SOCIÉTÉ

Que va-t-il sortir des « Etats généraux de l’alimentation » ?

Des agriculteurs pas assez rémunérés, un secteur bio en attente de plus de soutien, la question de l’agriculture française dans l’Europe… Après plusieurs mois de négociations à l’occasion des États Généraux de l’Alimentation en fin d’année 2017, un projet de loi sur l’alimentation a été présenté au Conseil des Ministres mercredi 31 janvier 2018.

Ce qui avait été dit

Les États Généraux de l’Alimentation  se sont tenus sur une longue période du 20 juillet au 21 décembre 2017. Ils devaient être le moyen de chercher des solutions à la crise agricole que vit la France et qui s’aggrave avec un endettement persistant des agriculteurs. Beaucoup de producteurs ne touchent en effet pas un revenu suffisamment décent pour vivre et continuer d’exercer dignement leur métier.

En janvier 2017, à Quimper, il était déjà question dans le discours du futur Président de renforcer le pouvoir des agriculteurs lors des négociations commerciales avec les industriels et les enseignes de grande distribution, en favorisant notamment la création d’organisations de producteurs, afin que les agriculteurs prennent part à la fixation d’un prix plus juste. Pour cela, il était envisagé que le prix de vente soit fixé par les producteurs eux-mêmes en fonction des coûts de production.

Il était aussi question d’un programme d’investissement d’avenir agricole 2017-2022 pour encourager le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Cependant, il n’a été pas clairement affirmé le fait de soutenir l’agriculture biologique. Les termes employés étaient répondre à la « demande des consommateurs » (qui n’était pas définie) et « promouvoir des choix alimentaires favorables pour la santé et respectueux de l’environnement » ; on entend par là être engagé dans le développement durable.

L’argent est-il dans le blé ?

 

Des décisions, qui restent parfois inégales

Ironiquement, le nom « d’État généraux » de l’alimentation rappelle les assemblées exceptionnelles de l’Ancien Régime convoquées par le Roi lors de crises et rassemblant les trois ordres, noblesse, clergé et tiers état. C’était à se demander si les petits auraient vraiment leur place dans les discussions sous un nom évocateur de crise ou si l’appellation n’annonçait pas que leurs voix compteraient moins, et que les cahiers des charges de l’agriculture raisonnée ne seraient pas réduits à des cahiers de doléance.

Ce qu’il en est, c’est que les États Généraux de l’Alimentation ont été force de proposition, au moyen d’une consultation publique en ligne et d’ateliers ouvert au public, organisés pendant plusieurs mois. Le soutien à l’agriculture biologique a été débattu, alors que Monsieur Macron promettait en parallèle une sortie du glyphosate sous son quinquennat, et en même temps que les aides au maintien de l’agriculture bio étaient supprimées en septembre pour être déplacées sur l’aide à la conversion des agriculteurs.

Les premiers États Généraux

 

Finalement, les conclusions sur les soutiens financiers apportées pour l’instant ont de quoi picorer mais pas rassasier. Parmi les 57 milliards d’euros destinés à l’investissement sur la période 2017-2022, l’État accordera 5 milliards pour soutenir de la compétitivité et de l’innovation des filières agricoles. Ils seront trop insuffisants pour que de réels progrès soient engagés dans une des filières. On n’a à ce jour pas d’indications sur des mesures à venir pour soutenir la transition écologique de l’agriculture, ni sur le paiement des services environnementaux, mais l’accent est mis sur la recherche de solutions dans le bio.

Néanmoins, l’élévation du seuil de revente à perte à 10 % sur les aliments et l’inversement de la contractualisation permettant aux producteurs de fixer un prix plus juste devraient rehausser les salaires des agriculteurs. Cela pourrait aussi augmenter le prix des produits alimentaires si les grandes distributions veulent conserver leurs marges actuelles et qu’aucunes mesures n’est prises pour prévenir cette hausse. Le souhait du gouvernement reste que les filières se restructurent pendant le quinquennat afin que des petits producteurs dispersés puissent affronter les quelques distributeurs qui se partagent le marché.

D’autres mesures ont de quoi faire un coup de pub : 50 % de produits labellisés et locaux dont 20 % issus de l’agriculture biologique dans la restauration collective, plus de sanctions en cas de maltraitance animale, une véritable politique de lutte contre le gaspillage. Une mesure prévoit de mieux informer le consommateur sur le contenu des produits qu’il achète en modifiant les informations sur l’étiquetage, afin par exemple de prévenir les problèmes de surpoids et d’obésité. C’est réellement révolutionnaire quand on se souvient des réticences des industriels dans le passé !

On parle peu de l’Europe

La volonté de permettre à des groupements de producteurs de faire le poids face aux industriels est comme vise à maintenir l’équilibre, avec le même objectif que les aides européennes en matière d’agriculture (PAC) de faire que les revenus de l’agriculteur ne soient pas absorbés par la rencontre entre l’offre et la demande. Si auparavant l’objectif de la PAC était de permettre à l’agriculteur de consommer et d’innover, aujourd’hui c’est celui de maintenir son activité, même quand elle n’est quasiment plus rentable. Avec le Brexit, on peut s’attendre à une diminution des aides de la PAC. Le droit européen qui s’applique sur les filières pourraient contrarier le projet de modernisation du gouvernement. Il n’aura pas été la vedette des États Généraux ; le Président se désintéresse médiatiquement de la question de la PAC, et mise sur l’exportation des produits français.

Après un premier projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable », pas de plan de sauvetage des agriculteurs français à coup de milliards sur la table. L’accent est mis sur la structuration des filières comme le moyen de rendre les agriculteurs indépendants et pour que le marché reste libre.

Les futures mesures à prévoir n’entraveront cependant pas la volonté des consommateurs de consommer plus responsables s’ils souhaitent être plus solidaires. Les AMAP et magasins de vente directe connaissent une plus grande médiatisation depuis la prise de conscience de leurs bienfaits pour l’environnement et sur l’agriculture locale. Le financement participatif en agriculture constitue aussi un acte solidaire, dans l’attente de plus d’informations sur la politique du gouvernement. Comme le dit en effet Eric Andrieu, eurodéputé, dans un communiqué de presse, le projet de loi manque de dimension européenne et on ne prévoit pas le développement des circuits courts moins dommageables pour l’environnement.

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