CINÉMA

« The Shape Of Water » – Oeuvre calibrée pour être récompensée

Le dernier Guillermo Del Toro a fait l’unanimité dans toutes les cérémonies de récompenses.

Nominé dans les catégories les plus réputées aux Oscars, aux Golden Globes ou aux BAFTA, il a été primé meilleur film par les Academy Awards, récompense la plus convoitée et prestigieuse, avec celle de meilleur réalisateur pour Guillermo del Toro. Pourtant, dépassé le conte onirique un peu étrange, à l’image vert de gris et aux personnages attachants, qu’en est-il de l’originalité de l’œuvre ?

Esthétique de l’étrange et symboles policés

Dès la première scène, The Shape Of Water nous immerge dans une œuvre amphibie totale, de l’environnement sonore au traitement de l’image. L’eau du début à la fin nous enveloppe dans ce conte touchant. L’eau en filigrane avant même que n’apparaisse cet être étrange, inhumain pour les scientifiques américains. L’eau source de jouissance, puisque dans le quotidien de cette princesse muette, le bain est prétexte aux plaisirs solitaires. L’eau rassurante, sensuelle, sexuelle et féconde, dont les liens se font et se défont avec les œufs symboliques également. Les perles de pluie qui s’unissent, les gamètes fécondées cuites dans l’élément en ébullition. La répétition de ces actes souligne l’importance qu’ils ont dans l’histoire entre Elisa et l’homme amphibien. Une symbolique et un terrain propice à leur amour, qui s’unit dans une scène où l’immersion n’est plus seulement du point de vue du spectateur. Elle, retenant son souffle dans une salle de bain engloutit sous le torrent de leur désir, pour mieux se fondre dans leur intimité partagée. Une séquence durant laquelle la sexualité est sublimée dans sa simplicité.

 

The Shape Of Water – © Twentieth Century Fox

 

La forme de l’eau en version française, a tous les atours de la parfaite fable joyeusement dramatique, dans laquelle réside le spectre euphémisé de la mort, noyé dans un récit intradiégétique. Le thème principal composé par Alexandre Desplat, également primé, ajoute à cet univers mirifique, dans lequel il nous tient en apnée. Pour autant, si de prime abord The Shape Of Water séduit, il laisse aussi un sentiment de déjà vu. De beauté policée et calibrée pour les cérémonies et les récompenses. Les influences sont multiples, le traitement de l’image ou Sally Hawkins rappelant du Jean-Pierre Jeunet.

Des personnages ancrés dans l’actualité

La réelle force du film réside dans ses personnages. De son traitement de l’actualité dans un film se voulant pourtant daté. Les thèmes abordés touchant au racisme, à l’homophobie, à la xénophobie et au handicape, il est difficile de ne pas faire le lien avec les réflexions en cours dans nos sociétés. L’humanité n’est pas du côté manichéen attendu, l’homme amphibien étant le sujet de l’inhumanité de scientifiques sans scrupules. Le seul bémol du casting se trouvant d’ailleurs de ce côté là puisque Michael Shannon, souvent casté pour les rôles de méchants, a désamorcé l’intrigue à sa seule apparence, bien qu’il n’y ait rien à redire du côté de sa performance.

 

The Shape Of Water – © Twentieth Century Fox

 

Quoiqu’il en soit ce n’est pas son personnage qui est le plus mémorable, ni le vendeur se cachant derrière son sourire hypocrite, ou le pubard qui se joue de Giles. Au contraire, c’est la justesse de la construction de personnages nuancés, habituellement stéréotypés voire stigmatisés, qui prime. La différence du film ne réside pas seulement dans cet être aquatique qu’Elisa est la seule à comprendre et à accepter, mais dans l’intégration de la diversité. Ou dans cet espion russe qui défend des valeurs avant de défendre aveuglément une idéologie.

Si  Sally Hawkins est touchante dans un mutisme qui rend les mots superflus à ses émotions, Octavia Spencer et Richard Jenkins sont de loin ceux qui se démarquent dans leurs interprétations de Giles et de Zelda.

The Shape Of Water présente un scénario dans lequel les personnages atypiques cherchent leur place et souhaitent tromper la solitude et l’isolement. Guillermo del Toro, sait jouer avec nos canaux lacrymaux sans pour autant surprendre. C’est beau mais prévisible. C’est beau, mais ça manque du sel qui agrémente les meilleurs souvenirs.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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