Yorgos Lanthimos annonce rapidement la couleur de son dernier long-métrage : entre ironie grinçante et coup bas, la quête du pouvoir reste le but ultime.
XVIII ème siècle, la monarque Anne tente de gouverner l’Angleterre malgré ses crises de goutte et son moral instable. Ce n’est pas sans compter l’aide de son amie et amante secrète Sarah, Lady de Marlborough, qui est en vérité celle qui tire les ficelles en chuchotant à l’oreille de la reine fatiguée. Un troisième élément s’invite à la Cour Abigail, noble déchue et cousine de Lady Sarah qui grimpe silencieusement l’échelle sociale avec en vue l’objectif de détrôner sa cousine du poste de favorite.
La femme, un personnage intriguant
Chez Yorgos Lanthimos, la cruauté et la noirceur des personnages sont monnaie courante. Cela ne manquera pas aux favorites : manipulatrices, hypocrites, vicieuses, les deux femmes se livrent à un combat mutuel en simulant une adoration sans limite pour la naïve Anne Moley. On ne peut pas dire que les personnages féminins de l’oeuvre soient dotés de belles qualités. Mais ils défendent néanmoins leur statut de femme de pouvoir avec force dans une époque où l’homme peut parier le destin de sa fille aux jeux. L’histoire se concentre donc sur les relations du trio féminin autour duquel gravitent quelques personnages masculins secondaires, utilisés comme monnaie d’échange ou dont la sexualité se négocie astucieusement. On pourrait reprocher l’aspect malsain des personnages qui composent le film, pourtant cela apparait vite comme une évidence aux yeux des spectateurs : celle de représenter cette facette là du XVIII ème siècle entre les murs de la Cour d’Angleterre. Quant au sujet de l’homosexualité, il est vite placé dans l’ombre derrière le thème principal qui anime la trame : la soif de pouvoir. Cela reste peut-être le seul regret du film, car au niveau esthétique comme dans l’incarnation des personnages, le défi est relevé.
Une histoire de Grand Renfermement
A l’aide d’un fish-eye et des nombreuses scènes se déroulant entre les quatre-murs du palais, Yogos Lanthimos parvient parfaitement à faire ressentir cette impression de renfermement révélateur de l’état d’esprit des personnages : ils sont renfermés dans leur ambitions personnelles et sont prêts à tout pour les assouvir. Quitte à perdre pied, à mettre sous silence leurs valeurs. Les rares scènes se déroulant à l’extérieur sont une réelle bouffée d’air qui contraste avec l’omniprésence d’un huit-clos dont est prisonnière la souveraine. Elle ne sait faire la différence entre se faire aimer et se faire gouverner et tombe à deux reprises dans le piège. Olivia Colman l’interprète majestueusement aux côtés d’une Emma Stone qui parvient tout aussi bien à faire pitié comme à inspirer la haine. Le triangle amoureux est aussi un cercle fermé, par les secrets qui le relie comme par cette vision du pouvoir et de l’amour qui le gangrène. Yorgos Lanthimos ne signe pas une fin heureuse qui pourrait rimer avec un Happy Ending déviant des contes. Au contraire, la scène finale marquée de fondus est fidèle au réalisme cruel du film et de son époque : la noirceur romanesque de ses personnages n’a pas vraiment de fin en soit.