CINÉMA

Femmes et Cinéma : Le CNC et les « défricheuses »

Dans ses dernières journées le Festival Lumière 2018 a accueilli la première table ronde d’un grand cycle de conférence organisé par le CNC et le magazine Causette autour du thème «  Femmes et cinéma ». Voué à parcourir les festivals français, la première étape lyonnaise du cycle faisait la part belle à celles que l’Histoire du cinéma a laissé trop longtemps dans l’ombre.

Parmi les intervenantes de cette master class, Béatrice de Pastre, directrice des collections du CNC, est revenue sur les premières Assises de la parité, de l’égalité et de la diversité qui se sont tenues dernièrement à Paris et au cours desquelles le CNC s’est engagé à mettre en valeur les films de patrimoines de femmes en assurant leurs restaurations et leurs numérisations. Depuis la mise en place de ce dispositif, 1200 films ont été proposés, parmi eux 78 films de femmes dont 68 ont été retenus.

Il y avait pourtant bien des femmes dans ces prémisses du cinéma et c’est précisément tout l’enjeux de l’engagement pris par le CNC et de ce cycle de conférences, redonner à ces dernières et surtout à leurs œuvres une place dans l’Histoire du cinéma qu’elles ont traversé elles aussi. D’Alice Guy « la pionnière » en France , en passant par Lotte Reiniger et ses silhouettes découpées en Allemagne, ou encore Elvira Notari qui film Naples et ses rues bien avant les néoréalistes, toutes ont-elles aussi écrit une histoire du cinéma que la guerre et les sociétés vont effacer au profit d’une histoire presque exclusivement masculine. Cette histoire, Béatrice Pastre, Hélène Fleckinger, Danielle Jaeggi, Véronique LeBris et Isabelle Morot, se sont employées à nous en donner un aperçu, évidemment exhaustif.

Alice Guy (1873-1968)

 

C’est en voyant un film des Lumière qu’Alice Guy a l’idée de faire du cinéma. D’abord sténodactylo pour Léon Gaumont, sa passion de la technique l’amènera à pratiquer la photographie puis à passer derrière la caméra. Au point qu’il est aujourd’hui toujours difficile de déterminer avec certitude si c’est elle ou Georges Méliès qui inventa le film de fiction. Petit à petit celle qui était secrétaire va prendre place prépondérante dans le studio Gaumont, recrutant des cinéastes comme Louis Feuillade, organisant elle-même les décors des films qu’elle va parfois chercher dans des théâtres. Elle fait montre d’une attention pour la direction d’acteurs à l’époque étonnante, allant jusqu’à placarder sur les murs du studio son leitmotiv de mise en scène «  Be natural ».

Musidora (1889-1967)

Musidora dans Les Vampires de Louis Feuillade

Contemporaine d’Alice Guy qu’elle croise chez Gaumont, Musidora fait partie de ces femmes qui passent d’une scène à l’autre. D’abord star du music-hall, elle devient, avec la série des Vampires de Louis Feuillade,  l’un des inoubliables visages du cinéma des premiers temps. Mais la femme aux collants noirs, qui devient durant la guerre de 14-18 un véritable sexe symbole pour les spectateurs de la guerre, est aussi passée derrière la caméra. Elle adapte ainsi l’un des ouvrages de son amie Colette mais doit prendre un pseudonyme d’homme pour parvenir à la réalisation. Ce n’est qu’une fois aux USA, après avoir créé sa propre société de production, que Musidora réalisera sous son nom.

A ce propos, Béatrice de Pastre est revenue sur la manière dont le CNC gère la question de la réatribution des films de femmes contraintes à l’anonymat ou à l’adoption d’un pseudonyme masculin ” On fait des recherches sur l’histoire des réalisateurs.trices dont les films nous arrivent. Et très souvent on découvre que des femmes ont dû prendre des pseudonymes masculins afin de pouvoir éditer, mais aussi pour réaliser. On a besoin d’un masque masculin pour pouvoir avancer. Mais bien sûr, ensuite, on  réattribue les œuvres à leurs autrices.

Loïe Fuller (1869-1928)

Évoquer la danseuse Loïe Fuller au milieu de ces femmes cinéastes peut sembler anecdotique, pourtant la conception du mouvement de l’inventrice de la « danse serpentine » peut apparaître comme proprement cinématographique. Passionnée par la technique, Loïe Fuller créé des jeux de miroir et de lumière pour animer son impressionnant costume de voile, dont Alice Guy et certains opérateurs Lumière captureront la danse. Toujours en quête d’un perfectionnement de son esthétique, l’histoire dit qu’elle aurait été jusqu’à vouloir se créer un costume en radium, idée que Pierre et Marie Curie l’ont heureusement découragé de concrétiser !

Germaine Dulac

 

Germaine Dulac bénéficie de cette période de la guerre de 14, durant laquelle les hommes sont moins présents dans les studios. Elle réalise ses premiers films en 1915, dans la mouvance de la première vague du cinéma français (Marcel L’Herbier, Abel Gance..) qui les possibilités de cette art nouveau : Que peut raconter le cinéma que les autres arts ne peuvent dire ? Comme celle qui l’ont précédé, Germaine Dulac innove et porte une attention toute particulière à la technique, notamment dans sa manière de penser la bande son comme partie intégrante de l’image, qui doit faire sens avec elle. Egalement théoricienne elle publie ses Ecrits sur le cinéma (1919-1937) qui donnent à voir sa vision du 7 e art.

Mais le tournant de l’entre deux guerres va arrêter dans leur course le mouvement de ces femmes. Dans les studios elles sont renvoyées à des postes dits « féminins » (script, monteuse (puisque les machines de montage « ressemblent à des machines à coudre »). En Europe les régimes fascistes les évincent des studios et de la profession, Lotte Reiniger doit quitter l’Allemagne sous la menace d’Hitler pour continuer ses films de silhouettes, Elvira Notari ne peut quasiment plus tourner en Italie.

Nicole Vedrès (1911-1965)

Ces figures de femmes, évincées par la guerre, une réalisatrice de l’après seconde guerre mondiale va contribuer à leur rendre une visibilité. De formation plus littéraire (romancière, essayiste, chroniqueuse, dramaturge), Nicole Vedrès va réaliser le premier film de montage d’archives, Paris 1900,  qui témoigne de la vie du Paris de la belle époque. Son travail est salué par André Bazin et Alain Resnais, alors jeune assistant, qui porte un intérêt tout particulier à sa technique de montage.

Agnès Varda et les années 60-70

En amont de cette master class, ses organisatrices sont allées rencontrer celle qui a reçu l’an dernier l’Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, l’occasion de revenir sur cette place des femmes dans le cinéma et son évolution, de la Nouvelle Vague à nos jours.

Carole Roussopoulos et les Insoumuses

Parmi les premières pionnières féministes de la vidéo légère en France, Carole Roussopoulos achète l’une des premières machines portapak de Sony et capture le sursaut féministe des années 70. Hélène Fleckinger, maîtresse de conférence à Paris 8, qui a consacré certaines de ses recherches à Carole Roussopoulos est revenue sur cette période de création féminine : « Dans cette lignée de prise de conscience d’une oppression spécifique à l’égard des femmes, on a une convergence  entre les pratiques féministes et l’invention de la vidéo légère, qui est une technique qui permet de filmer dans la longueur avec son et image synchronisés, sans passer par l’étape du développement en laboratoire. Ce sont donc des objets filmiques militants, qui vont circuler de manière alternative (…) en termes de production ce qui est intéressant c’est que les femmes s’emparent de cette technique pour gagner en autonomie. Elles proposent de nouvelles images qu’elles diffusent elles-mêmes. Mais ce circuit alternatif et militant met du temps à toucher les milieux professionnels du cinéma.

Carole Roussopoulos, Nadja Ringart, Delphine Seyrig, Ioana Wieder fondent ensemble les Insoumuses, collectif féministe qui va utiliser la vidéo légère pour donner une visibilité à leur parole. En 1975, Delphine Seyrig assiste ainsi avec consternation à l’émission télévisée  «  L’Année de la femme, ouf c’est fini ! » présentée par Bernard Pivot. L’émission, qui se veut espiègle et humoristique multiplie ainsi les poncifs sexistes, avec pour invitée Françoise Giroud, alors chargée du secrétariat à la condition féminine. Consternée, Delphine Seyrig l’enregistre et propose au Insoumuses de détourner l’émission par un remontage d’images. « Maso et Miso vont en bateau » sort exceptionnellement à l’Olympique Entrepot tenu par Frédérique Mitterand, avec pour préambule ce tract, distribué par les Insoumuses :     « Nous sommes quatre téléspectatrices françaises, le 30 décembre 1975 après avoir vu sur Antenne 2 l’émission de Bernard Pivot «  L’année de la femme, ouf c’est fini ! » nous avons éprouvé un besoin impérieux d’exprimer notre point de vue, de répondre. Exactement comme des télespectateurs.trices auraient eu envie de le faire, si, au terme de L’Année de la Population( 1974), la direction avait demandé à Bernard Pivot une émission «  détendue, amusante et espiègle » avec gags, chansons et scénettes sur les familles au Sahel, au Biafra, au Bengladesh, et qu’un ministre ait accepté d’en être l’invité d’honneur. »

Danielle Jaeggi

Présente au cours de cette table ronde, Danielle Jaeggi, qui a réalisé 8 courts métrages, majoritairement dans les années 70 et un long métrage (La Fille de Prague avec un sac très lourd ( 1979), est revenue sur sa carrière et sur les difficultés inhérentes au fait d’être femme réalisatrice. La salle a ainsi pu découvrir Sorcières-Camarades ( 1971), son premier court-métrage féministe qui utilise le montage pour diffuser ce discours féministe et montrer la violence faite aux femmes. Pour la réalisatrice, la deuxième vague du féminisme ( 70) a vraiment fait bouger les choses, en permettant notamment aux femmes d’accéder plus largement à la réalisation. Et même si elle s’est atténuée, depuis ses années d’études à l’IDEHC où l’on suggérait aux femmes de faire script ou monteuse pour y entrer, la  répartition genrée ( consciente et inconsciente) est une problématique toujours aux concours d’entrées des écoles de cinéma.

Pour aller plus loin :

Alice Guy
Musidora
Germaine Dulac

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