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« La Passion Van Gogh » – Un film passionné et fascinant sur le mystère Vincent

Le 11 octobre 2017 est sorti La Passion Van Gogh, énième film sur le peintre célèbre à la réputation maudite. Pourtant, il ne s’agit pas d’un biopic, ni d’une fiction trop légèrement basée sur son histoire ou même d’un documentaire basé sur ses propres œuvres ; hors catégories, ce film fonctionne sur le principe du décalage. Introduction sans spoiler pour mieux savoir à quoi s’attendre.

©BreakThru Productions & Trademark Films

 

Une forme nouvelle pour une nouvelle forme d’intimité

La Passion Van Gogh, attendu depuis plusieurs années par les passionnés et les contributeurs de 2014 sur Kickstarter, a en effet pris si longtemps à être achevé à cause de son mode de production : chaque plan a été peint à la main. Si plus de 90 artistes se sont immergés dans le style pictural de Van Gogh pour créer les 62 450 peintures à l’huile nécessaires pour 1h35 d’animation, c’est moins pour décrocher le trophée de première mondiale que pour tenter de toucher au plus près de l’histoire racontée. Et cette histoire n’est pas celle de Vincent Van Gogh mais celle d’une quête, d’abord sous la forme d’une enquête que mène un jeune homme qui l’a connu et qui cherche à remettre sa dernière lettre à son destinataire, son frère Théo Van Gogh.

Aperçu du travail de l’un des nombreux artistes à avoir participé au projet ©BreakThru Productions & Trademark Films

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est à plusieurs niveaux que ce film s’inscrit alors en décalage : ce ne sont pas directement les peintures de Van Gogh qui sont mises en scène et articulées pour former une nouvelle histoire, mais des copies, des interprétations, voire de toutes nouvelles variations qui s’en inspirent. En tant que spectateur, cette nouvelle image est d’abord un obstacle ; si les tableaux de Van Gogh ne sont pas immédiatement clairs et lisibles, il faut s’attendre, devant ce film d’animation, à une certaine réticence de l’œil face au rythme plus saccadé que tous ces films fluides et au grain d’image lisse auxquels il était habitué. Mais, une fois accoutumé, on plonge très facilement dans un tout nouveau jeu de profondeur, de mouvements et de couleurs grâce, justement, à l’animation des objets et personnages qui en arrivent à être expressifs, toujours dans cette retenue qui caractérise les portraits du peintre.

 

Peinture originale utilisée pour le film ©BreakThru Productions & Trademark Films

 

Un autre décalage évident s’inscrit dans l’intrigue elle-même : le protagoniste, narrateur principal au travers duquel on découvrira tout ce que Vincent a laissé de lui après sa mort, est Armand Roulin, le fils du facteur qui se souciait tant du peintre. C’est pour son père qu’il se décide, à l’été 1891, à retrouver Théo pour lui remettre l’ultime lettre de son frère. C’est le début d’une quête plus longue que prévue, qui lui fait rencontrer divers personnages qui ont connu, plus ou moins intimement, le peintre pendant les dernières années de sa vie, et ont chacun leur avis sur les causes de sa mort. Le film prend alors la tournure d’une collection de témoignages multiples qui s’entremêlent, se contredisent, et parmi lesquels Armand tente au fur et à mesure de démêler le vrai du faux. Comprenant qu’il est impossible de dresser un portrait univoque du peintre, car tout dépend de l’interprétation qu’en fait chaque habitant du village à travers ses propres intérêts et sensibilité, Armand se fait la voix d’un film qui refuse de trancher entre tous ces traits de caractère attribués, à tort ou à raison, au peintre maudit.

Ce fil rouge, qui traverse tant l’histoire racontée que le procédé artistique lui-même, préfère donner à voir plutôt qu’expliquer, et se résume magnifiquement en l’affirmation de Vincent Van Gogh lui-même, dans sa dernière lettre adressée à son frère : « On ne peut s’exprimer que par nos tableaux ». Revenant sur le mystère bien opaque qui entoure la mort du peintre maladif et reconnu seulement à titre posthume, La Passion Van Gogh montre par fragments expressifs, comme à travers le regard de l’artiste, ses multiples facettes.

Un vibrant hommage au personnage

 

©BreakThru Productions & Trademark Films

 

Ce n’est peut-être pas un hasard si le film s’appelle, en français, la « passion » Van Gogh, dans une traduction restrictive de l’original. En anglais, en effet, Loving Vincent semble reprendre de prime abord la formule que Vincent écrivait à la fin de ses lettres à son frère : équivalent de la formule épistolaire française « bien à toi », elle révèle l’attachement qu’il lui portait et, reprise en titre, fait ressortir l’intention du film d’aborder cette facette souvent inconnue des non-initiés. Mais l’ambiguïté de Loving Vincent fait aussi écho aux relations plus ou moins étroites qu’il a entretenues de son vivant avec les différents personnages, ainsi qu’à l’affection que lui porte ce fameux facteur dont la bienveillance constitue le point de départ de l’intrigue. Torturé, impulsif, capable tout à la fois de douceur et d’une rage sans nom, le peintre semblait difficile à aimer et, partant, douloureusement seul.

©Newbury comics

Depuis sa mort, il est cependant l’objet d’une intense fascination encore bien contemporaine, alors que ses tableaux demeurent parmi les plus onéreux du marché de l’art et que quelques unes de ses œuvres inondent la culture populaire, à l’instar de la Nuit étoilée qui se décline même en tee-shirts, jupes ou parapluies…

Irascible ou hypersensible ? Fermé ou observateur ? Fou ou malade ? Ce ne sont que quelques unes des questions qui taraudent ceux qui se sont penchés sur sa vie, et qui ressortent en pointillés tout au long du film. Vincent ne cesse d’intriguer mais l’on sent que, dans le souci de précision quant aux éléments vrais de l’histoire présentée à l’écran et celui de ressemblance entre les images et son style pictural, c’est une profonde douceur et un immense respect qui traversent ce film de part en part. On sent l’attachement qu’éprouvent chacun des acteurs et créateurs de La Passion Van Gogh pour l’œuvre du peintre, et jusqu’à la fin on se gardera bien d’émettre un quelconque jugement moralisateur sur lui. Car il était avant tout un homme, fait de passions, de rêves et empreint d’une grande sensibilité pour ce qui l’entourait, et c’est cette image que le film veut nous transmettre.

Par cette générosité empreinte de tact et de références constantes à l’art de Vincent Van Gogh, La Passion Van Gogh rend un hommage original et touchant au peintre le plus connu au monde. Tout en nuances colorées et en petites touches, il en compose un portrait aussi vibrant que le plus célèbre de ses tableaux. Et c’est une magnifique réussite.

Aime la culture, TOUTE la culture, et l'anonymat. Pas facile d'en faire une biographie, dans ce cas. Rédactrice et Secrétaire de Rédaction pour Maze. Bonne lecture !

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