L’Oiseleur est arrivé aujourd’hui dans les bacs. C’est le retour tant attendu de Feu ! Chatterton et du printemps. Un deuxième album puissant, au ramage délicieux et au plumage majestueux.
À trop les qualifier de « dandys rock », on en oublierait presque la qualité inouïe de Feu ! Chatterton. Ils reviennent avec leur deuxième album au mois de mars, mois où l’on entend pour la première fois de l’année le doux pépiement des oiseaux à l’approche du printemps. À l’image de ce ramage qui nous fait sourire, L’Oiseleur arrive à point nommé. Le défi du deuxième album est relevé haut la main. Pourtant rien n’était gagné d’avance tant le précédent opus, Ici le Jour (a tout enseveli) de 2015, était réussi.
De drôles d’oiseaux poètes
Marqué par la poésie d’Aragon, d’Apollinaire ou encore de Cocteau, Feu ! Chatterton renoue le lien ancestral de la poésie et de la musique. Alors émergent des vers somptueux, ainsi qu’une musique à bouleverser les âmes. Mais ces ex-khâgneux bercés à la scansion d’hexamètres dactyliques font fleurir les alexandrins sans pour autant nier l’écriture automatique et le rap. L’influence va parfois même jusqu’aux shootings, qui font écho au travail photographique de Man Ray.
Amours déçues et alcool d’agave
L’Oiseleur prend son envol avec Grace, titre déchirant et grandiose à la fois, qui porte si joliment son nom. Mais Grace n’est pas la seule à attirer le spleen : Ginger, Tes yeux verts ou Anna sont tout autant de titres invoquant la femme dans toute sa splendeur. Elle est tour à tour forte, donnant au cœur le rythme d’un pendule à quiconque la croise, celle qui hante l’esprit et s’invite dans la mémoire de manière impromptue… Tous ces portraits dévoilent un des fils qui s’intriquent étroitement tout au long de l’opus.
L’alcool d’agave est un leitmotiv qui apparaît en filigrane. Le mezcal est peut-être à Feu ! Chatterton ce que l’absinthe était aux poètes maudits. C’est dans L’ivresse que se noient les doutes et la rancoeur. Quel plaisir que d’entendre la voix d’Arthur Teboul poser un rap sobre et classe sur des vers qui se font amers. Mais L’ivresse n’est pas un cas isolé et rappelle le slam de Tes yeux verts ou encore d’Harlem, titre du précédent album. Loin de faire un rock français cloisonné et pétri de ses influences jusqu’à s’en embourber, le quintette excelle dans son art et n’hésite pas à embrasser toutes les influences qui l’ont bercé.
Écouter L’Oiseleur, c’est aussi subir le règne magnifique d’une mélancolie abyssale. Souvenir, ce titre-pépite mouillé des embruns du passé, résonne à chaque écoute différemment et sonde plus profondément les émotions enfouies dans notre mémoire. Des souvenirs semblent émerger à travers des flashs en 8mm. Souvenir, c’est tout un monde qui renaît et meurt en même temps.
« Un oiseau chante je ne sais où
C’est, je crois, ton âme qui veille
Les mois, comme toujours ont passées les saisons
Mais moi je suis resté le même
Qui attend, que revienne le printemps
Qui aime, qui espère, connaître la fin de l’hiver. »Souvenir
Spleen contemporain
Adoration pour Aragon, hommage à Thomas Chatterton ou encore citation d’Apollinaire, l’affiliation à la poésie des XIXe et XXe siècles est incontestable. Le spleen contemporain se trouve magnifié depuis les débuts du groupe, et encore dans ce deuxième opus. Les ruines d’Erussel Baled apparaissent alors comme espace métaphorique qui contient les souvenirs d’une relation passée mais rappellent aussi l’attrait des romantiques pour l’esthétique des bâtiments usés par le temps.
Bien sûr, l’oiseau n’est jamais très loin, il fait son nid dans chaque titre. Il est celui qui chante et attend le printemps, l’oiseau moqueur ou encore le pigeon défunt au bord de l’eau. Aussi métaphorique que figurée, la puissance poétique du volatile est explorée sous toutes ses coutures. C’est aussi une sensualité dévorante qui se dégage de chaque titre et à laquelle on peut succomber lors des concerts. À l’instar du fruit du péché décrit dans Sari d’Orcino, l’art de Feu ! Chatterton est comme “une pomme étrange qui affame quand on la mange”.
Écouter L’Oiseleur, c’est récolter des bribes de souvenirs et de mouvements de l’âme à chaque titre. C’est regarder un vieux cliché photographique et être envahi de sentiments immenses, comme sourire de larmes sous un soleil noir.