SOCIÉTÉ

Afrique du Sud : contre la violence, la décriminalisation du travail sexuel

Le 54ème congrès de l’ANC (Congrès national africain) se terminait le 27 décembre, dans cette période étrange, entre « les fêtes » où plus personne ne sait vraiment quelle heure il est, quel jour nous sommes.

Ce congrès de l’ANC, parti au pouvoir depuis 1994, a abouti, le 21 décembre, à une résolution : décriminaliser le travail sexuel en Afrique du Sud.

Et c’était loin d’être gagné : le projet de loi, déposé pourtant en juillet par les délégués de la région du Gauteng, avait été rejeté lors du conférence du parti sur la sécurité nationale. 

Pourquoi c’est important ?

L’Afrique du Sud emboîte ainsi le pas à la Nouvelle-Zélande – le seul pays au monde à décriminaliser le travail sexuel et ce, depuis 2003. Le bilan est, pour l’instant, plutôt encourageant : la décriminalisation n’a pas provoqué une explosion de l’industrie du sexe et aurait stabilisé le trafic. 

« Décrimininaliser », késako ?

Contrairement à ce qu’on peut lire sur les réseaux sociaux, la décriminalisation n’est pas la légalisation. La décriminalisation signifie qu’il n’y aurait plus de loi spécifique concernant la prostitution : les travailleurs du sexe devront respecter les obligations contenues dans la loi, comme n’importe quel commerce. La légalisation, en revanche, de la prostitution reviendrait à un contrôle du marché directement par le gouvernement, sous certaines conditions.

Amnesty International s’est publiquement prononcée pour la décriminalisation de la prostitution. Sortant ainsi de l’illégalité, les travailleurs du sexe pourraient désormais disposer des mêmes droits judiciaires, d’éducation, de santé que leurs concitoyens. Ils ne pourront plus être arrêtés ou harcelés.

Les travailleurs du sexe pourraient désormais disposer des mêmes droits judiciaires, d’éducation, de santé que leurs concitoyens.

Deux causes à son application en Afrique du Sud : la lutte contre la violence, omniprésente, et la lutte contre le VIH. 19 % de la population adulte du pays serait séropositive, jusqu’à 57,7 % chez les femmes travailleuses du sexe, et jusqu’à 72 % à Johannesburg, plus grande ville du pays. Dans la revue médicale The Lancet citée par franceinfo, la corrélation entre la pénalisation et la prévalence d’infections est établie. La décriminalisation pourrait réduire la contamination au VIH de 33 à 46 %, en dix ans.

L’Afrique du Sud possède l’un des pourcentages de violences sexuelles les plus élevées au monde, très peu traduites par des plaintes.

Reste une zone d’ombre : les proxénètes. Des associations sud-africaines comme SWEAT affirment que la décriminalisation permettrait à des travailleurs vulnérables de sortir de l’emprise de proxénètes, en leur donnant des droits, une existence. Mais la mise en application de ce projet de loi devra être étudiée de près : en sortant de la criminalité, les travailleurs du sexe devront entrer dans des procédures bureaucratiques, parfois longues et complexes, et dont les proxénètes deviendront gestionnaires. L’exemple néo-zélandais montre d’ailleurs que leur domination est toujours importante. 

À lire aussi : ce reportage dans Courrier International sur la violence dévastatrice dans un township au nord de Johannesburg, à Diepsloot. 

Et ailleurs dans le monde ?

Le magazine Newstatesman recense différentes législations en vigueur dans le monde. En Grande-Bretagne, vendre son corps est légal et les maisons closes, interdites – mais des milliers de travailleuses du sexe ont des casiers judiciaires pour avoir fait le trottoir et/ou du racolage.

En Suède et en France depuis avril 2016, la pénalisation des clients est en vigueur. Les travailleurs du sexe sont donc obligés de travailler dans la clandestinité, augmentant leur vulnérabilité et compliquant le travail des associations, la prévention. Aux Pays-Bas, les travailleurs du sexe ne sont tolérés que dans certains espaces dédiés – en dehors, c’est un délit.  Les maisons closes sont tolérées depuis 2000 mais très strictement contrôlées.

En Autriche, les travailleurs du sexe doivent se plier une fois par semaine à un check-up médical et s’enregistrer auprès de la police ou d’un gestionnaire de maison close. En Allemagne, tout dépend de la législation de l’Etat : Munich et ses zones de non-prostitution, ailleurs, des licences accordées aux maisons closes.

Une chose de sûre à ce jour : le Parlement sud-africain n’a pas ratifié la résolution de l’ANC. Ultra majoritaire à l’Assemblée, ce ne devrait être qu’une formalité. Mais quand ? Et avec quels garde-fous pour les travailleurs les plus vulnérables ?

La pédagogie est loin d’avoir été faite auprès de l’opinion publique. Réactions contrastées sur les réseaux sociaux. 

https://twitter.com/LiberalsAreNaiv/status/945005486939803648

 

 

 

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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