CINÉMA

Un monde où les hommes s’épilent et portent des mini shorts

Eleonore Pourriat réalise le premier film français financé par Netflix, Je ne suis pas un homme facile, sorti le 13 avril sur la plateforme.

Eléonore Pourriat avait réalisé en 2010 le court métrage Majorité opprimée, visionné 15 millions de fois sur Internet et toujours disponible sur YouTube. On y suit la journée de Pierre et ses interactions, au sein d’un univers où les hommes sont sifflés, harcelés, agressés, par les femmes. Dans Je ne suis pas un homme facile, premier film français financé par Netflix, c’est le personnage de Damien qui se retrouve catapulté dans une autre réalité, pour le moins déstabilisante. Les hommes doivent s’épiler le torse en ticket de métro et militer pour leurs droits, dans un monde où il est normal qu’une cadre supérieure parle de ses règles ouvertement et qu’une Présidente gouverne.

Un quotidien bouleversé

Damien est un homme français, que certains qualifieraient peut-être de banal, d’autres de scandaleux. Il hèle les jolies inconnues dans la rue et crée des applications mobile où le pénis d’un homme a plus de personnalité qu’une femme.

Un soir, à la signature du livre de son meilleur ami Christophe, il rencontre son assistante, Alexandra. Il est charmé, mais Damien est sans doute charmé par toutes les femmes de sa classe d’âge. Quelques minutes plus tard, le simple passage dans la rue de deux jeunes filles, agacées par ses remarques, le distrait. Damien percute violemment le panneau indiquant la direction du cimetière du Père Lachaise, et s’écroule. Quand il rouvre les yeux, la voix de Christophe est lointaine, et peu à peu la réalité reprend forme. Le panneau indique la direction du cimetière de la Mère Lachaise.

Persuadé d’être au cœur d’incompréhensions, Damien tente de poursuivre sa vie normalement, c’est-à-dire en se comportant comme un homme… selon les mœurs d’une société patriarcale. C’était sans compter sur les mentalités des personnes l’entourant. Dans sa penderie, aucun jean, et seulement des vêtement colorés peu confortables. Au café du coin, deux hommes dont les cheveux sont recouverts d’un foulard se voient refuser la consommation par la patronne. Et la principale personnalité politique du pays est, bien évidemment, une Présidente.

Des hommes « phalliques » qui ont « leurs nerfs »

« Imaginez un monde où les femmes se font belles pour moi, c’est moi qui leur fais des compliments » explique Damien, excédé, sa nouvelle patronne… Alexandra. « Quelle horreur ! » réplique-t-elle en riant. Cette femme et ses congénères portent bien souvent des costards, ou se baladent torse nu, tandis que les hommes sont soigneusement apprêtés et désignés comme « mari de ». Si chez nous, on reproche facilement à une femme d’être hystérique, mot provenant du grec « utéra » qui signifie utérus, les hommes que fréquente dorénavant Damien « ont leurs nerfs » et on les accuse d’être phalliques.

Quand une femme (personnage incarné par l’humoriste Blanche Gardin) invite Damien à un rendez-vous amoureux Crédits photo : Allociné

Par d’habiles astuces sociales, esthétiques ou linguistiques, Eléonore Pourriat bouleverse les codes d’une société genrée habituellement dirigée par des hommes. En dépeignant avec justesse un sexisme ordinaire inversé, Je ne suis pas un homme facile révèle une réalité injuste mais normalisée, qui ne choque plus personne. C’est la plateforme de streaming Netflix qui a repéré, dès 2014, le court métrage Majorité opprimée de la réalisatrice, et lui a proposé de soutenir son travail. Elle leur a donc suggéré de créer une comédie romantique, dans le même monde inversé.

Comment ne pas être dérangé par cet univers où les femmes jonglent entre divers hommes, les entretenant financièrement et les conduisant dans de belles voitures, tout en les décrivant comme « rêvant tous de se caser ».

Un monde où ce sont les femmes qui changent les roues des voitures Crédits photo : Netflix

Quant aux parents du personnage principal, c’est sa mère qui coupe abruptement la viande dans la boucherie familiale et le père qui discute avec le client, aiguilles à tricoter entre les mains. C’est lui qui se lamente du célibat de son fils, ne lui souhaitant que de trouver chaussure à son pied, clé indispensable du bonheur pour un homme dans ce monde-là.

Le poids des tâches ménagères incombe maintenant aux hommes, qui doivent s’occuper des enfants, de la maison mais aussi de leur apparence physique. Enceintes, les femmes ne voient cette période que comme une autre parenthèse de liberté, loin d’être handicapante. Après l’accouchement, c’est le congé paternité qui est de mise, plaçant souvent les hommes dans une position professionnelle désavantageuse.

La comédie romantique inversée, le genre idéal pour révéler les stéréotypes de genre

Dans une interview accordée au podcast Sois gentille, dis merci et fais un bisou du site Madmoizelle, Eléonore Pourriat explique : « J’ai choisi comme genre la comédie romantique, parce que c’est le genre où tous les codes du rapport homme-femme sont exploités, tous les passages obligés d’une relation hétérosexuelle sont à vérifier. C’est schéma très précis que la comédie romantique, qui a une feuille de route très précise, il fallait tordre tous ces moments clé : la rencontre, le premier baiser, la première danse… Dans un monde inversé ça n’a pas la même gueule, et ça permet de déglinguer un système. On n’est pas libres, même dans ce moment d’intimité, on est limité par plein de codes et de diktats. »

Comme le souligne la journaliste qui l’interroge, les femmes ne dominent pas artificiellement dans Je ne suis pas un homme facile, mais toutes les positions de pouvoir habituellement cédées aux hommes appartiennent ici aux femmes, et ce sont elles qui disposent de la plus grande force physique.

Une banale réunion de travail Crédits photo : Netflix

Le film ne manque pas non plus de questionner la problématique des violences sexuelles et du consentement implicite, ou de l’impact de la pression sociale sur les relations entre les sexes. Des situations complexes et traumatisantes, tournées en dérision par sexisme dans les deux mondes, le nôtre, et celui du film. « Une fille, ça peut pas te forcer à faire un cunnilingus, ça existe pas ça » ricane Damien quand une victime lui fait le récit d’une expérience dérangeante.

Si Vincent Elbaz tient de prime abord le rôle principal, c’est le personnage de Marie-Sophie Ferdane, Alexandra Lamour, qui peu à peu lui vole la vedette. Le jeu de l’actrice est édifiant, libéré de tout carcan social normatif : elle agit comme une femme dans une société matriarcale. Elle mène la danse comme les hommes en ont l’habitude dans les films. Dans un entretien avec Slate, Eléonore Pourriat confie avoir écrit le rôle pour elle, et la décrit comme « la plus grande actrice de sa génération ». La prestation de l’actrice ne vient pas contredire ces propos.

Je ne suis pas un homme facile est un premier film du genre, et on attend avec impatience les inspirations auxquelles il donnera suite, enrichissant la réflexion et ouvrant les débats féministes, centrés sur une question : si une telle situation nous interpelle ou nous dérange en fiction quand elle concerne les hommes, pourquoi est-elle toujours acceptée dans la réalité si elle est vécue par les femmes ?

You may also like

More in CINÉMA