SOCIÉTÉ

Le corps des femmes dans les religions

Tabou, défendu, incarnation du mal : le corps des femmes et la religion n’ont pas souvent fait bon ménage.

Que les systèmes patriarcaux se soient appropriées les religions, il ne fait pas de doute. Les nombreux mythes étudiés pendant des siècles par nos pères qui culpabilisent les femmes sont des supports pour l’imaginaire, bien qu’on parlera de mauvaises interprétations des textes saints. Pour autant, l’évolution des mœurs permise par la liberté de conscience n’est pas seule salvatrice de l’honneur féminin. Le débat aujourd’hui n’est pas l’abandon de sa foi, mais quelles peuvent être la place et l’image des femmes au sein du corps social et des différentes communautés religieuses.

Femme amérindienne de la tribu Squaws – Edward S. Curtis ©TV5MONDE

La sexualité féminine, les religions et le pouvoir

Le patriarcat que l’on connaît n’est pas un modèle universel comme on pourrait le penser. On sait que certaines cultures concèdent plus de pouvoirs aux femmes que nos sociétés occidentales. Dans les sociétés dites matriarcales, les femmes détenaient plus de prérogatives grâce à ce qu’étaient leurs croyances religieuses. Les femmes n’étaient pas toujours à la tête du pouvoir politique, économique et militaire, mais leur rôle social était plus respecté. La sexualité des individus reste l’originalité par rapport aux restrictions de conduite que les religions monothéistes ont imposé en Occident. En Amérique du Nord, la liberté sexuelle était de coutume chez certains peuples amérindiens et ont choqué la bonne morale des colons occidentaux. Chez les Apaches d’Arizona et de Nouveau Mexique par exemple, il existait une stricte égalité entre hommes et femmes. Chacun pouvait tenir un rôle militaire ou religieux, sans partage défini entre les genres. Les femmes pouvaient être guerrières et chamanes.

La théorie de la procréation des tribus Cherokee d’Oklahoma avait d’original que selon cette croyance le sang de la femme donne au fœtus son sang et sa chair alors que le sperme masculin ne construit que le squelette du futur enfant. En corrélation à cette croyance, les femmes avaient un pouvoir décisionnel important au sein de la démocratie matriarcale. Elles étaient détentrices des propriétés et d’un droit de participation au Conseil de guerre et de Conseil de paix civile (matricien.org). Dans d’autres coins du globe, les croyances dans les divinités autorisent une autre sexualité. Chez le Na en Chine, on ne connaît pas de jalousie, ni la fidélité entre amants, car ce sont les oncles et non les pères qui élèvent les enfants. Chez les Khasi dans le Nord-Est de l’Inde, la plus jeune fille de la famille, la khaddu, devient la cheffe de famille, car les filles sont héritières des terres. Les hommes ont peu de pouvoir mais les Khasi défendent leur système où les femmes indiennes ne subissent pas les violences sexuelles présentes dans le pays.

Les menstruations, le grand dam

Chez le matriarcat Huron au Canada, les menstruations étaient sacrées car on considérait qu’il s’agissait d’une purification naturelle. Pourtant ailleurs, dans d’autres religions, le sang est synonyme de violence ou de mort et l’on doit s’en préserver. Le prêtre de la religion catholique est un homme car en effet, du fait « miracle » de la transsubstantiation, la croyance est que le prêtre fait boire le vin, ce qui constitue le sang du Christ, en fin de messe. Les femmes étaient déjà exclues des rites des sacrifices dans l’Antiquité car le sang coulait sur l’autel. Le sang qui coule du corps des femmes lors des menstruations ou de l’accouchement représentait aussi une souillure.

Dans le judaïsme, le sang menstruel est impur et les femmes souillent ce qu’elles touchent lors qu’elles saignent. Elles ont interdiction par exemple de toucher la Torah pendant cette période, selon les lois de la nida (loi portant sur la période des menstruations). Les lois de la nida affirment que l’interdit sexuel pendant les menstruations freinent l’instinct sexuel. En Grèce, les prêtresses qui vouaient un culte aux déesses et aux dieux étaient impubères ou ménopausées et abstinentes, selon Claudine Leduc et Agnès Fine. Dans l’Islam, selon la sourate 5 du Coran, les femmes sont impures pendant leurs menstruations et ne peuvent pas pratiquer leur religion, comme cela se retrouve dans le judaïsme. Ces croyances justifiaient que les femmes doivent être soumises aux hommes à cause de l’impureté de leur corps.

©Le Courrier de Diké

 

Quand le corps fait œuvre de sacré

Chez les catholiques et musulmans, la sexualité féminine est encadrée par les préceptes religieux. Selon l’ouvrage Femmes et religions de Claudine Leduc et Agnès Fine qui regroupent plusieurs études, la récente désaffection d’une partie des femmes quant à la pratique religieuse depuis les années 1960 est le résultat d’une émancipation des femmes depuis le droit à la contraception et à l’avortement, fortement décrié par l’Église catholique. En témoignent la notion du droit des femmes à disposer librement de leur corps qui s’oppose aux mouvements anti-avortement. On peut imaginer que c’est une des raisons pour laquelle le Pape Jean-Paul II publia dès son élection au pontificat, de 1979 à 1984, des catéchèses sous le titre La théologie du corps, l’amour humain dans le plan divin. Les catéchèses sont une activité de parole qui vise à éduquer les fidèles sur la manière de vivre en accord avec la foi chrétienne. Les 129 conférences du mercredi données par Jean-Paul II avaient pour objectif de prêcher une théologie du corps nouvelle afin de porter un enseignement sur la sexualité et le mariage aux fidèles. C’est une doctrine qui marque un changement théologique profond dans la morale de l’Église grâce à la relecture des textes bibliques par le Pape. La communion des corps de l’homme et de la femme est à l’image de la communion trinitaire, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint lors de la prière. Le corps nu de l’homme et de la femme n’est plus honteux mais il rend visible le divin, car les deux êtres n’avaient pas honte avant le péché originel. La sexualité se réalise au sein du mariage car sinon elle est un obstacle à l’amour et à la spiritualité à cause du désir masculin qui est trop fort et de la femme qui en tire profit pour dominer l’homme. D’après cette logique, les femmes sont soumises à leur mari afin de réaliser cette communion, et le mari a le devoir d’aimer.

Les femmes, encore les femmes… Qui sont les femmes ?

Les femmes sont encore aujourd’hui les plus nombreuses parmi les pratiquant·e·s. La religion exerce une influence quotidienne afin de rapprocher les croyant·e·s de Dieu. Aujourd’hui, aux yeux de certaines, la religion n’est plus être synonyme de discriminations. A l’inverse, les femmes continuent d’exercer leur foi tout en s’émancipant. Il ne s’agit plus de se détacher de l’Église mais cette fois de s’émanciper du regard de la société. L’association Lallab, récemment créée par des femmes musulmanes et féministes, dénonce le racisme et le sexisme dont elles sont victimes. Selon leurs chiffres, 80 % des victimes d’agressions islamophobes seraient des femmes. Émancipée et voilée, pour ces femmes cela veut dire considérer le port du voile comme une marque d’identité et non de soumission, c’est un choix. Ce sont pour elles les stéréotypes sur la religion qui entravent la liberté des femmes musulmanes.

©Association Lallab

 

Nadine Weibel, auteur de La modernité de Dieu : regard sur des musulmanes d’Europe libres et voilées, tente de réconcilier les valeurs de l’islam avec la modernité occidentale. La modernité est décrite comme « une attitude ou une façon de penser » qui « touche de nombreux domaines telles les structures politiques, économiques et familiales », et s’opposerait à la tradition. Les femmes musulmanes ont-elles leur place dans les sociétés modernes dé-ritualisées ? Selon Nadine Weibel, c’est le cas, car l’islam est atemporel. « La sécularisation ne constituerait pas une étape indispensable pour accéder à la modernité ». La modernité à l’occidentale est vue comme universaliste comme l’islam, mais face à la standardisation le religieux donne une appartenance sociale. Les femmes s’opposent d’ailleurs à l’ordre patriarcal de la dynastie des Omeyyades (661-750) qui fut responsable, à leurs yeux, de leur oppression dans le passé. Le port du voile n’est pas un fait culturel, ainsi la modernité et l’islam seraient parfaitement compatibles.

Les femmes musulmanes se ré-approprient les droits que leur concédait leur religion dans des temps primitifs. Porter le voile les individualise et c’est moderne, au-delà du déni du corps féminin à quoi cela s’assimile originellement. Les femmes voilées prennent le parti de dénoncer les discriminations dont elles font l’objet, mettant à jour une forme de domination. En parallèle, elles militent pour se ré-approprier leur sexualité, avoir le droit à la jouissance. Les femmes musulmanes modernes ne se soumettent plus aux hommes en portant le voile, mais à Dieu.

Françoise Héritier écrivait dans son bestseller Masculin/Féminin : la pensée de la différence que les hommes dominaient les femmes afin d’équilibrer un rapport dans lequel la capacité à donner la vie rendait les femmes naturellement supérieures à leurs congénères masculins. Les amérindien·enne·s étaient avant-gardistes au regard de notre modernité, car l’homosexualité était parfois tolérée et certain·e·s croyaient que les deux sexes avaient un rôle dans la création de l’enfant. Dans les sociétés matriarcales, bien souvent la filiation transmise par la mère dans une société dite « matrilinéaire » était le signe qu’on respectait les femmes. La tribu amérindienne des Squaws fait partie de ces exemples parmi lesquels les femmes pouvaient être parfois chef, députée, chamane, guérisseuse, guerrière ou négociatrice, et non pas seulement mères comme le consacrent de nombreuses autres religions du globe. Redonner de l’importance aux femmes dans les religions intervient à l’heure où les féministes revendiquent une nouvelle place pour les femmes, à l’encontre des doctrines religieuses existantes. Il ne fallait pas manquer le 12 mai 2017 l’issue de la rencontre au Vatican entre l’UISG, l’Union International des supérieures générales, et le Pape François, après laquelle celui-ci se déclara ouvert à des discussions sur l’éventualité de l’accession des femmes au diaconat réservé aux hommes, par lequel elles pourraient baptiser, marier, célébrer les funérailles, conduite la prière et plus encore.

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