Du 19 au 22 octobre avait lieu la biennale de Paname, l’occasion de découvrir les jeunes artistes contemporain·e·s et leurs œuvres jouant souvent avec une réalité de plus en plus digitale, et surtout aux prises avec des problématiques très actuelles.
Si ce sont les œuvres elles-mêmes qui sont mises en avant, ce genre d’événements est surtout un lieu de rencontre entre futurs génies et public curieux ; excellente surprise, cette biennale est loin de nous avoir déçu·e·s !
Parmi les installations qui ont accroché notre regard, présentons déjà la collaboration entre Viceland, partenaire de la biennale, et Andrew Miller, qui aime peindre en blanc des objets variés pour les déposséder de leur identification familière. Rassemblant des photographies blanc sur blanc d’artefacts à forte teneur symbolique, comme le drapeau français difficile à identifier sans ses couleurs, une matraque, un tampon ou une grenade, cette installation complétée par un fond sonore de bulletin d’informations fait écho à nos scandales actuels, de la crise de l’Europe et du Brexit aux attentats, en passant par les violences policières et la crise des réfugiés. Le tout, accroché dans une petite pièce blanche elle aussi, incite à s’arrêter un moment pour décrypter le sens de ce que l’on aperçoit. Puis soudain tout s’éclaire ; on refait le chemin jusqu’à l’idée claire et distincte de ces symboles malgré la disparition de leur identité esthétique, dont on se détache finalement pour finir par ne voir, dans ces fantômes d’objets vus et revus, que les tempêtes de gros titres et les échos de débats publics.
Octave Marsal, lui, semble effectuer au contraire un retour au médium traditionnel du dessin et de la gravure, s’affairant à aiguiser sa précision et son sens du détail. A la biennale, ce sont ses dessins inspirés par l’architecture qui conjuguent imaginaires utopiques et trait presque trop réaliste. Le spectateur se retrouve plongé dans les méandres des recoins de ses œuvres en noir et blanc, hypnotisé au point de se déplacer devant elles, s’approchant, se reculant, pour tenter d’en embrasser tour à tour l’ensemble ou le détail, déambulant en esprit dans les méandres de ces rues minuscules qu’on devine entre la multitude de petites habitations construites en ensemble branlant. Nul besoin du renfort des ombres : avec son seul trait maîtrisé, c’est par l’accumulation de détails qu’Octave Marsal parvient à suggérer la profondeur et nous perd agréablement dans ses mondes imaginaires.
Andrea Picci ou Andy
Qui rencontrer en premier, c’est la question à laquelle nous sommes confrontés en ouvrant son site internet : Andrea ou Andy ? Le second, Andy, accroche résolument l’attention ; croisé sur les réseaux sociaux, à la vie semblant aussi luxueuse que son empreinte dorée – vie peu questionnée par les autres utilisateurs qui ne voient dans cette création que la célébrité qui y est insérée.
Mais Andrea semble bien détenir l’œuvre la plus complète, lui dont on a pu repérer un projet à la biennale de Paname : Volumen ou Rotulus, selon le sens de lecture, vertical ou horizontal qui détermine le nom du projet, puisqu’il s’agit d’un rouleau de papier à dérouler pour remonter l’historique d’une vie, ou du moins un aperçu bref sur une période donnée. Cette œuvre précise fait donc partie d’un projet à plus long terme marquant, qui vise à donner une dimension physique à nos êtres numériques. En effet, après une lecture d’une longue conversation SMS et du profil Instagram d’un jeune homme qui donne son nom à l’œuvre, nous nous intéressons à l’écriteau.
La personne présente sous nos yeux n’est plus. Décédée quelques mois auparavant, ces supports papiers des faces privée et publique de son identité numérique servent de mémoire tangible de ce qu’elle fut, mais aussi d’hommage rendu à un être montré comme plus complexe qu’une poignée de photographies artificielles sur Instagram. Comment ne pas ressentir une vive émotion et se poser la question de la mort à l’ère du numérique devant cette poignante réalité ? Ici se joue aussi la question de l’être et de ce qu’on laisse transparaître de nos vraies vies sur internet, du profil public et de l’intime, des images affichées à la vue de tout internaute ou des mots précieux échangés entre amis proches, en privé…
Quand on le questionne sur le sujet, il nous explique que c’est un rapport au réel qui le travaille depuis sa maîtrise à la Saint Martins à Londres, mais qu’il ne se voyait aborder sans connaître la personne, ne pouvant parler de quelqu’un à travers les seuls paramètres publics de son profil, un individu étant plus complexe, et méritant un biopic traduisant sa richesse, et la preuve de son existence.
Si les thèmes abordés dans son œuvre sont récurrents, la manière de procéder, elle, ne cesse d’innover. Nous avons déjà mentionné le Rotulus, IMNOTFAMOUS semble tout aussi intéressant de ce point de vue de construction de la réalité. Ce projet est directement aux prises avec la réalité médiatique, notamment en ce qui concerne l’image de la célébrité. Sans trop en dévoiler, disons qu’Andrea a, à un moment de sa vie, joué sur sa ressemblance avec le chanteur anglais Pete Doherty et, en « cherchant » le paparazzi, a récolté un buzz bien au-delà de ses espérances qui s’est achevé en désinformation à la une de journaux aussi connus que Le Parisien. Pour lui, le numérique est finalement bien un matériau que l’on peut travailler en tant qu’artiste, et avec lui se rejouent des thématiques de construction sociale, médiatique et, somme toute, identitaire. Sur son site, ses projets eux-mêmes sont référencés par un # et empruntent à notre mode de fonctionnement dématérialisé et pourtant si actuel et irréel.
Mais son projet le plus aboutit, le plus ambivalent et fascinant correspond aux personnages qu’il développe et exploite, poussant la question des réseaux sociaux, de la célébrité warholienne et de la démarche artistique à son paroxysme, amenant le digital art à un autre niveau. Andy, Golden boy Dandy, proche d’un Mr Brainwash, mérite une attention et un regard aiguisé, qui nous met face à nos propres contradictions. Pousse-t-on notre réflexion assez loin, dans l’instantanéité numérique, pense-t-on suffisamment les informations et le médium ?
Si aucune réponse n’est apportée, Andrea est lui résolument un poseur de questions.