Il y a de cela dix ans, en 2008, le brillant Paul Thomas Anderson et le magistral Daniel Day‑Lewis travaillaient sur There Will Be Blood, une épopée intense sur un magnat du pétrole. Ils signent leur seconde, et dernière, collaboration pour Phantom Thread.
Londres, années 1950. Reynolds Woodcock est un célèbre couturier, habillant des plus belles robes, toute la haute société. Quand il rencontre Alma, une modeste serveuse, il tombe sous le charme et en fait son égérie. Et si Alma est une femme pleine d’énergie et impétueuse, Woodcock, lui est calme et concentré et sa vie est réglée au millimètre près. Ces deux personnages vont s’attacher, se repousser, s’inspirer, voire même s’aimer.
P.T. Anderson, raffiné
Souvent, pour parler de la mise en scène de P.T. Anderson, les critiques font référence aux grands classiques. Les plans séquences de Ophuls pour Boogie Nights, les travellings de Stroheim pour There Will Be Blood ou, ici, les plans élégants de Visconti. Mais finalement, on en arrive à la conclusion que le réalisateur a bel et bien sa marque. Car dans Phantom Thread, la manière de filmer est bien différente : des plans proches des gens, des choses, des tissus, des yeux, des mains. Tout respire le raffinement british, des repas, aux manières de s’habiller, en passant par les soirées plus ou moins mondaines. Et cela est filmé avec la grâce et la sobriété qui sied. Quand il filme la vie quotidienne, tout paraît plus froid, avec deux ou trois lumières faiblardes. Et quand il filme les robes ou les défilés, les plans sont plus osés, avec une lumière blanche centrale, signe de la grande passion éprouvée par le couturier. Le tout accompagné par la musique douce et poétique de Jonny Greenwood, compositeur fétiche du réalisateur et membre du groupe Radiohead.
Une confrontation centrale
Cependant, les thèmes récurrents de l’auteur sont bien là. La passion incomprise d’un homme réservé, les problèmes familiaux du personnage (Woodcock dirige son entreprise avec sa sœur autoritaire et ne se remet pas de la mort de sa mère), ou la persistance maniaque d’un homme aux grandes ambitions, de prouver, aux autres comme à soi-même, qu’il est fort. Toutefois, c’est bien la notion de confrontation qui est au centre du film. D’autres réalisateurs, comme Michael Mann aurait fait affronter des personnages que tout oppose de manière radicale, directe et physique, comme dans Heat ou Collateral. Ce n’est pas le cas de P.T. Anderson : dans tous ses films, ses personnages sont forcés d’exister ensemble, soit parce qu’ils sont partenaires proches (Boogie Nights), soit parce qu’ils sont de la même famille (There Will Be Blood). Ici c’est pareil, Alma et Reynolds sont censés s’aimer : quand elle rougit, il lui sourit, quand il est malade, elle est protectrice. Seulement, leurs trains de vie sont radicalement différents. Et cette attraction/répulsion pourraient bien déboucher sur des sentiments pervers et confus.
Daniel Day-Lewis, dernier coup d’éclat
Bien évidemment, il faut des acteurs à la hauteur de ce scénario complexe. On remarque évidemment la prestation de Vicky Krieps, en jeune amoureuse ingénue et pleine de ressource. Mais c’est sans conteste Daniel Day-Lewis qui retient toute notre attention. Le grand acteur n’est plus le personnage sanguinaire de Gangs of New-York ou le mégalomane démentiel de There Will Be Blood. Ici, repense à son premier rôle dans L’Insoutenable Légèreté de l’être, en dragueur énigmatique mais qui finit amoureux transit. Il passe à l’artiste admirant son œuvre, au célibataire consciencieux et compulsif et à l’homme qui doute, qui souffre, qui aime et qui déteste.
Ce film sera le dernier de l’acteur, son dernier coup d’éclat dans une œuvre somptueuse et intimiste. Une belle fin de carrière, plus que méritée. Et plutôt que se perdre dans un énième discours de flatterie, je ne dirai que ceci : merci à vous M. Day-Lewis pour cette formidable carrière.