“Barbara”. Le titre est d’une simplicité criante, incisif. La femme dont il est question fût complexe, grande, belle, et à admirer seulement jusqu’au 28 janvier à la Philarmonie de Paris.
Son œil fardé sur la porte vitrée de la Philharmonie que l’on pousse nous indique le chemin avec malice. Entrée dans un monde quasi parallèle, entrée dans la vie de la grande Barbara. Vite, vite, plus que trois semaines…
Sur la longue route qui menait vers vous
On rentre sur Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, le ton est donné : c’est principalement au public qu’est dédiée cette exposition (presque davantage qu’à la vie de Barbara elle-même ?). On ne peut pas le blâmer, l’extraordinaire dame en noir était indéniablement femme de spectacle. Les rideaux de velours violets qui entourent une série de portraits photo grandes tailles en noir et blanc inaugurent l’entrée dans l’exposition, dans une ambiance feutrée et intime. Le premier portrait, sur lequel Barbara tend ses deux grandes mains ouvertes vers l’objectif, à mi-chemin entre un accueil chaleureux et un sort de sorcière, trouble.
Ô mes printemps, Ô mes soleils, Ô mes folles années perdues
L’exposition suit à peu près le fil chronologique de la vie de Barbara. C’est ainsi qu’un grande carte de France retrace la “longue errance” de l’enfance de Monique, Andrée, Serf, née le 9 juin 1930 dans le 17e arrondissement de Paris d’Esther Brodsky et de Jacques Serf. De Blois à Saint-Marcellin en passant par Chatillon-sur-Indre, la fuite de la famille juive durant l’Occupation se dessine sous les yeux du visiteur ou de la visiteuse. Une enfance dans le froid, la peur des Allemands et le viol incestueux du père en 1940 (ni mi en avant, ni mis de côté, la chanson L’Aigle noir ou Nantes parle déjà assez d’elle-même) où le piano appris avec Madame Thomas-Dusséqué au Vésinet semble être la seule clé du bonheur…
“Je suis sortie des brumes et je me suis enfuie sous des ciels plus légers, pays de paradis” dira-t-elle plus tard dans Le Soleil noir. Bruxelles, à 20 ans, n’est pas non plus une partie de plaisir, sans le sou, guettée par la prostitution (J’ai troqué), mais entêtée plus que jamais, accrochée à son piano comme à une étoile. Le piano avait été saisi en 1949 à cause du manque d’argent du à l’abandon de son père : elle fera du piano sa vie. Sa revanche est grandiose, belle, forte.
Et j’étais l’ouragan et la rage de vivre
Après les portraits du début véhiculant l’image qui l’identifie le plus, la chanteuse de minuit, la légendaire dame en noir derrière son piano, les images filmée d’une Barbara bien en chair d’une vingtaine d’années, habillée en Esmeralda, heureuse et chantante frappent le cœur. L’exposition ne manque pas de faire apparaître les mille visages de Barbara à travers des photos touchantes, différentes de l’image publique standardisée. en témoigne notamment la photo d’identité incroyable où la chanteuse ressemble à une adolescente punk mal dans sa peau. Tout y est : la Barbara qui ne manque pas de confiance en elle d’une classe inouïe en studio à la Barbara de soixante ans, à Précy, en train de tricoter avec ses chats en passant par la quinqua aux lunettes extravagantes de la taille de son visage en ensemble jogging de velours noir. Sans oublier Barbara des spectacles de Luc Simon (Madame), de Gérard Depardieu (Lily Passion), du film de Brel (Franz) et celle qui chante en allemand alors même qu’elle ne peut oublier ce passé de petite fille juive durant la guerre…
Dites-le moi du bout des lèvres
Tout est là pour connaître Barbara “du bout des lèvres”. La scénographie de l’expo nous mène à une immense salle qui reproduit son jardin et sa maison de Précy, et la reproduction est poussée jusqu’à l’extrême, puisqu’il est possible d’écouter les messages qu’elles a pu laisser sur le répondeur de son médecin… De quoi satisfaire les puristes. Les nombreuses coupures de presse réjouissent ainsi que les documentaires vidéo (même si l’on se surprend à s’énerver devant le sexisme prononcé de l’extrait choisi de l’interview Discorama consacré exclusivement au physique de Barbara), d’autant plus que d’autres femmes sont mises en avant, comme la grande Yvette Guilbert, Marie Dubas ou encore Berthe Sylva. Ces dernières nous rappellent que faire de la chanson en étant une femme n’était pas toujours simple à l’époque et témoignait ainsi d’une grande force de caractère… Et Barbara n’en manquait pas.
Femme nomade et libre, côtoyant plusieurs “guerriers de passages, à peines vus, déjà disparus” qui lui font écrire Les Mignons ou Le Bel âge, sans pour autant s’empêcher se s’éprendre passionnément de temps à autres afin d’écrire des chefs-d’œuvres de lamentations amoureuses comme bien sûr Dis, quand reviendras-tu ? ou encore Attendez que ma joie revienne. Certaines pièces de collection sont présentes, comme le livret de Luc Simon peintures Madame Voyage, ou des dessins de Barbara elle-même. Le nombre de manuscrits originaux est incroyable, sur lesquels on peut se délecter de lire, comme une petite souris, des petits mots d’amours… et admirer cette infatigable de la plume qui écrivait la nuit comme en témoigne sa chanson Les Insomnies. Enfin, l’expo n’oublie pas les morceaux de choix comme les chansons moins connues du grand public (Paris le 15 août, Toi, La Gare de Lyon…).
Et même pâle le jour se lève encore
La possibilité de lire et de laisser des messages d’amour dans “sa loge” à la fin de l’exposition, dans une initiative touchante nous console de ne pas avoir de livret d’exposition à l’arrivée.
“On voudrait encore rouler des hanches,
se saouler de printemps,
s’en payer, des nuits blanches,
A cœur qui bat, à cœur battant.
Avant que sonne l’heure blême
Et jusqu’à notre souffle dernier,
On voudrait encore lui dire ”je t’aime”
Et vouloir mourir d’aimer.” – Barbara, La Solitude, 1964
C’est également la possibilité, qui nous est offerte par la grande commissaire Clémentine Deroudille, de laisser notre propre mot d’amour à Barbara comme pour conjurer le cri tragique de solitude noire qui résonne encore aujourd’hui dans ses chansons comme La Solitude, Le Mal de vivre ou Je ne sais pas dire, et toutes les autres.
Ses chansons à jamais magistrales, à jamais glaçantes, à jamais inégalables. Une névrosée du mal de vivre, une entêtée de la joie de vivre, qu’on aimera à jamais.
Barbara, à jamais.
Dépêchez-vous ! “Barbara” jusqu’au au 28 janvier 2018, à la Cité de la musique, Philharmonie de Paris, 6 euros pour les moins de 26 ans, gratuit pour toutes celles qui s’appellent Barbara ! Tous les vendredis soirs, à 18h et 19h, profitez de concerts surprises au sein même de lʼexposition Barbara, gratuitement avec votre billet dʼentrée.