SOCIÉTÉ

La longue épopée de la formation du gouvernement italien

Les élections générales du 4 mars 2018 ont marqué la sortie du gouvernement des partis centristes modérés et pro-européens italiens pour faire place à une coalition anti-système issue des majorités de deux partis populistes. Alors que beaucoup les sépare, ces faibles majorités ont réussi à concilier leurs agendas pour démarrer leur politique conservatrice et eurosceptique.

La victoire du populisme en Italie

Le 4 mars 2018, les électeurs italiens ont fait gagner deux partis populistes aux élections des sénateurs et des députés. Les deux faibles majorités dégagées ont rendu la formation d’un gouvernement difficile. Deux mois plus tard, le parti de la Ligue, qui défend des idées d’extrême-droite, et le Mouvement 5 étoiles, qui s’attarde lui sur la lutte contre la pauvreté et la préservation de l’environnement, réussissaient quand même à se mettre d’accord sur la rédaction d’un « contrat de coalition » afin de gouverner. Le choc est grand, car en Italie ce n’est pas le Président de la République qui gouverne mais le Président du Conseil des Ministres, issu traditionnellement du parti vainqueur aux élections des membres du Parlement et du Sénat.

Les résultats des élections législatives n’étaient pas prévisibles par les sondages. Le plus surprenant n’est pas la défaite des partis de gauche et de droite, mais la crise politique engendrée par une coalition forcée entre les deux partis populistes opposés.

© lintrapredentre. Le Mouvement des 5 étoiles est élu par le Sud pauvre et la Ligue par le Nord riche

En effet, si les résultats restent une surprise, des évènements précédents annonçaient au moins une chute du Parti démocrate de centre-gauche en place depuis 2013 à la présidence du Conseil des ministres. Mattéo Renzi du Parti démocrate, Président du Conseil des ministres de 2014 à 2016, avait perdu le soutien de ses électeurs, ce qui s’était matérialisé par un rejet au référendum qu’il avait organisé sur l’abolition du Sénat. En 2011, une réforme très impopulaire des retraites, la loi Fornero, avait été votée, mais sera abolie dans le programme prévu par le nouveau gouvernement. Le Parti démocrate en place était le seul vrai grand parti pro-européen aux élections de mars, les eurosceptiques étaient donc quasiment certains de gagner en Italie. Le Parti démocrate, malgré une vraie reprise économique en Italie, n’a pas réussi à convaincre à nouveau les électeurs.

Une nouvelle formation originale

Il fut tout d’abord compliqué de désigner un Président du Conseil suite aux élections, car les deux partis majoritaires ne s’étaient pas démarqués l’un de l’autre, et les deux leaders souhaitaient diriger le gouvernement sans avoir obtenu un score suffisant aux élections législatives. Giuseppe Conte, un nom inconnu, nouveau venu sans passé politique, aussi frais que son gouvernement, et surtout un homme sans étiquette, vint donc apporter un équilibre à une situation déjà désignée de catastrophique. Malgré les émois de la presse et des commentateurs, les partis populistes sont restés déterminés et ont pu agir afin de s’aligner, une fois qu’un Président a été désigné.

Mais l’accès au pouvoir du populisme, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, ne s’est pas fait sans tumultes. Fin mai, le refus par le Président de la République Monsieur Mattarella de nommer Paolo Savona comme ministre de l’Economie et des Finances, un candidat de la Ligue eurosceptique présenté par Guiseppe Conte pour rejoindre son gouvernement, a provoqué une crise institutionnelle de courte durée, mais marquante. Guiseppe Conte avait alors menacé de quitter son poste, tout juste après avoir été choisi d’un commun accord difficile entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles. Le leader de la Ligue s’indignait qu’assurément, l’Allemagne avait manipulé le Président, et les deux partis populistes demandaient le départ de Monsieur Mattarella, démocrate-chrétien. Si le Président de la République italien a peu de pouvoir en Italie, il avait au moins celui-là d’approuver la liste des Ministres choisi par le Président du Conseil, ce qui semblait être déjà trop pour les populistes. On parlait déjà de nouvelles élections législatives à l’automne quand le Président de la République a trouvé un joyeux compromis, celui de garder un ministre de l’Economie pro-européen et de nommer Paolo Savona au poste de Ministre des Affaires Européennes.

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Ce résultat reste pourtant cohérent avec la direction prise par le gouvernement, et qui a été annoncée une fois que cette crise fut dépassée, grâce à cette nomination. Au lieu de s’embarquer dans un mouvement eurosceptique visant à la sortie immédiate de la zone Euro, le gouvernement italien actuel s’est engagé dans la voie des discussions avec Bruxelles. Afin de sortir de sa crise de la dette, l’Italie ira renégocier les critères du pacte de stabilité et de croissance de 1997 qu’elle n’arrive pas à respecter, et sans doute se défendre contre la politique de rigueur qui est inadaptée aux défis auxquels le pays doit faire face. Paolo Savona, économiste très populaire, souhaite une sortie de l’Euro et a qualifié l’Euro de « prison allemande » dans son dernier livre. Il pourra plaider sa cause, mais pas encore faire sortir le pays de la zone euro, seul à ce poste-là. Et le Ministre aux Affaires étrangères Enzo Milanesi, ancien Ministre des Affaires européennes de 2011 à 2014, reste un indépendant européiste convaincu.

Au sein du gouvernement, le jeune parti le Mouvement 5 étoiles, non entaché par quelconque affaire de corruption, sera représenté par ses Ministres naturellement mis en charge du Travail, des politiques sociales, de la démocratie directe, du Sud, de la Justice, ou encore de la Santé. Assez naturellement aussi, les Ministres de la Ligue, de riches personnalités politiques de droite du Nord, ont pour leur part reçu la direction du Ministère de l’Intérieur, de l’Administration publique, des Affaires régionales et des Autonomies, de la Famille et du Handicap ou encore des Politiques agricoles, alimentaires et forestières.

Le Mouvement 5 étoiles n’avait pas de valeurs sociales définies, ni d’appartenance réelle à la gauche ou à la droite, ainsi ce sont les valeurs conservatrices qui sont préférées aux valeurs progressistes. On ne s’étonnera pas que le nouveau Ministre de la Famille ait déclaré que « les familles homoparentales n’exist(ent) pas au regard de la loi et qu'(il) souhait(e) dissuader les femmes d’avorter ». (Rfi.fr)

Quel désastre annoncé ?

L’agenda de la politique intérieure du nouveau gouvernement populiste coïncide avec les attentes des électeurs qui ont voté pour une nouvelle suite pour l’Italie en mars dernier. Le « contrat de coalition » populiste qui a relevé le défi d’être approuvé à la fois par les militants de la Ligue et par ceux du Mouvement 5 étoiles marque un démarrage plus positif qu’initialement espéré : même si les négociations ont été longues, les deux partis au pouvoir se montrent soudés. Au programme, des mesures que l’on retrouve aussi dans les actuels agendas français et britanniques : moralisation de la vie publique, lutte contre la corruption, réduction du nombre de parlementaires et de sénateurs, un plan contre la délinquance, ou encore des mesures anti-immigration, et comme en Grèce là où la crise de la dette est la plus forte, un refus de l’austérité due aux exigences de Bruxelles.

© jolpress.com

La prochaine politique extérieure de l’Italie, elle, pourrait bien davantage être la marque de la nouvelle identité populiste propre à l’Italie. D’abord, 500 000 migrants clandestins devraient être déportés car il n’est toujours pas question du côté des autres Etats membres de décharger l’Italie du poids de la crise migratoire, alors que les citoyens ont voté pour des partis eurosceptiques. Pour le reste, il y a assez pour inquiéter un pays comme la France. L’Union Européenne a voté un nouveau budget qui montre moins de solidarité envers la Politique Agricole Commune (PAC), or la France en est principale bénéficiaire et risque d’en pâtir, alors que dans le même temps l’Italie change de visage et se passionne sur la question d’une sortie de l’Euro. Le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, de façon déplacée selon les Italiens, s’est empressé, dans une déclaration publique, alors qu’il n’est pas Président de la République, de signifier au gouvernement populiste que la politique anti-austérité mettait en danger la « stabilité de la zone euro ». Matteo Salvini, leader de la Ligue, n’a pas manqué de lui rappeler de se mêler de ses propres affaires, alors que le Ministre français voulait l’alerter de l’interdépendance entre Etats liés par la monnaie unique.

Cependant, dans la réalité, alors qu’on disait que le Mouvement 5 étoiles demandait un référendum sur la sortie de la zone euro et que la Ligue affirmait que l’Euro était une erreur, le discours est maintenant tout autre. L’Italie parle plutôt de réformer la zone euro de l’intérieur et veut mener des discussions avec les autres membres. Le gouvernement aurait aussi le projet de créer une monnaie parallèle, un dispositif aussi expérimenté avec succès à plus petites échelles par exemple dans des régions en France, mais le dispositif reste ambitieux et de grande envergure. Sandro Gozi, ancien secrétaire d’Etat du Parti démocrate, pense aussi que dans le cas où la Ligue serait trop extrémiste, elle pourrait être rattrapé par la droite qui romprait son alliance pour se rapprocher du Parti démocrate.

L’Italie veut aussi abandonner le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, seul projet phare qui est estimé trop coûteux, et qualifié d’inutile. L’Italie souhaite aussi resserrer ses liens avec la Russie. Dans le « contrat de la coalition » il est envisagé « une ouverture vers la Russie, qui ne doit pas être perçue comme une menace mais comme un partenaire économique et commercial » (Le Point.fr). L’Italie voudrait que l’Union Européenne retire les sanctions qui ont été imposées en 2014 à la Russie, après l’invasion de la Crimée. Et l’Italie met en avant le rôle que pourrait jouer la Russie dans la pacification du Moyen-Orient. La Russie est un allié contre les djihadistes, mais freine l’établissement d’une démocratie en Syrie en soutenant militairement le régime de Bachar Al-Assad.

Une vision de la politique internationale que partage plutôt aussi le « Rassemblement » national en France (ex-Front national), qui a aidé le mouvement régional qu’était la Ligue « du Nord » à se former en véritable parti politique d’extrême-droite (Le Monde.fr). La Ligue du Nord s’est d’ailleurs renommée la Ligue à partir des élections de mars 2018. Un moyen peut-être de faire oublier son appartenance régionale dans une Italie divisée entre le Nord prospère et proche de l’Europe et le Sud touché de plein fouet par le chômage et qui a voté pour le Mouvement 5 étoiles. C’est aussi le moyen par exemple l’affaire de corruption datant de 2012, alors que le gouvernement de Conte veut lutter contre la corruption de la classe politique.

© dailymail.co.uk

Une politique de relance en Europe, solution ou illusion ?

Paradoxalement, l’Italie ne fait pas le choix de tourner le dos à l’Europe, et le nouveau gouvernement populiste pourrait même négocier avec l’Union Européenne pour que la politique européenne fasse d’abord sortir les citoyens de la pauvreté. Au vu de la situation de crise en Italie, le gouvernement pourrait faire valoir un manque d’Europe sociale qui pèserait d’abord sur son peuple. L’Italie militerait ainsi pour ne pas être sanctionnée en cas de non-respect des critères de convergence économique, afin que le pays puisse lutter efficacement contre la crise. Dans le « contrat de gouvernement », les populistes souhaitent en cela exclure du calcul de la dette les rachats d’obligations opérées par la Banque centrale européenne (BCE) (Reuters), donc renégocier la dette italienne.

La politique de relance est la solution trouvée pour vaincre le chômage qui s’élève à plus de 30 % dans les régions les plus en crise. Elle sera matérialisée par de premières mesures qui visent à réduire les prélèvements fiscaux sur les entreprises et les particuliers (mesure de la Ligue) et à instaurer un revenu de solidarité de 780 euros à destination des familles les plus pauvres (mesure du Mouvement 5 étoiles). Les deux partis populistes ont une vision cohérente car elle converge vers des objectifs communs : plus de politiques en faveur des défavorisés et un rejet des contraintes européennes. Par exemple, il serait possible de partir plus tôt à la retraite et le gouvernement italien souhaite rendre les crèches gratuites, ainsi qu’enlever la TVA sur les produits de la petite enfance.

La politique de croissance vise à augmenter le PIB grâce à la stimulation de la demande interne et non pas grâce à la perception des impôts, dans un système compétitif. Mais les mesures se chiffrent en une centaine de milliards d’euros et il n’est pas encore dit comment elles pourraient être financées. Rien n’est encore fait, et l’Union Européenne invite pour l’instant le pays à « mener une politique budgétaire raisonnable ». (Europe1.fr)

 

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