Paris, 1960, Edgar Morin et Jean Rouch tournent Chronique d’un été un documentaire de « cinéma-vérité » qui questionne le rapport au bonheur, au travail et aux idéaux en général dans cette société de l’après Seconde Guerre mondiale, du baby-boom et des Trente Glorieuses. Avignon, 2018, inspirée de ce film, la pièce J’abandonne une partie de moi que j’adapte mise en scène par Justine Lequette repose intelligemment ces questions.
1960 : Edgar Morin et Jean Rouch
On est d’abord plongés dans les années 60 et la reconstitution de plusieurs scènes de Chronique d’un été. Atmosphère parfaitement recréée sur scène grâce à un décor et des costumes simples mais très réussis ainsi qu’un jeu d’acteur très juste. Les quatre comédiens (trois garçons, une fille) reproduisent à la perfection et sans jamais tomber dans la caricature les expressions et le parlé si typique de ces années-là. On voit défiler devant nous Edgar Morin et sa gouaille, Jean Rouch et son érudition timide, une jeune femme incertaine, un étudiant déjà déçu, des ouvriers en colère. Sont-ils heureux, aiment-ils leur travail, quels sont leurs rêves (en ont-ils encore) ? En creux se dessine un portrait de la France d’alors, une France qui aspire au bonheur, qui subit un travail souvent lénifiant, qui rêve d’insouciance et de temps délicieusement perdu.
Reconstitution efficace et pertinente, jamais surannée ni ennuyeuse, la pièce sait également être drôle et légère comme en témoigne les quelques passages chantés et dansés qui emporte et font passer d’une époque à l’autre.
2018 : Emmanuel Macron
Subitement, nous somme en 2018. Exit les robes et cravates sixties, bonjour costume gris triste, jean moulant et sweat à capuche. Sur scène, un ersatz d’Emmanuel Macron expose sa vision du travail et de l’entrepreneuriat, seules voies vers l’épanouissement personnel et le bonheur. Face à lui, des citoyens de 2018 dignes héritiers de ceux du documentaire de Rouch et Morin semblent tout aussi sceptiques que leurs ancêtres et seulement à demi-heureux.
Toujours aussi ludique, cette deuxième partie s’avère cependant un peu moins subtile que la première. On regrette notamment que la figure d’Emmanuel Macron et de ses idées politiques soit convoquée au second degré avec toute l’ironie dont le « théâtre de gauche » est capable. Il aurait surement été plus intéressant et, in fine, plus politiquement critique (et incorrect) de citer cette approche de la « valeur travail » au premier degré, telle qu’elle est reçue par ceux qui y adhèrent.
Toutefois, on demeure conquis par l’ensemble, et en particulier par les ultimes scènes qui expliquent le (très) beau titre de la pièce et font quitter la salle imprégné d’une mélancolie étrangement réconfortante.
J’abandonne une partie de moi que j’adapte. Festival d’Avignon OFF, Théâtre des Doms, 1 bis rue des escaliers Sainte-Anne. Horaires : 19h30 – Durée : 1h15 – Tarif : 18,50€, abonné 13€