Le road movie, comme tout genre cinématographique entraine son audience sur un trajet aux codes définis, amenant son lot de films cultes et d’attentes spécifiques, oscillant entre fuite et recherche de liberté.
La route, symbole mouvant et mystique, a marqué de son imaginaire l’histoire culturelle du 20e siècle. Internationalement cette ligne de bitume est associée à un pays, les États-Unis, à sa culture aussi bien littéraire que visuelle. Les roads trips de la côte Est à la côte Ouest, marquent les esprits de leurs paysages époustouflants, ouvrant sur un monde à part, celui entre villes et campagne, liberté et enfermement.
« Nothing behind me, everything ahead of me, as is ever so on the road. » « Rien derrière et tout devant, comme toujours sur la route. »
Jack Kerouac, Sur la route, 1957
Les roads movies transportent quant à eux un imaginaire spécifique, ancré dans une tradition de la frontière et de la conquête héritée du Western, mais les transposant dans une modernité motorisée. Dans les histoires post conquête de l’Ouest, « la frontière devient la route, le cheval devient la voiture, et le héros devient un désir, peut-être Quixotic, d’héroïsme » (Roberts, 1997, p.66, traduction personnelle). Les majestueuses étendues désertiques aspirent les acteurs et renforcent une solitude sensée être synonyme de sagesse intellectuelle. Je dis bien acteurs et non actrices car, à quelques exceptions près, les femmes sont absentes de ces fables masculines échappant à une domesticité considérée comme étouffante. Dans les Western, seules les artistes de saloon sont capables de comprendre hors-la-loi et cowboys, et sur la route leur absence ou leur présence correspond à un ensemble de règles bien définies.
Pour autant le road movie tient ses lettres de noblesse dans son traitement romantique des marginaux, c’est le chant des âmes maudites et de tout ceux qui ne correspondent pas aux carcans d’une société codifiée (Cohan and Hark, 1997, p.1). La route est une fuite, la fuite d’une vie qui ne peut répondre aux attentes de personnages au bord du précipice. Une fuite prenant place dans des environnements dangereux, prêt à absorber quiconque souhaite s’y plonger. Sur la route, l’espoir est vain, illusoire, toute attirante qu’elle soit la route est faite de violence et de solitude.

Si le road movie n’est pas né avec la Seconde Guerre mondiale, il en reste un phénomène socio-historique se renouvelant sans cesse. Sur la Route de Jack Kerouac, publié en 1957, assoit la route dans la littérature, mais plus largement dans la culture, redéfinissant les codes du voyage à travers les États-Unis. Quatre éléments spécifique en ressortent et lient le genre à un contexte spécifique, celui qui suit les guerres et les dommages causés. En effet, le road movie est considéré comme une métaphore de la dislocation de la cellule familiale, cause ou effet du voyage entrepris par des personnages qui se retrouvent alors en prise avec des événements qu’ils ne peuvent maîtriser. De plus, les personnages de road movie s’identifient avec le moyen de transport utilisé. Finalement, le genre est associé à un fantasme masculin (ibid, p.2). Cette dernière caractéristique a encore la vie dure de nos jours, puisque le genre est de manière stéréotypique associé à deux mouvances.
D’un côté, les duos masculins, comme dans Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), fuient toute responsabilité, à la recherche d’une vie alternative de l’autre côté de la frontière. Indéniablement un des road movie les plus iconique, Easy Rider a donné naissance au sous-genre du bud movie, marquant son issue d’une fatalité exprimant les violences d’une société inadaptée aux marginaux. D’un autre, les couples hétérosexuels prennent aussi la route, mais un certain néo-conservatisme entourent ces films d’une morale asphyxiante, comme dans Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) où l’évocation de la sexualité ne peut alors que se solder par une mort brutale.
Loin de se cantonner à ces carcans étriqués, le road movie s’est peu à peu émancipé pour se jouer des règles établies. D’abord, il a su dépasser les frontières américaines, s’exporter de l’Europe à l’Australie, faisant de Wim Wenders, réalisateur allemand, une des pierres angulaire du genre dans les années 1980, notamment avec Paris, Texas (1989). De cette transposition filmique certaines singularités sont apparues. En Australie, une obsession pour les histoires Australiennes marquent des réalisateurs rêvant d’Hollywood. Aux États-Unis, les années 1990, la désillusion amenée par Reagan, la Guerre du Golfe et les mouvements sociaux et LGBTQA+ influencent le genre. La route n’est alors plus seulement réservée aux hommes blancs. Dorénavant, « marginaux et aliénés », femmes, gays, lesbiennes et personnes de couleurs, peuvent prendre la voie de l’auto-découverte pour exprimer leur inconfort dans une société qui les oppresse constamment ou même pour retrouver des endroits et des personnes délaissés (ibid, p.12).
Des films comme Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991) ou Priscilla, folle du désert (Stephan Elliot, 1994) ont pavé la chaussée, joué des codes pour les détourner. Thelma et Louise, reprend les caractéristiques du bud movie pour dénoncer les violences de la société américaine à l’égard des femmes, leurs rêves de domesticité déchus et leur épanouissement dans un voyage de courte durée leur procurant une liberté éphémère et euphorique. La violence n’est alors qu’une réaction face à celles vécues quotidiennement. Grâce à ce film, Ridley Scott a ouvert au début des années 1990 de nouveaux débat concernant les violences conjugales et le viol.
D’un autre côté, après Mad Max, Priscilla, présente certaines spécificités du multiculturalisme australien et réécrit les attentes comiques à l’égard d’un genre qui en terres Australes se mélange toujours avec un autre.
Pourtant, si les avancées sont réelles, certains stéréotypes ont la vie dure. Dans Priscilla, femmes, aborigènes et étrangers sont soit représentés de manière succinctes ou dégradantes, et dans Thelma et Louise, le seul afro-américain présent à l’écran est un cycliste fumant, ce qui semble être du cannabis, en écoutant de la soul, et qui, face au coffre d’une voiture de police n’a qu’un seul réflexe, expirer la fumée comme une ultime attaque contre la police. Heureusement, d’autres films et d’autres réalisateurs tel Spike Lee avec Get on the Bus (1996) dépassent ces clichés et montre que si la liberté est sur la route, tout le monde devrait y avoir accès.