CINÉMA

« The Florida Project » – Make America Great Again

Deux ans après Tangerine, Sean Baker signe The Florida Project, portrait tout aussi pop et réussi de cette Amérique trash qui vit dans les motels crasseux de la Floride ensoleillée.

Tout commence dans un motel aux airs de château de princesse Disney : tourelles, ersatz de remparts et murs intégralement peints en parme. Mais justement, on n’est pas à Disney mais juste à côté, au Magic Castle, un motel situé non loin de Disney World en périphérie d’Orlando. Seuls quelques kilomètres le séparent de la ville de Mickey mais il pourrait tout aussi bien s’agir d’un autre pays.

Dans ce motel, vivent Mooney  et sa très jeune mère Halley, Scooty et Jancey (nouvelle arrivée dans le « Future », le motel d’en face, avec sa grand-mère et sa petit sœur déjà obèse). C’est l’été, les grandes vacances et ces enfants de six, sept ou huit ans font les quatre cent coups : ils crachent sur les parebrises des voitures, ils font la manche auprès des touristes pour se payer des glaces, ils mettent le feu à des bicoques éventrées, résidus de la crise des subprimes. Bref, un été comme les autres chez ces pauvres relégués aux marges les plus lointaines du rêve américain.

Pas (vraiment) de parents, pas (du tout) de paternalisme

Au travers des personnages de Mooney et de sa mère célibataire, le film dresse le portrait sans fard (mais aussi sans jugement) d’une frange de la population américaine entièrement paupérisée dont on a vu mainte fois des reportages à la télé : celles et ceux qui, faute de moyens, se sédentarisent progressivement et chichement dans mes motels ou des campings et qui vivent, au mieux, de petits boulots sans couverture sociale et, au pire, de trafics ou de prostitution.

Les conditions de vie sont précaires et les perspectives d’avenir quasi inexistantes. Il y a des punaises de lit et ces lits, d’ailleurs, il faut les partager à deux ou trois. Faute de cuisine, les enfants se nourrissent de junk food ou de croissants industriels distribués par l’Eglise évangéliste du coin. Tous ont une gouaille et de la répartie à revendre mais peu de chance que cela les conduise à Harvard (et pourtant, si Mooney brevetait et commercialisait son idée de « fourchette en bonbon qu’on pourrait manger après le repas », elle deviendrait surement riche).

 

© Le Pacte

 

Au milieu de cette faune, le manager du motel, interprété par l’ici très humain Willem Dafoe, tente tant bien que mal de normaliser le fonctionnement de cette mini-ville. Tout à tour tenancier, électricien et figure paternelle, il apparait comme le dernier maillon capable de raccrocher ces êtres à la dérive au reste de la société.

Toutefois, et c’est en ça que le film de Baker est particulièrement appréciable, il n’y a aucune jugement. On ne juge pas ces enfants qui sont parfois de véritables démons. On ne juge pas cette Halley au comportement parfois plus enfantin que celui de sa propre fille. Certes, quand elle ne sait plus quoi faire pour payer son loyer ou se nourrir, elle décide d’offrir à sa fille un restau-basket orgiaque dans l’hôtel de luxe du coin… Mais cela, comme tout ce qu’elle fait, part de bonnes intentions. Ces gamins, elle les aime et ils l’aiment aussi. A vrai dire, ils l’adorent car c’est elle-même une enfant (et c’est bien là le problème). Mais pour sa fille, elle ferait (et va faire) n’importe quoi.

Pas de paternalisme mais pas de sentimentalisme non plus. Les parents (quand ils sont là) sont globalement incapables et c’est à raison que les services sociaux sont craints et que, souvent, ils finissent par intervenir…

Visuellement réjouissant

Sur la forme, The Florida Project est aussi pop que Tangerine et aussi coloré qu’un de ces aliments chimiques dont Mooney semble raffoler. Les motels ? Entièrement parme ou jaune canari. Les leggins ? Turquoise. Les cheveux ? Verts. Les lèvres ? Roses. Les bikinis ? Fluorescents. Le ciel ? Terriblement bleu la journée, intensément orange en soirée.

Alors que Tangerine était (magnifiquement) filmé à l’iPhone, ici tout est tourné en 35mm. L’âge de raison pour Sean Baker ? Une question de budget ?  Pas que, aussi une envie de pouvoir offrir aux acteurs des séquences longues qui donnent l’impression d’une intimité, comme un long film de vacances.

Le résultat : une overdose de couleurs, de formes mais aussi de sons qu’on pensait réservés aux rayons des jouets pour enfants.

 

© Le Pacte

 

Et puis, au milieu de cette course effrénée vers une issue que l’on sait quasi-inéluctable, des moments de pure grâce : un arc-en-ciel après une averse, un coucher de soleil, une course dans les herbes folles.

En cette période de repas de famille trop longs et trop copieux, on vous invite à vous délecter ce cocktail survitaminé de légèreté et de gravité dont vous ne sortirez ni gavé ni déprimé.

 

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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