CINÉMA

Annecy 2018 – Du Brésil au Cambodge, il n’y a qu’un dessin

Le plus grand festival de cinéma entièrement dédié à l’animation du monde vient de fermer ses portes. Non, il n’est ni à Cannes, ni à Berlin, Venise, Locarno ou Paris, il est à Annecy. Devenu une véritable institution, cette nouvelle édition était the place to be mi-juin pour les passionnés de bon cinéma et les amateurs de bonnes glaces. Retour sur ces quelques jours…

Le Festival international du film d’animation d’Annecy vient de prendre fin, ce 16 juin 2018. Son délégué artistique, Marcel Jean, clôture ainsi une 42e édition d’un des festivals de cinéma qui prend de plus en plus de place dans l’industrie mondiale. Il s’agissait déjà du plus grand festival de cinéma dédié à l’animation du monde, et il continue à prendre de plus en plus d’importance malgré sa proximité temporelle avec Cannes. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’augmentation importante en quelques années du nombre d’accrédité : 11700 cette année, soit une augmentation de 17 % par rapport à l’an passé. L’ambiance survolté et bon enfant, mêlant animation du monde entier et traditions décalées, voit cette année triompher le premier film du français Denis Do, Funan, pour les longs-métrages, et le flamand Nienke Deutz avec son Bloeistraat 11, chez les courts-métrages.

Une édition sous influence politique

Chez les longs-métrages, on s’avouera volontairement assez surpris : l’accueil fait à Funan lors de sa présentation en compétition, salle Bonlieu, a été particulièrement chaleureuse, mais la compétition était rude, personne n’avait réellement le dessus… Sauf Mirai de Mamoru Hosoda, qui semblait en effet remplir le ticket gagnant dès le départ. Troisième fois en compétition à Annecy, où il avait déjà remporté un prix pour La traversée du temps (2007), il revient en France après la présentation en première mondiale à la Quinzaine des réalisateurs de nouveau film. C’était l’événement de la compétition et c’était, à l’évidence, la production la plus aboutie. L’occasion de lui remettre le Cristal du long-métrage, après des cinéastes japonnais comme Hayao Miyazaki, Isao Takahata ou encore l’année dernière Maasaki Yuasa ? Sans doute donner le prix à Denis Do revenait à récompenser un jeune talent, un film sur lequel il planchait depuis presque 10 ans. Dédié à sa mère et aux victimes des Khmers rouges, Funan raconte l’histoire d’une famille traversant la dictature communiste au Cambodge de manière très touchante et personnelle. Funan sortira en France en mars 2019.

L’autre grand gagnant cette année est Parvana, une enfance en Afghanistan, sorti aux États-Unis sous le nom The Breadwinner, de Nora Twomey. Nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation, le film est un portrait à la fois de la société afghane sous dictature talibane et d’une jeune fille obligée de se déguiser en homme pour faire survivre sa famille. La force du film est vraiment de pouvoir retranscrire l’horreur de la situation, tout en restant une œuvre accessible au grand public… C’est aussi une belle lettre d’amour aux conteurs d’histoires, comme Parvana, ou même la réalisatrice, qui aident à supporter, à surmonter, l’insupportable. Lauréat à la fois du Prix du jury et du Prix du public, sans doute que Parvana sera très bien accueilli à sa sortie en salle, le 27 juin.

On notera en tout cas la forte politisation des œuvres présentées – en compétition mais aussi hors-compétition – en plus des films sus-cités. Citons notamment The Wall de Cam Christiansen, sur le mur entre Israël et Palestine, ou Seder-Masochism de Nina Paley, un pamphlet anti-religion extrêmement brutal. On peut aussi nommer Ce Magnifique gâteau ! et Make it Soul, présentés ensemble dans un double programme aussi formidable qu’exceptionnel, et qui résonnent tous les deux avec leurs connotations politiques. Le premier parle frontalement du colonialisme, en soulignant l’horreur par l’ironie, par l’absurde, voire par le fantastique. Le second, sublime hommage coloré à la musique soul et à James Brown, vient par petites touches parler du contexte social américain des années 1960 – qui trouve des échos bien tristes avec nos sociétés. C’est sans doute ce lien discret, politique donc, qui justifie d’une projection commune. Annecy, c’est souvent une ambiance très , mais toujours derrière son vernis très réfléchi.

Des moments trop courts, mais si bon !

Il ne faut pas oublier qu’Annecy au tout départ n’était qu’un festival de court-métrage : une époque où monter un projet de long en animation était un parcours du combattant. C’est encore le cas, mais moins quand même. Le court, c’est toujours une promesse d’innovation, d’effort de mise en scène, et en animation, c’est aussi des expérimentations esthétiques, de couleurs, de formes, de techniques. Il y en a eu beaucoup, et parmi les lauréats, nous vous souhaitons de pouvoir découvrir Egg de Martina Scarpelli. Le premier court de cette italienne est un voyage terrifiant dans la psyché d’une femme anorexique, où le corps devient prison et la folie s’installe lorsqu’elle se retrouve obligée à devoir manger un œuf dur…

Un festival a besoin de moments forts, et il y en a eu beaucoup pendant le festival. On pourrait citer l’avant-première des Indestructibles 2 en présence de Brad Bird, heureux récipiendaire du Cristal d’honneur 2018 – grande réussite au vu des attentes que suscitaient le projet. Quelques mots aussi sur Bao, le court-métrage de Domee Shi présenté avant le long de Brad Bird. Elle est la première femme réalisatrice de l’Histoire de Pixar, un joli petit film sur la relation entre une mère et son précieux ravioli vapeur anthropomorphe.

Plusieurs anniversaires, dont celui de Mon Voisin Totoro à Annecy, qui ne vieilli par malgré ses trente ans. Il vient de ressortir en salle, nous ne pouvons que chaudement vous le recommander – c’est toujours un chef d’œuvre. Pour les personnes nées dans les années 1990, peut être avez vous grandi avec Le Prince d’Égypte qui fêtait ses vingt ans dans une sublime version restaurée, et qui ressortira prochainement. Enfin, parmi les beaux moments du festival, on citera le documentaire de Fabrice du Welz, Des Cowboys et des Indiens : le cinéma de Patar et Aubier, traitant comme son nom l’indique de l’œuvre de Patar et Aubier (Panique au village,…). Au-delà du portrait touchant de réalisateurs Vincent Patar et Stéphane Aubier, il est intéressant de voir que les thèmes cher au réalisateur de Alléluia et Calvaire sont bien présents ici : la passion dévorante qui s’extériorise dans une quasi-folie, dans l’espèce de désorganisation chaotique du processus de création des animateurs belges. Bref, un documentaire qu’on espérera pouvoir revoir !

Annecy, donc, c’est terminé. Fini les glaces, le lac, les avions en papier ! Si on ne connaît pas encore le programme (bien entendu), on sait déjà que le Brésil auquel on aura rendu hommage cette année – une cinématographie mal connue, donc un sujet intéressant – laissera sa place au Japon, pays à la cinématographie à l’inverse dense et connue du grand public, donc la promesse de films, de documentaires, d’expositions et de rencontres passionnantes ! Vivement juin 2019 !

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