CINÉMA

« Une Vie Violente » – Itinéraire d’un nationaliste corse

Il y a un peu moins d’un mois, Thierry de Peretti, réalisateur corse, sortait Une Vie Violente, son deuxième long-métrage. Après Les Apaches, qui avait reçu un accueil mitigé du public, il revient avec une œuvre traitant de l’histoire vraie d’un nationaliste corse, tout en gardant pour fil rouge la volonté de dépeindre la société insulaire.

Le 4 août dernier, le petit village de Lama en Haute-Corse voyait déferler l’île entière — et c’est à peine exagérer tant les règles de stationnement aux abords du village furent bafouées ce soir là — à la projection du nouveau film de Thierry de Peretti, dans le cadre du festival du film européen de Lama. Les spectateurs étaient tellement nombreux à souhaiter assister à la projection du nouveau film de l’enfant du pays qu’une deuxième séance a du être donnée dans la foulée, fait rarissime pour l’évènement.

Mais cette folle affluence était prévisible. En effet, les locaux, attachés à l’image que le cinéma dresse de leur île, voulaient voir le résultat. D’autant que le film a bien évidemment un retentissement national, avec une présentation à la semaine de la critique à Cannes en mai dernier. Et d’autant plus que, depuis L’Enquête Corse, dont on garde en mémoire quelques bonnes répliques malgré la caricature, il n’y avait pas eu de tels film mettant en lumière la société corse.

Depuis son premier long, Les Apaches, Thierry de Peretti s’attache à pallier ce manque en en dressant le portrait, ou plutôt en la photographiant.

Un scénario volontairement complexe

Dans Une Vie Violente, le scénario se concentre sur l’histoire — vraie — de Stéphane, jeune homme issu de la bourgeoisie bastiaise, ambitieux et méprisant à l’égard de l’île (« j’irai pas étudier à Corti, y’a que des cloches ! »), qui va progressivement devenir un leader nationaliste.

Narré à la manière d’un rise and fall, le film suit donc la métamorphose de ce jeune homme manipulable, mettant le doigt dans un engrenage — ou plutôt se laissant entraîner dans une spirale mortelle.

© Pyramide Distribution

Au départ simple étudiant qui cache des armes dans son studio d’Aix-en-Provence pour rendre service à ses amis, il est condamné à de la prison ferme. C’est à ce moment-là qu’il « tombe dans les filets » d’autres détenus nationalistes. À leur contact il va peu à peu se détourner de ses positions apolitiques. A sa sortie, il est transformé en militant déterminé à combattre pour son île.

Un schéma, et seulement le schéma, qui pourrait faire écho à l’actualité française et au départ de jeunes au Proche-Orient, eux-aussi parfois radicalisés dans les geôles, alors qu’ils n’étaient au départ que de jeunes athées sans aucune volonté combattante.

Au début de son engagement, jeune leader plein d’espoir, il va se laisser dépasser par de multiples conflits, principalement les conflits d’intérêts, mais surtout par une lutte politique qui, tout aussi légitime qu’elle puisse être, est ordonnée au nom d’un peuple qui n’a rien demandé.

Ce scénario à la narration aussi complexe que la réalité, fait état de tout ce système littéralement pourri entretenu par et pour l’État français : les luttes fratricides entre les différentes branches nationalistes, ou les luttes internes à ces branches. Sur ce point, on peut citer en exemple cette scène du début du film au cours de laquelle Stéphane et ses camarades de lutte se posent la délicate question des moyens : sont-ils justifiés par la fin ?

Il dépeint également la guerre entre nationalistes et mafia, et permet donc la précieuse distinction de ces deux entités bien trop souvent confondues par les continentaux.

Le scénario, piédestal pour dépeindre la société corse

Au-delà de ce scénario, et, de manière habile, Thierry de Peretti parvient à faire prêter aux personnages un point de vue sur leur propre condition. Les scènes traitant de l’intrigue et mettant en scène les personnages principaux sont parfois entrecoupées par des scènes satellites où prennent place leurs proches. Par exemple, un thé entre mamans, ou une interview d’un nationaliste filmée au caméscope. Thierry de Peretti parvient alors à mettre en exergue de manière plus ou moins explicite certains faits qui font la Corse depuis plus de 50 ans : le fait que l’existence du Front de libération nationale corse a permis d’empêcher le bétonnage de l’île mais aussi des simples détails sur la manière de vivre. Et cela sans jamais tomber dans la caricature : le port d’arme dans certaines soirées, les tirs en l’air lors des mariages, les embrouilles dans les cafés où personne ne bronche, les échanges de puttachji (ragots) sur les femmes de voyous. Cela existe mais n’est pas pour autant coutume.

Plus généralement, Thierry de Peretti rend compte tout au long du film de la manière de parler, de se comporter, de vivre de la société corse. Et démontre qu’elle est bien différente de celles de la société française.

© Pyramide Distribution

Le film corse dont la France avait besoin

Enfin, il est important de souligner que, comme pour Les Apaches, Thierry de Peretti a tenu à s’entourer d’acteurs corses, ce qui n’empêche pas le réalisateur de faire jouer également des continentaux, mais également d’amateurs. Au détour d’une Zilia-glace quelques heures avant la présentation du film à Lama, Jean Michelangeli, l’interprète du rôle principal, nous confiait qu’il campait ici son premier rôle. Un choix audacieux.

Mention spéciale pour des scènes d’activisme nocturnes filmées façon reportage TV qualité VHS, ainsi que pour la bande originale mêlant classiques du répertoire corse et musiques actuelles, avec notamment The Brian Jonestown Massacre en ouverture, et le mélancolique Blinded By The Lights de The Streets en générique de fin (qui avait opéré également dans Tout Ce Qui Brille de Géraldine Nakache et Hervé Mimran).

Deuxième long-métrage réussi pour Thierry de Peretti qui, malgré quelques détails exagérés, sort le film corse dont la France avait besoin.


Une Vie Violente, de Thierry de Peretti, sorti le 9 août 2017

RENNES-SUD

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