Au départ de ce film il y a l’appréhension, que doit-on attendre du jeune réalisateur Felix Moati ? Puis il y a cette douce euphorie, celle que l’on ressent à la sortie d’un beau long-métrage.
Felix Moati nous livre dans Deux Fils une bien admirable surprise de cinéma, aussi imprévue que délectable. Suite à un premier court-métrage, Après-Suzanne, sorti en 2016 et présenté au Festival de Cannes, celui que l’on connaissait essentiellement devant la caméra, s’essaye au long-métrage, pour le meilleur.
Deux Fils c’est avant toute chose l’histoire d’hommes désabusés, un trio traversés de part en part par leurs émotions, et à la sensibilité subtile et touchante. Il y a le père, Joseph (Benoit Poelvoorde) en crise existentielle qui cherche à revivre via l’écriture d’un roman, Ivan (Mathieu Capella) 13 ans poète latinisant (et un poil alcoolique), foudroyé par ses premiers émois amoureux et par l’ébranlement familial, et Joachim (Vincent Lacoste) transi et incapable face au chaos ambiant et à l’échec évident de sa thèse en psychanalyse.
Cette dimension sensible se manifeste pleinement quant au rôle de Benoit Poelvoorde, véritable monument du cinéma français, occulté par la force convaincante de son personnage, ce qui n’est pas sans évoqué Les Emotifs Anonymes (2010), où le jeu d’acteur de Poelvoorde se trouvait d’ores et déjà magnifié. Dans la famille je demande à présent les deux fils, Joachim et Ivan, personnages derrière lequel le réalisateur se cache sous différents aspects, en invoquant les tumultes que peut offrir le jeunesse. Et puis il y a les femmes, comme Anais Demoustier et Noémie Lvovsky, individualités clés qui répondent finalement aux maux que traversent ces trois générations d’hommes, évoluant dans l’absence de la figure maternelle et de l’être aimée.

L’ambiance bien que rongée d’une certaine mélancolie, n’affecte en aucun cas le spectateur grâce au judicieux procédé qu’est la musique du film, une musique composé par Limousine, un jazz incandescent qui ne fait que surprendre et embellir ; dédramatisant les situations, des plus banales aux plus sordides, tout comme le faisait à merveille Komeda dans la originale du Départ de Jerzy Skolimowski (1967).
Ces procédés accentuent une chose simple et nécessaire : la caméra sublime les âmes humaines à l’instar des travaux d’Eric Rohmer, Jim Jarmusch ou de Woody Allen, avec lequel le réalisateur reconnait une sincère familiarité, et une démarche équivoque. Le film érotise Paris, du Boulevard Saint-Martin aux hauteurs de Belleville, Deux Fils est une douce divagation dans les rues d’une cité fourmillante, personnage à part entière de ce récit, devenant soudain intime et familière. C’est une véritable pierre angulaire du film, bien que filmé essentiellement en gros plan, la caméra braquée sur le ressenti immédiat des protagonistes, la ville est bien présente comme vecteur essentiel de l’action.
Deux Fils s’inscrit définitivement dans la veine de beaucoup de films vus en 2018, où Felix Moati était déjà omniprésent, à l’image de Gaspard va au mariage, Le Grand Bain, En Liberté ! mais aussi I Feel Good de Kervern et Delépine (pour ne citer qu’eux), proposant une comédie d’auteur pleinement substantielle. (Par ailleurs on ne peut que vous recommander de ne pas visionner la bande-annonce qui ne fait absolument pas honneur au film)