CINÉMA

Le film culte – « Bonnie and Clyde », un cri de liberté

Chaque mois, la rédaction cinéma revient sur un film culte. Premier épisode, entre amour et braquages.

1967. Hollywood est encore marqué par l’ère de la censure. Mais les studios tentent de se détacher du code Hays et d’offrir à leur public las un renouveau cinématographique. Devant Bonnie and Clyde, l’identification est alors à son summum et Arthur Penn offre 110 minutes de fantasmes refoulés.

Un couple idéalisé

Dès la première rencontre des deux héros, le style du film est dévoilé. Un léger oscillement entre grand cinéma hollywoodien classique et influences de la Nouvelle Vague. Au départ destiné aux mains de François Truffaut, c’est finalement Arthur Penn qui manie agilement le couple Faye Dunaway/Warren Beaty. Du haut de sa tour (ou de sa maison), jeune Bonnie se prélasse dans l’ennui. Elle s’approche de sa fenêtre, se penche, dénudée, et aperçoit Clyde, en plein vol de voiture. Elle l’accoste. C’est la voiture de sa mère. Clyde cerne la jeune femme et passe du sourire de l’enfant pris au piège au grand séducteur. Il lui demande de descendre.

Bonnie et Clyde se rencontrent. La fougue passionnée de la première et la révolte sans mesure du second se mêlent. À deux, ils incarnent le couple amoureux rebelle de gangsters le plus envié de l’Amérique, car ils sont aussi le reflet de toute une génération. Celle de la Grande Dépression, qui elle aussi, voudrait choisir la liberté et en jouir inconditionnellement, juste pour échapper quelques jours à l’ennui qui la consume.

 

Faye Dunaway et Warren Beatty dans Bonnie and Clyde © Warner Bros

Les Robins des Bois de la Grande Dépression

Après avoir formé le gang “Barrow”, Bonnie, Clyde, son frère, Blanche et CW enchaînent les braquages, et le film prend vite la forme d’une course-poursuite hachée de pauses et de scènes qui s’étendent dans la durée. Ce sont des bandits recherchés, classés dangereux. Pourtant, les rôles paraissent vite s’inverser aux yeux du spectateur. Les shérifs et policiers sont les méchants face à cette bande de jeunes qui ne pensent qu’à avancer. Tête baissée, aveuglés par leur besoin d’adrénaline, eux qui restent le symbole de toute une population. Clyde braque les banques, et à cette époque, les banques sont l’ennemi public numéro 1. Aux yeux des fermiers, des familles entières qui se retrouvent sans toits, le gang “Barrow” exprime haut et fort la révolte silencieuse de ces gens qui n’ont plus rien, pas même leur liberté.

Les deux amants scindent en deux la population du fin fond des Etats-Unis de 1930. Les deux côtés sont coupables. Les autorités, d’appliquer cette fatalité qui touche la jeunesse comme elle a gangrené l’esprit des deux protagonistes. Et ces derniers, coupables d’une violence qu’ils ne maîtrisent plus, d’une volonté de vivre qui ne correspond plus au contexte auquel il font face. Le premier meurtre de Clyde est brutal, il tire sur un homme en pleine tête. Mais il est toujours considéré comme un “héros au bon fond” et c’est sa mort que l’ont qualifiera de boucherie. Arthur Penn parvient à faire un coup de maître en créant une atmosphère d’étrange bienveillance autour de ses deux “gosses” qui restent attachants jusqu’a leur dernier souffle.

Révolte derrière les caméras

À la sortie du film, les avis sont tranchés : le public, jeune surtout, adore. La presse décrit pour sa part la démonstration d’une violence gratuite. Le poids de la censure est encore oppressant et Arthur Penn doit avoir recourt à certaines astuces pour que son film “passe”. La violence est idéalisée, allant de paire avec la jeunesse et l’amour. La bande-annonce du film en est une première preuve. Elle présente les deux rebelles en les qualifiant de “jeunes”, puis “d’amoureux”, et enfin de “tueurs”. Le dernier qualitatif ne parait absolument pas comme un vice, ou comme un affrontement à la loi. Le fait de tuer apparait, avant même le début du film, comme une action banale, et en dit long sur le brouillard contestataire, désespéré, de l’époque.

La sexualité est un autre aspect très complexe du film. Elle est sur-connotée dans toutes les scènes de proximité entre les deux amants. Le revolver, la bouteille de coca, l’incapacité sexuelle de Clyde, tout renvoie à des pulsions refoulées. Le sous-entendu est si flagrant qu’il en est doublement efficace. Dans le non-dit, Arthur Penn laisse une page blanche que le spectateur peut remplir de son imagination.

Warren Beatty et Faye Dunaway dans Bonnie and Clyde © Warner Bros

 

La course, puis la danse

Le climat du film balance entre scènes d’actions et scènes languissantes. Ces dernières sont les ouvertures qui ramènent comme elles le peuvent vers la réalité. Alors que le couple joue sur un son crescendo, braquant petites épiceries, puis banques et enfin, commettant l’irréparable, le meurtre de Clyde fait basculer leur petite virée en fuite effrénée, qui se terminera elle, en chute superbe. Bonnie et Clyde sont deux enfants pris au piège par leurs actes et creusant leur fossé petit à petit. “Ils avaient l’air sympas. J’irai poser des fleurs sur leur tombe” dit l’un des fermiers. Arthur Penn fabrique leur innocence avec merveille, ne laissant pas une nuance de responsabilité y faire de l’ombre.

Les seuls moments où Bonnie et Clyde redeviennent adultes sont les scènes où ils ne courent plus. Lorsque Bonnie souhaite revoir sa mère, la scène du pique-nique fait froid dans le dos. Tournée sur un ton sépia, la caméra fait des allers-retours sur les visages graves et fermés. Le réalisateur appuie sur le bouton pause et le feu d’émotions de la course-folle est loin derrière. C’est un énorme contraste qui annonce la dernière scène.

La violence est en effet à son comble, mais d’une beauté inouïe. Les deux gangsters sont trahis. Clyde sort de la voiture pour aider le père de CW. Et alors il comprend, devant ses yeux : les limites de cette liberté qui l’incendiait se tracent. Bonnie lui jette un regard désolé, si doux. Clyde jette son corps sous les balles, vers sa bien-aimée, dans une valse frénétique, qui ne se termine que dans le fond noir de l’écran.


Bonnie and Clyde, d’Arthur Penn, avec Warren Beatty, Faye Dunnaway, Gene Hackman… (1967)

 

 

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