Christophe Honoré publie en cette rentré un nouveau roman, Ton père, marqué par la peur et le questionnement autant de la condition homosexuelle aujourd’hui que de la création artistique. Il monte actuellement son nouveau film, Plaire…, tourné cet été entre Paris et la Bretagne où il revient sur sa jeunesse. Rencontre avec Christophe Honoré, entre cinéma et littérature.
Ecrivain-cinéaste ou cinéaste-écrivain ? Qu’importe quand il s’agit de Christophe Honoré, un artiste qui aime varier les expériences et mêler les genres artistiques. Douze ans après son dernier roman, il publie Ton père (7 septembre 2017, Mercure de France) en cette rentrée. Dans ce livre, Christophe Honoré mêle la fiction à l’autobiographique, sans faire tout à fait de l’autofiction. Le narrateur de ce roman, cinéaste homosexuel, y raconte comment il retrouve un matin sa fille avec un bout de papier qu’elle a retrouvé punaisé sur leur porte. Sur ce bout de papier, une blague de mauvais goût, et là tout dérape. Une suite d’évènement advient sans que ce narrateur ne sache quoi y comprendre vraiment. Il mène alors une enquête pour tenter de tout démêler.
À cela s’ajoute le récit touchant de sa vie avec sa fille ainsi que des réflexions sur l’état de sa création et sur ce qu’est être homosexuel aujourd’hui, après la Manif pour tous. Mêlant le vrai et le faux, Christophe Honoré raconte aussi la préparation de son nouveau film et fait la place aux figures, à la fois absentes et omniprésentes d’artiste mort du SIDA. Il vient de passer son été à tourner ce nouveau film, nommé Plaire… . Christophe Honoré y revient sur sa jeunesse étudiante à Rennes et évoque son rapport à l’homosexualité et au SIDA. Alors qu’il est en train de train de monter ce nouveau film qui sortira en 2018, nous l’avons rencontré pour parler de littérature, de cinéma, de sexualité et de notre époque.
Vous n’aviez pas publier de roman depuis 12 ans. Qu’est ce qui a motivé l’écriture de ce nouveau livre ?
Je n’ai jamais vraiment décidé d’arrêter d’écrire de roman. Lorsque j’ai publié mon dernier livre Le livre pour enfants (éditions de l’Olivier, 2005), je venais de sortir Ma Mère juste avant de réaliser Dans Paris. J’ai enchainé les films depuis, avec presque un par an, ce qui ne me lassait pas beaucoup de temps pour écrire. D’ailleurs, quand j’ai commencé à faire du cinéma, j’avais déjà publié quatre romans et on regardait alors mes premiers films avec l’idée que j’étais un romancier qui faisait du cinéma. Mais comme je le raconte dans Ton père, j’ai continué à passer énormément de temps à essayer d’écrire sans jamais parvenir à aboutir à un livre. Quand la suite des évènements que je relate dans le livre ont commencé à me tomber dessus – ce mot qu’on a punaisé sur ma porte ainsi que les évènements qui ont suivi -, j’ai pris conscience, assez vite, qu’il était important que je prenne la parole sur ce sujet. L’écriture de ce roman m’a toutefois pris quelques années, certainement parce que je m’avançais sur sujet très personnel. C’était compliqué de décider de ce que j’étais prêt à dire et ce que je ne voulais pas dire.
Comment avez-vous trouvé cet équilibre justement ?
J’ai d’abord écrit beaucoup de chapitres, dont je me suis ensuite délesté. Mes mauvaises habitudes de cinéastes m’ont rattrapées et j’ai alors envisagé ce que j’avais écrit comme un ensemble de rushs qu’il fallait assembler. J’ai donc conçu l’écriture du livre comme un montage où je me suis passé de certains épisodes, et ai décidé d’adopter la forme de l’enquête, qui me semblait être celle qui correspond le plus à la manière de cauchemar que j’avais vécu. L’intervention de la fiction m’a permis aussi de ne pas transformer ce livre en un règlement de compte, ce que je ne souhaite pas. Je ne voulais pas embarrasser mes proches.
Pourquoi avoir transcrit ces évènements en un livre plutôt qu’en un film ? Qu’est-ce que la littérature permet que le cinéma ne permet pas ?
À partir du moment où je m’engageais sur un récit à la première personne, je n’avais pas le désir de passer par l’incarnation de comédiens. J’avais un souci de sincérité et j’aurais eu l’impression de tricher. Je suis pourtant convaincu d’appartenir à une famille de cinéaste-« auteurs » qui font des films à la première personne, où l’engagement personnel du cinéaste est profond. L’écriture me permettait toutefois de prendre le temps d’une réflexion. Même s’il y a ce récit d’enquête, j’avais le sentiment que ce livre pouvait prendre la forme d’une sorte de manifeste d’une parole homosexuelle d’aujourd’hui, où les combats à mener serait moins de l’ordre des questions de discrimination de la sexualité ou de l’expression d’un érotisme homosexuel, mais se concentrent plutôt autour d’une figure, qui me semblait assez absente de la fiction, qui est celle du père homosexuel. Lorsque j’ai décidé de faire un enfant, je n’ai pas trouvé de modèle de père homosexuel dans la littérature ou dans le cinéma, et il me semble que cette figure n’existe toujours pas vraiment. La légitimité de ce livre était de faire advenir la figure du père homosexuel, et j’avais l’impression que c’était plus juste de la travailler par la littérature que par le cinéma.
« Lorsque j’ai décidé de faire un enfant, je n’ai pas trouvé de modèle de père homosexuel dans la littérature ou dans le cinéma, et il me semble que cette figure n’existe toujours pas vraiment »
Avec ce livre, vous proposez une forme mutante qui mélange carnet de notes, journal, essai, roman policier, autofiction…
Ça vient de mes goûts de lecteur ; Le mentir-vrai d’Aragon est quelque chose qui m’a toujours plus. L’autofiction telle qu’exprimée par des auteurs comme Annie Ernaux ou Christine Angot donne des livres qui me touchent beaucoup. Il y aussi l’influence de Lunar Park de Breat Easton Ellis qui m’a beaucoup marqué. J’ai le sentiment que je serais incapable d’écrire un roman purement romanesque et fictionnel, même si cette forme peut parfois m’intéresser en tant que lecteur. Cette forme chaotique et impure, je la cherche aussi beaucoup au cinéma. Cette forme est celle qui correspond à la manière que j’ai de voir le monde. Cette perception est chaotique et j’aurais l’impression de mentir si je rendais le monde plus lisible que je ne le vois.
Le livre est parsemé de photos : des portraits d’artistes évoqués ainsi que des photos personnelles. Est-ce qu’en mélangeant texte et images dans ce livre, vous cherchiez, d’une certaine manière, à faire quand même du cinéma autrement ?
J’ai eu l’opportunité de mettre des images parce que c’est la caractéristique de la collection « Traits et portraits » dans laquelle ce livre est publié. J’ai essayé de choisir des images pour les faire dialoguer à distance avec ce que je racontais. Les images complètent l’interrogation de la figure du père homosexuel dans le texte en la doublant d’une question : « Après qui je prends la parole ? ». Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi de prendre la parole après des artistes que j’ai découvert durant ma jeunesse et que, une fois arrivé à Paris, je n’ai pu rencontrer parce qu’ils étaient tous mort du SIDA. Je ressens encore aujourd’hui leur absence. Je me sens en manque des œuvres qu’ils auraient pu produire aujourd’hui. Le recours à leurs portraits me donnait l’impression de donner une sorte de hors-champs au livre. Ils sont disparus mais sont très présents dans mon travail et ma réflexion.
Dans ce livre, vous évoquez aussi la préparation de votre nouveau film, Plaire…, qui est également marqué par un geste autobiographique tout en étant fictionnel. Ce livre est-il aussi une manière de doubler le film d’un récit plus directement autobiographique, en utilisant un autre médium ?
Pour moi, tous mes projets sont liés les uns aux autres. Ces deux projets, le livre et le film, sont très liés. Ce sont deux manières d’interroger l’homosexualité et le rapport au SIDA. J’ai écrit le film en parallèle de la fin de l’écriture de ce roman et j’alternais l’écriture de l’un et l’autre, ils se sont énormément nourris. Il y a même des phrases qui traversent le film qui sont aussi présentes dans le livre. Je les conçois vraiment comme membres d’un diptyque, et même d’un triptyque puisque je prépare également une pièce de théâtre autour de ces figures d’artistes dont les photos illustrent ce roman.
Dans les années 90, lorsque les artistes de ma génération avaient vingt ans, il semblait difficile de reprendre directement la parole sur ces thèmes, en tant que témoin, après des artistes comme Hervé Guibert, Bernard-Marie Koltès, Derek Jarman ou Jacques Demy qui ont été plus que des témoins mais des victimes et qui ont produit des œuvres marquées par la détresse liée au SIDA. Ce n’est surement pas un hasard si on est plusieurs artistes homosexuels à reprendre la parole aujourd’hui sur ces sujets plutôt qu’il y a dix ans, où l’on pouvait encore avoir une parole joyeuse et libérée sur les différentes formes de sexualité. Quand j’ai fait Les Chansons d’amour, qui est un film d’après la mort, les personnages essayaient d’être dans un printemps qui chante. Avec Plaire…, j’assume davantage la gravité qui est plus directe, ça ne chante plus !
“Se taire et dire que [la Manif pour Tous] ce sont des fachos auxquels il ne faut pas répondre me semblait être une attitude que l’on ne pouvait pas se permettre.”
Cette gravité correspond-t-elle à l’époque que vous décrivez ou à notre époque ?
La libération de la parole homophobe au moment de la Manif pour tous fait que l’on sent soudain qu’il faut prendre les armes et qu’il ne faut pas leur laisser le terrain (cf. la tribune que Christophe Honoré avait signé en 2012). Se taire et dire que ce sont des fachos auxquels il ne faut pas répondre me semblait être une attitude que l’on ne pouvait pas se permettre.
Vous semble-t-il plus difficile de créer aujourd’hui qu’il y a dix ou vingt ans ?
Quand je suis arrivé à Paris il y a une vingtaine d’années, je ne connaissais personne. Trois mois après je suis rentré au Cahiers du cinéma. J’ai publié très vite un premier roman jeunesse (Tout contre Léo, L’École des loisirs, 1996) puis un roman aux Éditions de l’Olivier (L’infamille, 1997) et puis j’ai réussi à réaliser mon premier film, 17 fois Cécile Cassard. Tout cela en très peu de temps. Je ne sais pas si ça serait aussi simple si j’arrivais à Paris aujourd’hui et en même temps je ne sais pas si l’époque est plus difficile pour un jeune qui arriverait aujourd’hui. C’est compliqué de juger parce que la perception que l’on a à 45 ans et à 25 ans n’est forcément pas la même. L’enjeu pour moi n’est plus maintenant de faire un film ou d’écrire un livre, mais de savoir quel livre écrire et quel film faire.
Dans Ton père, vous racontez votre retour à Rennes pour la préparation de votre nouveau film. Comment se sont passé ces retrouvailles avec la ville de vos années d’étudiant ?
Quand j’ai fait le travail de repérages il y a un an en passant quelques jours à Rennes, j’en suis rentré un peu effrayé. Je me suis pris mon âge dans la figure et le fait d’être dans l’incapacité de ressentir l’ambiance dont j’avais le souvenir, ce qui était normal. Mais je me suis surtout posé la question de si cette ville était filmable. C’était difficile pour moi de trouver, en me baladant, des endroits que j’avais vraiment envie de filmer. Lorsque je suis retourné en juin à Rennes pour le tournage, j’étais fébrile et étrangement ça a été le tournage le plus heureux. On a tourné beaucoup de nuit, si bien que je rentrais du tournage vers 4-5h du matin, soit les horaires vers lesquels je rentrais bourré quand j’étais étudiant. Les rues ont changé, mais la nuit rennaise n’avait pas changé. J’ai réussi à filmer dans l’appartement où j’habitai, ce qui était très troublant. On a aussi tourné dans des bars que je fréquentais à l’époque.
La nuit du retour à l'Ozone. #ruedeSaintMalo. #unfilml'été. pic.twitter.com/LEMYR1x7NN
— christophe honoré (@ChHonore) June 27, 2017
J’ai adoré être étudiant à Rennes mais au bout d’un moment j’ai eu un sentiment d’asphyxie, je croisais toujours les mêmes personnes, j’allais toujours au même endroit et rien ne pourrait m’arriver dans cette ville. Je me souviens des gens qui étaient un peu plus âgés que moi qui disaient ne pas vouloir partir à Paris, ce qui signait une forme de défaite, de ne pas avoir osé se confronter à un refus. Or être artiste, c’est prendre ce risque de se confronter à ce qu’on vous refuse de l’être. Mais maintenant que je vois les rushs du film, c’est très étrange, je me demande pourquoi j’ai filmer certains lieux qui m’apparaissent comme des clichés, comme le parc Thabor ou le Théâtre National de Bretagne. Je ne sais pas quelle vision de la ville je vais offrir au public. C’est une ville moins stimulante pour faire des images que Nantes ou Brest. On ne sait pas comment la cerner, elle n’a rien de très singulier.
“Lorsque je suis retourné en juin à Rennes pour le tournage, j’étais fébrile et étrangement ça a été le tournage le plus heureux.”
Après des adaptations comme Les Malheurs de Sophie ou Métamorphoses, vous êtes revenu à un récit plus personnel. Comment cela vous est venu ?
C’est un peu un hasard si j’ai enchainé deux adaptations, même si Métamorphoses me semble être un film très personnel mais d’un point de vue formel ou idéologique. Il y avait une forme d’urgence à filmer la jeunesse et des quartiers du sud de la France. Je n’arrive pas trop à expliquer comment est né ce nouveau film, Plaire…, si ce n’est surement une volonté d’alterner les projets. Il faut d’abord trouver le désir de refaire un film et de se positionner devant un nouveau défi. Je n’ai pas d’intérêt à refaire Les Chansons d’amour. D’ailleurs, je n’aurais peut-être pas dû faire Les Bien-aimés, même s’il est différent des Chansons d’amour, par sa forme plus ample et romanesque.
Qu’est-ce qui motive votre lien avec la littérature en tant que cinéaste ?
Quand j’étais adolescent je rêvais d’être cinéaste et mon rapport au mon monde était défini par ma cinéphilie, mais j’étais en même temps un grand lecteur. Je me suis d’abord exprimé en littérature parce que c’est beaucoup plus simple d’écrire un livre que de faire un film. J’ai bien vu au moment de mon premier film que j’étais un cinéaste impur, pour lequel la littérature comptais beaucoup. Ce qui me rapprocherai des cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est cette vocation d’écrivain frustré, dans les films desquels la littérature constitue un hors champs fort. J’aime l’idée de rendre impur le cinéma : j’ai tendance à écrire des scénarios avec des digressions, où les dialogues ont un poids trop important ou à envisager le travail de montage et de la mise en scène d’une manière littéraire.
“Quand j’étais adolescent je rêvais d’être cinéaste et mon rapport au mon monde était défini par ma cinéphilie, mais j’étais en même temps un grand lecteur.”
J’ai l’impression que quand la littérature s’est penchée sur le cinéma français, ça a créé des films étranges qui ont essayé de renouveler le cinéma et de dire autrement, que ce soit les films réalisés par Sacha Guitry, ceux de Marcel Pagnol, d’Alain Robbe-Grillet, de Marguerite Duras ou de Jean Cocteau. Ce sont des expériences que parfois les cinéphiles dédaignent mais qui font partie de mon bagage. Sans vouloir me comparer à eux, car je ne suis ni les écrivains, ni les cinéastes qu’ils sont, nous partageons un même champ de recherche.
Il y a une grande place du cinéma dans la littérature contemporaine française aujourd’hui. Comment l’expliquez-vous en tant qu’écrivain-cinéaste ?
A l’exception d’auteurs comme Yannick Haenel ou Tanguy Viel, ces références aux cinémas correspondent toujours à un cinéma qui n’existe plus. Ce n’est jamais pour parler du cinéma actuel mais souvent pour parler d’un certain âge d’or, souvent hollywoodien. Le cinéma est toujours envisagé à travers les genres. Finalement je vois peu d’écrivains qui se frottent au cinéma d’aujourd’hui, parce que c’est plus compliqué et plus difficile à comprendre. Mais c’est ce qui rend le cinéma d’aujourd’hui passionnant et je suis ravi d’être cinéaste maintenant. Les gens qui font du cinéma aujourd’hui me stimulent. En parlant d’un cinéma pré-Nouvelle vague, on est dans l’ordre du lieu commun, comme clichés et références partageables par tous, qui rend le cinéma plus simple à envisager par la littérature.
Ton père de Christophe Honoré, éditions Mercure de France, collection “Trait et portraits”