CINÉMA

« M » – Une histoire d’amour qui manque de mots

“Tu peux m’apprendre à mettre des lettres ensemble… Pour faire des mots ou… des mots en entier ?”

Entre apothéose poétique et naïveté enfantine, le premier long-métrage de Sara Forestier tangue. Une histoire belle, mais peut-être trop belle ? M, c’est surtout le manque de mots, pour les gens blessés, rempli de haine et de rancoeur, et pour des gens beaux.

“Un océan d’amour”

L’élève d’Abdellatif Kechiche nous livre une histoire d’amour poignante où la communication avec l’autre tient le premier rôle. Lila, une jeune fille de terminale bègue vit au quotidien son handicap et en éprouve une honte visible. Mo, un homme solitaire vit sous sa lourde carapace de bad-boy une honte bien dissimulée par la rancoeur. Il ne sait pas lire. Lorsque Mo rencontre Lila, il se sent immédiatement attiré par cette jeune fille mystérieuse, qu’il ne comprend pas mais qu’il veut aider. Il la soutien, la brusque, tombe amoureux. Elle, se sent protégée, perçoit au travers du regard du jeune marocain un monde qu’il faut mépriser et engloutir à la fois. Tout lui parait plus facile, parler, exprimer ce qui s’accroche si fort à son être frêle et fragile. L’histoire de Mo et de Lila c’est l’électrochoc de deux secrets, l’un qui fait l’entrée du film, l’autre qui le clôture. Alors qu’on est pris d’empathie pour la jeune fille qui ne parvient tout simplement pas à parler, on ne comprend qu’au fil du film la douleur éprouvée par Mo. Tandis que leur histoire se faufile doucement, telle une berceuse, on sent la force des personnages flancher, rebondir, éternel boomerang.

Une oeuvre qui vise le beau

Le beau cinéma, celui que les yeux se plaisent à voir, que nos pupilles dégustent. M, c’est le beau. A la fois dans la bande son où l’on retrouvera le chanteur français Christophe, mais aussi dans les plans, subjectifs, lents, qui rythment cette chanson d’amour tout en laissant les silences se marquer de leurs empreintes. Sara Forestier et Redouanne Harjane incarnent eux leur rôle avec justesse. L’air du cocker abattu de Mo, la timidité blessée de Lila. On ne peut s’empêcher d’applaudir la scène où Mo perce enfin son bouclier. Face à sa soeur, il laisse sa haine se déverser, contre sa mère, contre ses soeurs, contre le monde. La souffrance d’avoir été mis à part recouvre le regard du jeune homme, les larmes transpercent le voile et donnent à la scène la petite dose tragique nécessaire. La scène de dispute de couple qui s’ensuit en est tout de suite moins percutante. Ce qu’on retient de Mo, ce n’est pas l’amant incapable mais le fils mal aimé, l’homme marginalisé. Et le beau se déverse de ces coeurs blessés.

Une démonstration maladroite

Sara Forestier sort une belle preuve de son talent. On sent au travers des personnages, de leur dialogue, une sensibilité qui lui est propre. Néanmoins le scénario est bancal. Trop facile : deux êtres écrasés par le mur des mots, tombent amoureux et s’entraident. Choix risqué qui écarte d’un geste malhabile le hasard des choses. Quant au coup de foudre, la caméra le frôle à peine. On demande sa route et puis… On tombe amoureux. Sachant que les mots sont absents, le non-dit aurait dû être symbolique.

Sara Forestier et Redouanne Harjane – © Ad Vitam

 

 

 

 

On n’arrive toujours pas trop à comprendre à quel moment Mo s’éprend de Lila. Et vice-versa. On pourrait croire que la séparation relance le film. Mais la cause “je ne suis pas assez bien pour toi” l’alourdit plus qu’autre chose. Tandis que la réalisatrice signe une happy-end tant attendu, l’apparition de la mère de Mo et des fameux macarons symboliques font sourire avec tendresse. Finalement, on garde ce sentiment de frustration, on en veut encore. On en veut encore de ces âmes déchirées qui vagabondent et qui s’aiment dans l’ombre de leurs secrets.

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