Deuxième partie de l’entretien réalisé chez Paul Vecchiali, à Plan-de-la-Tour. Ses films entretiennent un rapport incestueux entre eux, déroulant une autre lecture possible à chaque nouvel essai. La cinéphilie de Paul Vecchiali s’exprime ainsi, par un goût du jeu de mots et un dialogue permanent avec l’histoire des formes. L’évocation de sa filmographie s’effectue donc dans un même mouvement, celui d’une croyance totale dans le cinéma.
Presque deux ans après la sortie du film Le Cancre, vous distribuez vous-même vos deux prochains films. Vous en êtes aussi le producteur par l’intermédiaire de la société de production Dialectik. Cela devient de plus en plus difficile de faire des films ?
Non. La difficulté a toujours été la même : il faut trouver l’argent. Si je distribue mes propres films, c’est pour les contrôler. Je n’étais pas satisfait de la distribution d’un de mes films intitulé C’est l’amour. C’est un travail fatiguant mais je suis assez rassuré quand je vois l’accueil des salles.
Dans le court métrage La Cérémonie, tous les techniciens sont regroupés dans la catégorie équipe lors du pré-générique. C’était une volonté d’afficher le caractère horizontal de la répartition des tâches lors du tournage ?
Oui, complètement. Quand on regarde Faux-accords, on voit Eric Rozier en tant qu’assistant mais aussi en tant qu’ingénieur du son. Il y avait un peu de ça à l’époque de Diagonale mais ce n’était pas construit. Nous nous sommes séparés ensuite.
Vous avez été déçu ?
Oui. Le fait qu’ils soient partis ne m’a pas déçu mais c’est plutôt la démarche d’aller voir chez des concurrents de même niveau. D’ailleurs, ils n’ont pas toujours été payés et les films ne sortaient pas toujours. J’ai même été insulté par certains, mais chez moi les films sortaient toujours. Si tu me permets cette remarque, j’avais l’impression qu’il fallait guillotiner Robespierre.
À la fin du film Le Cancre, Rodolphe (incarné par Paul Vecchiali lui-même) meurt en apercevant, en surimpression, le visage de Marguerite (Catherine Deneuve) dans la mer. Le film est essentiellement constitué de flashback et la mort apparaît comme douce et légère. Cette construction s’est imposée rapidement lors des phases d’écriture ?
Oui, bien sûr. Il y a une chose qui a changé lors du tournage, c’est la progression de la pluie. J’ai rajouté une séquence, celle où Pascal Cervo reçoit la lettre. C’était un bonheur de travailler avec lui car le film est constitué de moments d’improvisation. Une de mes scènes préférées dans Le Cancre, c’est celle du petit-déjeuner. J’ai annoncé à Pascal, la veille, ce qui allait se passer pendant cette scène.
Au vu de votre immense filmographie, l’entretien prendra la forme d’un long flashback où nous reviendrons sur vos films dans la perspective de vos deux prochains qui sortiront au printemps. Avant cela, vous avez écrit un papier dans Les Cahiers du cinéma au moment de la mort de Danielle Darrieux. Elle apparaît dans plusieurs de vos films. Qu’est-ce qu’elle représentait pour vous ?
Tout. À six ans, j’ai vu une photo du film Mayerling. C’est ma mère qui m’a indiqué son nom. Je l’ai vu trois fois de suite à sa sortie. Quand j’ai décidé d’arrêter le cinéma, Danielle Darrieux était présente lors d’une rétrospective de mes films à la Cinémathèque française. Elle a interpellé le public en leur disant de m’empêcher d’arrêter de tourner. Elle m’a fait renaître une seconde fois au cinéma.
On pourrait effectivement parler de deuxième mère puisqu’au moment de tourner En haut des marches, vous choisissez Danielle Darrieux pour jouer le rôle de votre mère. Ce film est traversé par le paradoxe, le doute. La voix du Maréchal Pétain est suivie de près par celle du Général de Gaulle dans plusieurs séquences. Pourquoi ce choix ?
Je pense que l’alternative collaboration/résistance n’existe pas. Partir, mais pour aller où ? Ce qui me pose problème, c’est lorsque l’on montre du doigt ceux qui sont restés. Il y avait aussi des salopards dans la Résistance. Henri Frenay a été dénoncé par Jean Moulin. Et le mot de résistance a été prononcé pour la première fois au café de France de Sainte-Maxime par Henri Frenay et mon oncle. Je déteste le manichéisme. Je n’ai pas fait ce film au hasard, j’avais des renseignements de tous les côtés. Il y a des actes ignobles accompagnés d’actes généreux chez la même personne.
Le paradoxe, le trouble traversent beaucoup de vos films. Sur ce point, Le café des jules est un film important puisque le viol qui se déroule à la fin du film ne peut pas être anticipé. Il n’y a pas d’explication au mal ?
Le viol a-t-il eu lieu ? Le film pose la question. Je pense que personne n’a qu’une seule facette. Quand je vois ça dans un film, je trouve ça bidon. Je ne crois pas à la sainteté ni à la saloperie intégrale. Il y a des actes ignobles accompagnés d’actes généreux chez la même personne.
C’est une idée que l’on retrouve dans La Machine où le personnage joué par Jean-Christophe Bouvet ne pense pas avoir fait quelque chose de mal.
Pour faire ce film sur la peine de mort, il fallait prendre des gens qui sont dans les cas les plus graves. Je n’ai pas travaillé sur le sujet, c’est Bouvet qui s’est renseigné. Le film est presque entièrement improvisé. La machine, ce n’est pas exclusivement la guillotine, c’est aussi la machine des médias. Concernant la pédophilie, il y a quelque chose de dérangeant dans les débats suscités depuis quelques années. Évidemment je suis contre le viol mais on est en train de brider la sexualité des enfants. J’ai fait l’amour pour la première fois à treize ans avec une femme qui avait vingt ans de plus que moi. Je ne la remercierai jamais assez. Les enfants sont très curieux de la chose sexuelle, de façon spontanée. C’est dangereux de mettre un barrage à ça. Si j’avais eu un enfant, j’aurais peut-être tué s’il avait été violé. Mais la question de la sexualité ne doit pas être cachée aux enfants.

Jean-Christophe Bouvet au centre et Paul Vecchiali à gauche dans “La Machine”
On en vient à la question de la résistance. C’est Rosa qui tente de quitter un système de domination dans Rosa la rose, fille publique, des femmes dans Change pas de main pour qui la pornographie est affaire de politique. Le sexe est omniprésent dans vos films. Avant l’acte sexuel dans Change pas de main, un personnage dit qu’elle a envie de vomir. On fait l’amour quand on ne va pas bien. Est-il un acte de résistance au monde ?
Je le pense mais je n’ai pas vu ça dans mes films. Ce n’est quelque chose qui n’est pas conscient mais cette réflexion m’intéresse.
Change pas de main est considéré comme l’un des premiers films hardcore français. Vous infiltrer le cinéma pornographique en lui accolant des réflexions politiques et sociales. Que retenez-vous de cette expérience ?
C’est le premier film hardcore français. Je ne m’en flatte pas, c’est historique ! Jean-François Davy a vu Femmes, femmes et il était étonné que je tournais si peu. J’étais en train de devenir un objet culturel et ça ne me plaisait pas. Il m’a dit qu’il ne pouvait trouver de l’argent qu’à l’unique condition de réaliser un film pornographique. Je lui ai imposé deux conditions : une liberté totale du scénario et la possibilité d’embaucher tous les gens qui ont travaillé sur Femmes, femmes. Le film a été sélectionné à Venise et des personnes ont cassé les portes pour pouvoir entrer lors de la projection de presse. J’ai fait une grande réunion avec les journalistes et j’ai demandé à ce que le film soit retiré du festival.
Très tôt, votre cinéma a intégré la problématique du Sida. Once more préfigure en bien des points 120 battements par minute de Robin Campillo. Avez-vous vu ce film ?
Non. Et je n’ai pas du tout envie de le voir.
Roland Vincent est votre compositeur depuis plus de 40 ans. Comment travaillez-vous avec lui ?
Lorsque j’ai écrit L’étrangleur, je pensais à Léo Ferré pour la musique. Il était emballé par le projet, nous nous sommes rencontrés et son assistant m’a dit, juste avant un concert, qu’il ne pourra pas faire la musique malgré ses dires. En effet, il avait beaucoup trop de travail. Au téléphone, Léo Ferré m’a soufflé le nom de Roland Vincent. J’arrive chez lui et il refuse que je lui raconte le film. Il me demande de lui parler et je lui évoque la nuit. Dans la foulée, il m’invite à dîner le lendemain soir. Lorsque j’arrive, il me joue le thème de la nuit et c’est la première fois qu’un musicien arrivait à rentrer dans ma tête. Après, c’était à la vie à la mort avec Roland. Lorsque l’on travaille sur un film, je lui parle de l’ambiance. Il fait la musique avant le film. Je n’ai jamais refusé aucun de ses thèmes pour mes films.
Dans tous vos films, la couleur bleue est omniprésente. C’est une couleur qui dégage un sentiment de nostalgie dans votre œuvre. C’est avec cette couleur que vous habillez Danielle Darrieux dans En haut des marches, par exemple. D’où vient ce goût ?
Le bleu, c’est la vie. Je suis méditerranéen, la vraie raison, elle est là. Et puis, cette couleur n’est pas trop référentielle. Le rouge est souvent associé à la violence ou à la passion.
Le numérique permet une certaine mobilité. Vous avez utilisé l’iPhone dans votre adaptation de Nuits blanches sur la jetée. Qu’avez-vous utilisé comme matériel pour ce film ?
Philippe Bottiglione est vraiment le fils de Georges Strouvé. Brusquement, sur Nuits blanche sur la jetée, j’ai proposé de faire à l’iPhone les scènes de jour. Ceci dit, je me plie vraiment aux recommandations de mes collaborateurs. Au démarrage, c’est moi qui filmait à l’iPhone sur Nuits blanches sur la jetée. Le seul problème, c’est qu’il n’est pas possible de régler la vitesse et il faut avoir recours à un trucage pour la rétablir correctement.



Pascal Cervo et Astrid Adverbe dans “Nuits blanches sur la jetée”
Un cinéaste comme Quentin Tarantino est très nostalgique du 35mm.
Pas étonnant, c’est un prédateur. Je l’ai rencontré à Lyon. On sent l’amour du cinéma chez lui mais je ne lui pardonne pas. On peut le rapprocher de Sergio Leone.
Il était une fois en Amérique est un film magnifique.
Je trouve ça dégueulasse.
Pareil pour les films de Jean-Pierre Melville ?
Oui. Il était persuadé d’être génial et son narcissisme l’a bouffé. Il n’y a pas de lucidité possible sans humilité. Je ne dis pas que j’ai raison mais au bout de quatre plans, j’ai envie de détruire l’écran.
Contrairement à Godard, allez-vous toujours au cinéma ?
Pour être franc, non. Mais je vois trois films par jour chez moi. Les blockbusters ont envahi les écrans. Je ne vais pas voir certains films en salle car j’ai peur des réactions que je pourrais avoir. Je n’ai pas envie de faire chier les autres. Une fois, je suis sorti d’une pièce de théâtre pour pouvoir hurler. La pseudo modernisation des classiques me rend fou.
Noël Simsolo, l’un de vos amis et scénariste de plusieurs de vos films, dit abandonner le cinéma. Il se sépare de ses livres, de ses DVD. Qu’en pensez-vous ?
Je crois qu’il va très mal et en faisant cela, il crée lui-même sa propre perte. Il y a toujours des films à découvrir. Tu connais le film La petite Venise ? C’est absolument magnifique. C’est l’histoire d’une petite chinoise qui a un fils et elle travaille pour gagner de l’argent afin de ramener son fils. Elle va tomber d’amitié avec un monsieur assez âgé et tout le monde va croire qu’ils baisent. Ce dernier se fait tuer par la suite. J’ai été bouleversé.
je crois qu’il n’y a plus de cinéphilie
En 2010, votre encinéclopédie sur le cinéma français des années 1930 sort. C’est un ouvrage en deux parties d’une grande richesse. Quel est votre rapport à la critique de cinéma ?
Une critique négative et argumentée est plus intéressante pour un réalisateur qu’une critique positive. Même si je ne suis pas d’accord, j’ai un regard différent porté sur mon film. C’est un peu comme un contre-champ, figure cinématographique que j’utilise peu d’ailleurs. Ceci dit, je crois qu’il n’y a plus de cinéphilie. Il y a des gens qui aiment le cinéma mais ce n’est plus une langue commune. Concernant les critiques, je n’ai jamais écrit un papier sans avoir vu le film au moins trois fois.
Qu’est-ce qui vous semble perdu du cinéma français des années 1930 ?
C’était un cinéma des sentiments et des personnages et la Nouvelle vague, qui a fait un travail formidable mais pas toujours, a travaillé dans la cérébralité. Il a fallu les années 1970 pour revenir, en se servant des leçons de la Nouvelle vague, à cette idée des personnages et des sentiments. Aujourd’hui, je ne sens pas la raison profonde de l’existence des films. Quand on voit Les Petits mouchoirs, c’est aberrant jusqu’au happy end qui vise le consensus total. Je ne parlerai pas du cinéma de Dany Boon car il a ramené de l’argent dans l’industrie. Besson, c’est pareil. Il fait des mauvais films mais il aime le cinéma.