A l’âge de 88 ans il ne vient pas au festival et donne sa conférence de presse par FaceTime. Le fantôme jusqu’au-boutiste Jean-Luc Godard présentait cette année en Compétition Le livre d’image. A la fois hostile et incroyablement riche, le film du cinéaste dérange autant qu’il fascine et nous rappelle la puissance du montage.
Le livre d’image fait peur aux premiers abords. Dès sa bande annonce, annonçant un collage de nombreuses œuvres sonores et visuelles, la peur de ne pas comprendre les nombreuses références est là. En séance, dès les premières minutes, c’est beaucoup de coupes, beaucoup d’écarts de volume sonore. C’est violent, coloré, arythmique ; le son n’accompagne presque jamais les images, il se met en opposition, en contre-point, en écho. Une forme d’incompréhension laisse alors la place aux émotions. Et c’est exactement là où Jean-Luc Godard veut nous emmener, si on ne s’est pas énervé ou endormi avant. Le cinéaste nous propose de s’émouvoir pour mieux penser.
Dans ce film offert comme une pensée chaotique et mélodique, le réalisateur interroge le monde et le langage. Il évoque la question de la violence sur la terre, du manque d’amour en Europe, de comment l’Orient est méprisé par l’Occident. Il appelle également à une vraie révolution, rend hommage aux zadistes, nous dit que « la guerre est divine » car elle a toujours existé et semble innée chez les humains et inarrêtable sur la terre. Avec Le livre d’image, Jean-Luc Godard peint ce monde qu’il trouve obscur avec des images modifiées, empruntées autant à YouTube qu’à des films ou des peintures. Il les recolore, les monte toujours en contraste les unes aux autres. La violence de son montage est à l’image de ce monde qu’il peint. Cette violence, dans le film, est aussi sonore. Et Jean-Luc Godard, pour notre plus grand plaisir, pense le son comme une véritable entité, pouvant exister seule comme pouvant augmenter une image. Le son nous interpelle, nous effraie, nous retourne. Dans une époque où le son est régulièrement un pléonasme de l’image, ça fait du bien. Jean-Luc Godard veut montrer « ce qui ne se fait pas » comme il l’a expliqué en conférence de presse. C’est peut-être aussi ce qui différencie Le livre d’image du reste des films en Compétition.