Fin décembre, Donald Trump avertissait l’opinion publique, dans un énième tweet, du départ prochain des troupes américaines de Syrie. Une annonce qui peut sembler logique, la lutte contre les djihadistes semblant toucher à sa fin. Les raisons du départ américain sont toutefois plus complexes.
Immédiatement après l’annonce de Donald Trump, les grands journaux américains n’ont pas attendu longtemps pour titrer le départ des troupes américaines de la Syrie. De 7.000 soldats, plus précisément, soit près de la moitié des effectifs présents. Ce départ risque toutefois de bouleverser l’actuel équilibre des forces. Et pour cause : le conflit syrien s’est depuis longtemps éloigné d’une simple crise civile, pour devenir un terrain de confrontation entre les puissances extérieures. La guerre de Syrie est ainsi progressivement devenue un terrain de confrontation entre l’Occident, avec les Etats-Unis en tête, et le gouvernement syrien, épaulé par plusieurs Etats, historiquement hostiles aux Américains, tels que l’Iran ou la Russie.
Aux origines du conflit
Ayant débuté en mars 2011, la guerre syrienne est un autre exemple du conflit multiforme : si, à l’origine, il s’agissait d’un conflit civil, déclenché progressivement par des mesures libérales adoptées par le gouvernement de Bachar el-Assad en 2005, la guerre a depuis acquis une dimension confessionnelle, et celle, monnaie courante au Moyen-Orient, d’un conflit par procuration. Tout d’abord, les mesures libérales, qui ont été à l’origine de l’affaiblissement de l’Etat syrien : celles-ci ont eu pour conséquence une augmentation des inégalités sociales.
Après les manifestations, ont suivi des assassinats ciblés des dirigeants et haut fonctionnaires, tout comme des sabotages des infrastructures civiles. Profitant de la crise civile, les Kurdes de Syrie ont décidé de faire avancer leur cause. Représentant environ 10 % de la population – soit 2,4 millions de personnes – ils sont essentiellement concentrés dans le nord du pays. Minorité ethnique longtemps marginalisée, ils espèrent alors réaliser leur projet de Syrie fédérale, le Rojava, et toutes leurs alliances sont soumises à cette logique. Enfin, profitant du fait que l’appareil étatique soit affaibli suite au conflit civil, l’Etat islamique s’est progressivement fait maître sur le territoire syrien.
L’alliance occidentale contre le gouvernement de Bachar-el-Assad
On entend parler des Kurdes syriens sur la scène internationale alors que ceux-ci affrontent les djihadistes de l’Etat islamique, à Aïn Arab (Kobané), à la frontière syro-turque. Le combat, qui a duré de septembre 2014 à juin 2015, a marqué la première défaite importante de l’Etat islamique. Cependant, cette victoire est, entre autres, dûe au soutien occidental : c’est alors que les Kurdes décident de tisser une alliance avec les Etats-Unis. C’est d’ailleurs à l’initiative américaine que ces derniers forment, avec les groupes arabes pro-américains, les Forces démocratiques syriennes (FDS), coalition militaire qui a libéré de la présence djihadiste la ville de Raqqa, avant de s’engager contre l’Etat islamique dans la vallée d’Euphrate, un autre point stratégique.
Les Forces démocratiques syriennes sont également activement soutenues par la coalition internationale, présidée par les Etats-Unis. C’est surtout la solidité de cette coalition qui risque d’être mise en péril après le désengagement américain du conflit : mise en place en 2014 afin de coordonner la lutte contre l’Etat islamique, elle compte ni plus ni moins 22 Etats, à l’image de la France ou du Royaume-Uni. De son côté, un autre opposant aux Kurdes – et aux Etats-Unis-, le régime syrien de Bachar el-Assad, a également su s’entourer d’alliances efficaces qui ont assuré la stabilité relative du gouvernement depuis l’intensification du conflit. Ainsi, dès 2013, l’Iran a envoyé des centaines d’instructeurs qui ont contribué à l’entraînement de la force armée supplémentaire, l’Armée de défense nationale (l’ADN), qui compte près de 80 000 hommes. En septembre 2015, la Russie a envoyé une flotte de plusieurs dizaines d’avions dans la base de Hmeimim, dans la province de Lattaquié. Depuis, l’armée syrienne a repris le contrôle de près de 56 % de son territoire.
Alors que, à l’apogée de sa puissance, l’Etat islamique occupait plus de la moitié du territoire syrien, l’organisation terroriste a depuis perdu ses territoires du centre et de l’Est de la Syrie, y compris les villes de la Palmyre et de Deir Dezzor, au profit de l’armée syrienne, appuyée par ses alliées. L’EI a également perdu ses territoires du nord, allant de la frontière syro-turque à la ville de Raqqa, après une offensive de plus d’un an, lancée par les Forces démocratiques syriennes, épaulées par la coalition internationale.
Les enjeux du départ américain
La guerre civile syrienne a fait entre 350 000 et 500 000 morts, en 7 ans de conflit. Le taux de chômage en Syrie a désormais atteint 60 %. Au fil des ans, la guerre est passée de révolte interne à une confrontation internationale, entre, d’un côté, la Russie et ses alliés, et, de l’autre, les Etats-Unis et ses partenaires de la coalition internationale. Le départ américain risque donc fort de bouleverser les équilibres de puissance, d’autant plus que la Turquie s’éloigne progressivement de l’OTAN. Or, les Etats-Unis ont besoin du pays présidé par Recep Tayyip Erdogan : maintenant que l’Arabie Saoudite est affaiblie, notamment par sa longue intervention dans la guerre du Yémen, la Turquie est le seul allié capable d’aider les Etats-Unis à combattre l’Iran.
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Par ailleurs, Donald Trump aurait tout intérêt à éviter le rapprochement de la Turquie avec son voisin russe. La manœuvre risque d’être d’autant plus difficile que les Kurdes, qui sont des alliés des Américains – ou, tout du moins, qui l’étaient jusqu’au départ américain de la Syrie – sont des ennemis jurés de la Turquie. D’ailleurs, l’Etat islamique n’était pas le seul objectif des Américains en Syrie : pas plus tard que l’été dernier, Mike Pompeo, le Secrétaire d’Etat, et John Bolton, le Conseiller à la sécurité nationale, avaient convaincu le Président américain de rester en Syrie pour continuer à combattre l’Iran, ennemi américain numéro un au Moyen-Orient. Le problème étant que, en maintenant les troupes nationales dans la partie kurde de la Syrie, Donald Trump risque de provoquer la fureur de la Turquie : un isolement des Etats-Unis dans la région pourrait s’en suivre.
Surtout, bien que l’influence djihadiste dans la zone a nettement diminué, des poches de résistance continuent à subsister. Des djihadistes sont ainsi disséminés dans le désert syrien à l’ouest de l’Euphrate. S’y rajoutent 2000 hommes se situant dans quelques villages à proximité de la frontière irakienne, situés dans une zone contrôlée par la coalition arabo-kurde, justement menée par les Américains. Le départ américain de la Syrie, qui peut être justifié par le désir de Donald Trump de se rapprocher de la Turquie, risque donc de renforcer la présence djihadiste sur le territoire contrôlé par les Kurdes de la Syrie, tout comme il laisse sans défense ses alliés occidentaux : ainsi, les forces françaises, bien présentes en Syrie mais peu nombreuses, risquent de ne pas pouvoir faire face ne serait ce qu’aux actions de la Turquie, dont les soldats faisaient attention aux troupes américaines, ce qui ne sera sûrement pas le cas des forces françaises.