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Christophe – « Ce qui m’inspire le plus, c’est la beauté des femmes »

Christophe termine la réalisation d’un album de duo qui devrait sortir cet été. Après l’étourdissant Les Vestiges du chaos, il replonge dans ses anciens morceaux pour en proposer une nouvelle version, à la limite de l’expérimental. Étienne Daho, Laurent Garnier, Laetitia Casta… la liste des duo est longue. Nous l’avons rencontré, chez lui, pour un entretien à la tombée de la nuit.

Au moment d’arriver devant chez Christophe, le téléphone sonne pour annoncer du retard. Il vient tout juste de se lever au moment où d’autres commencent à dîner. Peu importe, le temps de boire un verre et l’artiste nous reçoit dans son salon. Entre les synthétiseurs et la table de poker se trouve Christophe. Il nous montre ses nouvelles bougies, conçues spécialement par lui. Curieux du regard des autres, il pointe du doigt les vestes qu’il a conçues pour avoir notre avis. Ses peintures occupent le mur aux côtés de photos d’Isabelle Adjani et d’Alain Bashung. La digression, c’est peut-être ce qui le caractérise le mieux lors des entretiens.

Pendant plus de trois heures, nous avons pu échanger avec lui sur son rapport à l’art, aux médias. L’album de duo annoncé est l’occasion rêvée pour revenir sur sa longue discographie, commencée il y a déjà un demi-siècle. Le virage électronique dans les années 1970 est indispensable pour comprendre la façon dont l’artiste évolue, toujours ouvert à de nouvelles sonorités. Cette quête du son, c’est ce qui n’a jamais cessé de poursuivre. En ce sens, chaque interprétation d’Aline, ou de n’importe quel morceau, est différente. Rencontre avec ce drôle d’oiseau de nuit qu’est Christophe.

Il est 19h, vous êtes debout depuis quelques minutes. Pourquoi travaillez-vous la nuit ?

Parce que je vis la nuit. Toi, tu travailles le jour parce que tu vis le jour. J’aime le silence de la nuit et pouvoir observer le lever du jour. Depuis que j’ai quinze ans, je vis comme ça. Quand le ciel est dégagé, la nuit, il n’y a rien de plus beau. J’aime aussi beaucoup la pleine lune alors que beaucoup de gens la craignent. Tu vois ce que je veux dire ?

Et sur votre voilier, vous composez la journée ?

Ah non, uniquement la nuit. Je compose jusqu’au lever du jour, vers 5h30. Après, je vais me coucher et je me lève vers 10h pour partir en mer. J’ai la belle vie, hein ?

Lors de votre Intime tour, vous aviez appris à jouer du piano.

On peut dire que j’ai appris le piano. Disons que j’ai appris à pouvoir créer sur le piano, sans limite de mélodie. J’aime beaucoup les failles donc je ne serai jamais un virtuose du piano.

Concernant l’album de duo à venir, c’est une idée de votre part ?

C’est sur le contrat. Je devais faire un album intime seul, un album original et un album de duo. C’est le dernier album de mon contrat. Pour être cash, j’ai pas signé avec joie car je n’aime pas vraiment les duo. Je préfère la concentration d’un chanteur sur quelque chose qui évolue. Tout à coup, je reçois ça comme un truc touristique. Mais pour celui-ci, c’est presque un opus original, malgré les reprises. L’album, il est vraiment barré. Le petit gars avec Étienne Daho, vous n’allez pas la reconnaître (il se déplace vers sa table de mixage et envoie le morceau). J’l’ai pas touchée, avec Chrysta Bell, elle déchire.

Vous l’avez découverte dans la troisième saison de Twin Peaks ?

Je la connais depuis plusieurs années. Elle est restée une semaine à la maison dans les années 2000. Elle a fait des chœurs sur l’album Aimer ce que nous sommes, mais ils ne sont pas présents dans la version définitive. Je n’ai pas encore eu le temps de regarder la troisième saison de Twin Peaks. Tu as aimé ?

C’est magnifique. Il va très loin dans la recherche sur l’art. On a pu apercevoir son travail dans un documentaire sorti il y a deux ans.

Ah ouais (il cherche sur Itunes et achète le film en dématérialisé) ? Il faut que je replonge dans Twin Peaks mais je n’accroche pas avec l’acteur Kyle MacLachlan. Je l’aime bien dans Blue Velvet mais là, je n’y croyais pas. Je n’ai pas revu ça depuis sa sortie. Mais David Lynch, c’est un maître. Chrysta Bell m’en a parlé et ça m’a bien donné envie. David Lynch est l’un de mes cinéastes préférés. La seule série que j’ai vue, c’est Black Mirror. J’étais complètement accro.

La barrière de la langue ne vous gêne pas dans votre relation avec Chrysta ?

Si. Je ne suis pas bilingue et ce n’est pas évident de communiquer, de manière très profonde, avec quelqu’un qui ne partage pas la même langue. Avec Alan Vega, c’était différent. On échangeait avec les mains, on se faisait des signes. C’était mon copain, quoi. Chrysta me fait travailler mon anglais scolaire.

On trouve aussi Sébastien Tellier qui reprend avec vous Señorita. La nouvelle version amène une sensualité étonnante.

Je suis d’accord, elle est hyper sensuelle. J’ai tout repris au niveau du son. J’aime bien le risque. Tu as vu ça à la télévision ?

Non, sur YouTube. 

Ah ouais. Tu sais, je ne regarde rien. D’ailleurs, je ne suis pas sur les réseaux sociaux. Les gens pensent que c’est moi sur Facebook et Instagram. J’ai jamais mis une seule photo sur ces réseaux. Des fois je m’énerve quand on me dit ça et je préfère ne pas regarder. J’ai toujours besoin d’être dans le réel.

Le groupe After Marianne vous accompagne sur Océan d’amourVous aviez déjà chanté avec eux sur leur morceau Lead or Feather.

Tu l’as écoutée ? Elle est bien mais je n’aime pas du tout mon passage. Quand les gens me complimentent dessus, je me méfie d’eux. Mais Mathilda elle chante vraiment bien. Océan d’amour leur va parfaitement. Du dernier album, on retrouve aussi un remix de Tangerine par Laurent Garnier. Il y a de belles surprises dans l’album de duo.

J’adore la France, c’est une merveille. Pourtant, je ne suis pas chauvin et je me sens comme un terrien. Dans ma tête, j’appartiens à beaucoup de pays.

Vous parlez beaucoup des Etats-Unis mais je crois que n’y êtes allé que peu de fois.

Ouais. J’adore la France, c’est une merveille. Pourtant, je ne suis pas chauvin et je me sens comme un terrien. Dans ma tête, j’appartiens à beaucoup de pays. C’est vrai que concernant Los Angeles, j’ai vu presque tous les films, je me suis fait mon cinéma et j’aurai bien aimé faire la route 66, mais dans une autre époque. J’ai eu des voitures américaines des années 1950, de la période que j’aime. J’ai vécu l’Amérique ici et ça me va, pas besoin de faire le voyage. Il faut passer les douanes et se faire emmerder. Par contre, je dois retourner au Vietnam bientôt. Certains titres ont un grand succès là-bas.

Vous évoquiez votre goût pour le son mais la rencontre avec Jean-Michel Jarre, dans les années 1970, donne du souffle avec vos textes. Il y a une grande mélancolie dans ces chansons.

Cette nuit, j’ai écrit une dizaine de lignes. J’écris quand ça vient. Ma plus belle période des mots, c’est effectivement avec Jean-Michel. Ça tourne beaucoup autour du cinéma, du fétichisme féminin. Ce qui m’inspire le plus, c’est la beauté des femmes.

Votre rapport au mot est très complexe. Dans l’album Aimer ce que nous sommes, le titre Interview de utilise des extraits d’interviews où vous semblez avoir du mal à mettre en mots votre pensée. C’est pour cela que vous faites régulièrement appel à d’autres personnes pour écrire vos textes ?

Oui, mais j’ai écrit plusieurs textes dont certains que j’aime beaucoup. Merci John d’être venu, par exemple. Quand je ne peux pas écrire de manière un peu surréaliste, je m’ennuie. Dans mon prochain album, j’ai décidé d’écrire davantage en m’éloignant des techniques formatées. Les mots sont une matière sonore. Pour revenir à ta question, c’est vrai que quelquefois je manque de mots. Je connais ma dimension mais si j’avais fait d’autres choses à l’école, comme l’Histoire, j’aurai peut-être écrit des livres. C’est pour ça que j’adore l’écrivain Joë Bousquet parce qu’il ne termine pas les mots, comme s’il manquait de souffle.

À propos de livre, avez-vous avancé dans l’écriture de votre autobiographie ?

Quand je m’y suis mis, j’ai fait 300 pages. Je me les suis fait lire par une lectrice pour avoir du recul et j’ai gardé 50 pages. Ce sont les seules qui restent mais il faut en écrire beaucoup, encore. Pour l’instant, j’ai abandonné car je n’aime pas revenir dans le passé. Je ne me souviens de rien. Seul l’inconnu m’intéresse.

Dans l’album Les Paradis perdus, le titre d’ouverture Avec l’expression de sentiments distingués mélange des extraits de vos grands succès comme Aline et Les marionnettes. Cette utilisation est répétée dans d’autres morceaux. Pourquoi faire revivre ces moments à l’intérieur d’autres créations ?

Le passé nourrit le présent, par la matière artistique. le titre de l’album, Les Vestiges du chaos,  vient de cette idée-là.

Marie Trintignant, c’est une fille que j’ai vraiment adorée. C’était l’une de mes actrices préférées. Je n’en parle pas beaucoup parce que ce n’est pas le moment d’en parler.

Alain Corneau a bien compris Les mots bleus lorsqu’il donne ce titre à son film sur cet enfant qui a peur des mots. Avez-vous vu ce film ?

Il faudrait que je le revoie. Par contre, Série noire est un chef-d’œuvre. Marie Trintignant, c’est une fille que j’ai vraiment adorée. C’était l’une de mes actrices préférées. Je n’en parle pas beaucoup parce que ce n’est pas le moment d’en parler. Même jeune, je n’osais pas parler d’elle. Il y a une autre actrice que j’aimais, c’était Valéria Bruni Tedeschi.

Allez-vous toujours au cinéma ?

Pas en ce moment. J’ai failli aller dimanche dernier mais c’était à 18h15, je n’étais pas prêt. Le cinéma, ce n’est vraiment pas pour les gens de la nuit. Il n’y a pas de séances autour de 2h du matin. Quand je vais manger aux Halles, je peux aller vers 4h du matin. Je me sens bien avec les gens de la nuit.

En France, quels cinéastes vous intéressent aujourd’hui ?

Je ne sais pas si j’aime le cinéma d’aujourd’hui. Quand Sara fait M, ça commence à me plaire, mais peu de cinéastes m’intéressent dans la nouvelle génération.

À un moment, vous possédiez des bobines de film. Êtes-vous nostalgique du 35 mm ?

J’avais plus de 500 bobines. Il y a quelque chose que j’aimais et qui me manque. Je prenais beaucoup de plaisir à monter les bobines et on a perdu ça avec le numérique.

Dans la chanson Ange sale, une voix féminine dit : « Qu’est-ce que c’est dégueulasse », en référence à la réplique de Jean Seberg dans À bout de souffle, de Jean-Luc Godard.

Tu sais qui prononce la réplique dans la chanson ? C’est Soko. Elle a tourné avec Vincent Lindon, dans un film où elle est complètement hystérique. J’adore cette fille. Et, de Godard, j’aime tout. Pierrot le fou est mon film préféré de lui. Même les films avec Eddie Constantine, j’adore. J’aime l’entendre parler, son superbe phrasé. Je l’aime parce qu’on a aucun point commun. Il n’y a rien de plus beau que la différence.

La dernière séquence du film Quand j’étais chanteur utilise votre chanson Les Paradis perdus pour accompagner l’échange de regards entre Cécile de France et Gérard Depardieu. Que pensez-vous de cette fin ?

Gérard Depardieu, Cécile de France, je ne pouvais pas rêver mieux. Mais, je vois peu les films où j’apparais donc j’ai du mal à regarder Quand j’étais chanteur. Ça ne m’empêche pas de penser que Depardieu est génial dedans. Cécile de France est très mignonne lorsqu’elle le regarde longuement à la fin.

Vous avez composé plusieurs musiques de film dont la dernière en date est pour de Sara Forestier. Qu’est-ce qui vous plaît dans cette expérience ?

Là, je suis en discussion pour la musique d’un film adapté d’un bouquin de Michel Houellebecq. Je dois voir le mec dans la semaine pour voir si ça peut le faire. Le réalisateur est un français qui vit à Milan et le contact est bien passé. Je prends mon temps avant d’accepter des demandes.

Vous avez joué dans deux courts-métrages radicalement différents : Jukebox et Le Quepa sur la vilni !. L’un est composé de longs plans-séquences et l’autre jongle entre le burlesque et l’absurde. Comment avez-vous appréhendé le travail d’acteur ?

Je voulais faire une expérience cinématographique donc j’ai tourné une semaine pour Jukebox. Je ne l’ai jamais regardé mais j’ai trouvé l’expérience passionnante.

Une chose m’a frappée lors de vos concerts, comme dans celui improvisé dans les bonus du film Jukebox, c’est la diversité des gens à venir vous écoutez.

C’est un vrai cocktail. Des fois, il y a même des petites de 14 ans qui viennent danser sur Les Vestiges du chaos. C’est l’un des plus grands frissons de ces dernières années. J’aime voir que ma création sonore plaise aux plus jeunes. Il y a toutes les générations représentées.

Lors de vos derniers concerts, vous avez repris Toute la musique que j’aime de Johnny Hallyday. C’est ce goût du blues qui vous rapprochait ?

Oui, c’est sûr. En fait, c’est une idée de Doudou, mon chauffeur. J’ai mon studio à l’arrière de la voiture et à un moment, Doudou chante ce morceau de Johnny. J’étais avec ma guitare et on a décidé de le jouer à partir de ce moment-là. J’ai eu l’occasion de dîner plusieurs fois avec Johnny mais je voulais pas en faire un hommage appuyé. Ce n’est pas mon style de faire ce genre de truc, d’habitude. C’était totalement spontané. Il faut appeler Doudou pour avoir sa version.

Doudou prépare aussi le prompteur lors des tournées.

Quand j’écris le prompteur, ce n’est pas une béquille. J’écris comme si j’étais un détective. Il y en a qui ne comprennent pas mais ce n’est pas important.

Sur l’album de duoRaphaël plonge avec vous dans la chanson Un peu menteur. Qu’est-ce qui vous plaît dans le mensonge ?

Le mensonge peut sauver des moments. Ce n’est pas quelque chose de négatif, c’est un jeu. C’est normal que je sois dans le mensonge puisque je joue au poker.

Il y a des morceaux que vous jouez peu sur scène comme Le dernier des Bevilacqua ou Daisy. Dans la configuration intime, ces morceaux sont absolument somptueux. 

Le dernier des Bevilacqua, je l’aime aussi ce morceau. C’est compliqué à jouer sur scène. Daisy est présente sur l’album de duo. Je la chante avec Laetitia Casta.

Sur toutes vos productions, il y a toujours l’ombre d’Alain Bashung qui plane. À tous les concerts, vous prenez l’habitude de reprendre le morceau Alcaline, en compagnie d’un ancien musicien de l’artiste. Qu’est-ce qu’il représentait pour vous ?

Alain, ça représente deux années de vie commune au quotidien. On se retrouvait pour déjeuner et on faisait du son chez moi toute l’après-midi. C’était l’un des seuls que j’écoutais.

Il faut toujours revenir dans le passé mais pour moi il est dépassé.

Vous apparaissez peu à la télévision. Dans l’émission On n’est pas couché, l’année dernière, vous sembliez presque intimidé. Vous êtes plus à l’aise sur scène ?

Complètement. Ce n’est pas du tout ma came. Le pire, c’était chez Michel Drucker. J’étais mal à l’aise pendant 3-4 heures. À On n’est pas couché, j’ai aimé y aller car j’ai de l’admiration pour Yann Moix. J’avais très envie de faire cette émission malgré ma faille. Je donne l’impression d’être autiste. Bien souvent, ça prête à la moquerie. Et puis, il faut toujours revenir dans le passé mais pour moi il est dépassé.

Vous étiez allé plusieurs fois chez Thierry Ardisson. C’est difficile à concevoir aujourd’hui par rapport à ce que vous venez de dire.

Il me demande de revenir, je n’irai pas. Tous les samedis, je regarde Salut les terriens !. Mais, pour tout l’or du monde, je n’aimerai pas y être.

Il y a beaucoup de livres chez vous. Pouvez-vous revenir sur votre rapport à la lecture ?

J’ai des lectrices donc je n’ai pas de problème pour lire. Une personne me fait la lecture et c’est fait en deux soirs. L’hypermétropie empêche de me concentrer sur l’écrit. Je lis beaucoup plus Céline que Baudelaire. Tout ce que tu vois sur la table, ce sont des bouquins que j’ai fait lire devant moi. En 1987, comme c’est indiqué sur ce livre, je lisais avec un crayon et une gomme. C’est des mots que je note pour les réutiliser dans mes créations. C’est bien de respirer par les autres.

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