous existent, victimes de la veulerie des puissants. Dans une ambiance proche de celle des romans de Tchekhov, le coté punk en plus, toutes ces âmes en perdition se heurtent aux limites fixées par leur condition. Cette opposition valets-maîtres que n’aurait pas renié le Renoir de la Règle du jeu donne son énergie à un récit cruel et amoral. Au sein de cet Eden factice, la liberté s’arrête là où commence la tyrannie des égos.
L’actrice-réalisatrice Bruni Tedeschi se rêve en artiste maudite, erre à l’aveugle dans une indécelable brume où les fantômes sont aussi envahissants que les vivants. À la fois prisonnière et incapable de s’extirper de son état de bourgeoise, elle promène son clown toujours à contre-pied du monde qui l’entoure. Lorsque la tragédie se joue, elle s’esclaffe laissant le malaise s’emparer des corps. Lorsque la comédie s’impose, ses angoisses reprennent leurs droits et viennent tordre son masque d’apparrence. Ce sens permanent de la rupture fait de son cinéma un lieu de surprise et de réactions constantes. Consciente que sa vie ne lui appartient pas tout à fait, Valeria rit, pleure, s’étrangle, se pardonne, sans jamais trouver la note qui lui convient parfaitement.