C’est autour d’une infusion au tilleul que nous retrouvons Buridane, chanteuse née à Rouen, et Lyonnaise de cœur, au charmant café Pélican dans le 2e arrondissement de Paris.
Le 6 octobre, la jeune femme a sorti un nouvel album, cinq ans après le dernier, qui avait été salué par la critique et dont la dernière chanson sonnait comme un écho lointain d’Ecrire pour ne pas mourir de la très actuelle Anne Sylvestre. Un nouvel album, donc, Barje Endurance, aux accents électriques, bleus, tendres et intrigants à la fois. Entretien avec une artiste passionnante, dont les réflexions existentielles intérieures sont riches et la création féconde.
D’où viens-tu ?
Je viens de la danse, j’ai fait quinze ans de danse avec pour objectif d’être chorégraphe. Je voulais raconter des choses et mettre en scène des choses, pas être danseuse. Et puis la réalité m’a rattrapée. J’étais une jeune fille qui aimait beaucoup écrire. Ce qui m’importe c’est bien de raconter. Je me suis alors posé la question : qu’est-ce qui peut raconter quelque chose tout en étant sur la scène ? La musique !
“Ce qui m’importe, c’est bien de raconter.”
Que t’apporte la danse en tant que chanteuse ?
Quelque chose en rapport avec le rythme. Lorsque j’écris le texte, au départ, “ça danse”. Il y a déjà quelque chose de dansé dans la bouche. Sur cet album, j’ai travaillé en partant de sessions rythmiques plutôt qu’à partir de la guitare comme avant. J’avais envie de composer différemment, loin de l’image qu’on a de la chanson française. D’aller choisir des rythmiques qui appellent le mouvement : j’avais envie de trouver ça dans la chanson française, qui est un vaste genre, jusqu’à trouver une sorte de modernité. Une musique qui amène une sorte de mouvement interne dans le corps.
Raconte-nous l’histoire du clip de « La Transition ». Une performance immobile, le comble pour une danseuse ?
J’avais vraiment envie de faire une performance et que ce soit une autre proposition artistique de lecture de ce titre. La transition, c’est ce passage dont tu ne sais pas combien de temps ça va durer entre quitter l’ancien monde et commencer le nouveau. C’est une immobilité qui peut être subie, on est dans un monde où on nous dit tout le temps qu’on maîtrise, qu’on contrôle, que si on veut on peut. Mais la vérité, c’est qu’il y a des moments où ce n’est pas le cas. Le monde est plus fort que nous. Comme la nature, nous aussi on a nos saisons, plus ou moins longues, et nous aussi, on a nos hivers. Le clip se passe en hiver, d’ailleurs ! Ce clip, ça ne fait que crier : « Quand est-ce que revient le mouvement ? ». C’est douloureux de rester debout et immobile. On souhaite se remettre en mouvement, et c’est toujours douloureux de se remettre à bouger, et pourtant c’est ce qu’on veut. Combien de temps dure la transition ? Jusqu’où on peut descendre ? Est-ce que c’est nécessaire de toucher le fond ? Tout ça me questionne beaucoup… Et c’est ça qui me fait créer.
En écoutant l’album in extenso, on constate un contraste entre un début plus rythmé et une fin tendre. Est-ce juste ?
Dans cet album, j’avais envie qu’il y ait des choses à la fois proche du “guitare-voix” parce que je viens de là, de cette tradition de la chanson française, et parce que j’ai fait beaucoup de concerts comme ça. Accoler cette chose acoustique très intime et très épurée, à quelque chose de plus puissant, massif, urbain. Du coup, je trouvais ça intéressant d’avoir une vraie pause acoustique après des thèmes pas évidents, et de retomber, de digérer ce qui a été dit avant. Après la tempête…
On repère les thèmes de la colère et de la peur qui reviennent souvent…
Je crois que c’est vraiment un album qui aborde la thématique du cycle. Du coup, je pense que c’est un peu ce que j’ai voulu recréer. Quand on arrive à la fin du cycle, il y a une espèce de chaos où il n’y a plus de repères. Le début de l’album parle de ce chaos-là. Quand le chaos retombe, on aperçoit les particules, qui tombent et se déposent.
Sans annuler ce qu’il s’est passé ?
Sans annuler ce qu’il s’est passé, non.
Il y a quand même une ou deux petites chansons d’amour, dans cet album, non ?
Le Phénix et la cendre, c’est de l’amour au sens très large. Je m’adresse à la personne qui écoute l’album, à mon amoureux, à mes amis, à ma famille. C’est surtout une chanson sur l’acceptation, l’envie d’être aimée dans son entièreté, dans tout ce dont on est composé, et pas à travers un masque. Il y a aussi Le Déclin…
Ça ne t’énerve pas qu’on te désigne avec l’expression « voix enfantine », dans la presse ?
Si, ça m’énerve (rires) ! J’ai l’impression d’être victime de moi-même. J’ai envie de raconter des choses profondes, et à cause de cette surface-là, de ce timbre de voix, j’ai l’impression de raconter des choses niaises. J’extrapole ! Après, je pense que notre physique raconte notre histoire. Et dans la mienne, il y a quelque chose qui s’est figé dans l’enfance. Ton histoire te fabrique telle que tu es, même au niveau physique.
Quels sont tes rituels d’écriture ?
C’est plutôt un non rituel : je n’écris jamais en travaillant. Je n’ai pas envie de travailler (rires) ! Ça jaillit. Si j’ai envie de « travailler » un sujet qui m’intéresse, je vais plutôt laisser ça maturer en moi en espérant qu’un matin, ça va jaillir. Je suis dans un rapport à l’écriture instinctif et non pas travaillé. C’est difficile parce que, du coup, je ne suis pas très productive. J’ai envie de dire quelque chose qui sera vraiment important et nécessaire, je ne supporte pas d’écrire un truc sans intérêt et bateau. Je ne veux que des choses essentielles. Je crois à chaque chanson que je fais. Si une chanson me fait vibrer à l’intérieur de moi, je la garde. Si je sens que rien ne se passe, ça ne vaut pas la peine. Parfois j’aimerais être capable de travailler, ça vaut le coup, mais en fait il ne faut pas se forcer, ce n’est pas une question de choix, plutôt de ce qu’on peut faire.
“J’ai envie de dire quelque chose qui sera vraiment important et nécessaire, je ne supporte pas d’écrire un truc sans intérêt et bateau.”
On sent une écriture profondément instinctive, presque automatique, en tout cas à vif. De quel mouvement artistique te rapproches-tu ?
L’expressionnisme. C’est un mouvement qui est caractérisé par une dimension très imagée, par quelque chose qui provient d’un rêve. Des tableaux qui jettent des expressions, des émotions : je pense un peu mes chansons comme ça. En littérature, j’ai lu plein de choses différentes. Il y a Murakami, un japonais à l’univers très onirique dont j’ai tiré un extrait qu’il se trouve à l’intérieur de la pochette de l’album. J’aime beaucoup Grégoire Bouillier, qui fait beaucoup d’auto-fiction, et mon album en est une en quelque sorte. J’aime la poésie mais pas les recueils, la poésie au sens large, au quotidien, j’aime les mots, la langue. Je pense qu’il faut sublimer les choses, ce qu’on vit de désagréable doit être utile. Il ne faut pas le garder pour soi. Il faut mettre des mots sur ça, et j’en ai besoin.
Quel a été l’élément déclencheur de ton aventure musicale ?
J’étais dans une phase agoraphobe, enfermée dans mon appartement à Lyon dans une période de creux de vie sociale, et un ami m’a poussée à faire des chansons. Il a cru en moi, et quand quelqu’un croit en toi, c’est magique. Il m’a apporté un renforcement positif et il m’a fait faire de la musique. Ça me fait des frissons rien que d’y repenser !
Quelle est ta relation au public ?
C’est la raison pour laquelle on fait de la musique, je crois. On se met un peu en situation d’être jugée, mais dans le but d’être aimée, et aimée au sens d’être comprise. “Est-ce que vous m’entendez ? Est-ce que vous me comprenez et est-ce que du coup on se comprend ? Est-ce que je vous fais du bien ? Parce que vous, vous me faites du bien !” Faire de la scène c’est chercher à se sentir moins seul. Quand des personnes viennent me voir en disant « cette chanson, c’est vraiment mon histoire », cela apprend l’humilité, car parfois, honnêtement, on a l’impression d’être tout-e seul-e centré-e sur ses problèmes. D’autre part, on se rend compte qu’on forme un tout.
“Faire de la scène c’est chercher à se sentir moins seul.”
En fait, on a tous nos petites chansons intérieures…
Exactement !
Quels sont tes projets futurs ?
Une belle tournée ! Je suis en concert à Toulouse le 10 novembre, à la Maroquinerie à Paris le 14 et à Lyon le 17 notamment. On va refaire un clip pour l’une des chansons, on ne sait pas encore laquelle.
Barje Endurance, un album de Buridane, © Musique Sauvage, sorti le 6 octobre 2017