Le « jour du dépassement de la Terre » (« Earth Overshoot Day » en anglais), calculé par le Global Footprint Network, un institut de recherches international établi à Oakland (Californie), correspond à la date à partir de laquelle l’humanité, ayant “consommé la totalité des ressources que la planète peut renouveler en une année”, commence à vivre “à crédit”, expliquent Global Footprint Network et WWF dans un communiqué commun. Elle recalcule chaque année la date du “jour du dépassement” pour les années passées, afin de prendre en compte les dernières données scientifiques en la matière.
Le calcul prend en compte trois paramètres : le nombre de jours dans l’année (soit 365 par convention), l’empreinte écologique de l’homme, qui mesure l’exploitation des ressources naturelles de la Terre, et enfin la biocapacité de la planète, c’est-à-dire sa capacité à reconstituer ses réserves et à absorber les gaz à effet de serre. Ainsi, grâce à plus de 15 000 données des Nations unies, il a été possible d’estimer que l’équivalent de 1,7 planète serait nécessaire pour assouvir les besoins des êtres humains, soit une consommation de l’humanité qui dépasse de 70 % les ressources disponibles. Ce calcul permet de mettre en exergue nos modes de consommation, de production et les inégalités entre l’empreinte écologique des pays développés et celle des pays pauvres.
1,7 planète serait nécessaire pour assouvir les besoins des êtres humains.
Si les ressources renouvelables se font de plus en plus rares, c’est parce que « l’on consomme de plus en plus du fait de l’augmentation de la population, explique Arnaud Gauffier, responsable agriculture et alimentation de WWF France. Nous mangeons de plus en plus de viandes et de poissons. Les modes de production de notre alimentation ont aussi un énorme impact sur la planète ».
La croissance démographique mondiale mais également des modes de vie toujours davantage liés aux énergies fossiles sont en cause. Le rejet de carbone dans l’atmosphère est supérieur à ce que les forêts peuvent intégrer, le rythme auquel les arbres sont coupés est bien plus important que le rythme de leur croissance, et l’industrie alimentaire, de plus en plus délirante, impose également sa large part d’émission de CO2. Les conséquences de ces logiques irraisonnées ont déjà de larges répercussions : accumulation des déchets, déclin de la biodiversité, pénuries en eau, acidification des océans, érosion des sols, déforestation, ou encore élévation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère affectent l’ensemble du globe.
« Les émissions de gaz à effet de serre représentent à elles seules 60 % de notre empreinte écologique mondiale », rappelle l’ONG.
De fin novembre en 1977 au 2 août en 2017
Encore excédentaire en 1961, avec un quart de ses réserves non consommées, la Terre est devenue déficitaire au début des années 1970. Si le rythme de progression a un peu un peu ralenti depuis six ans, cette date symbolique “continue inexorablement d’avancer” car “cette journée est passée de fin septembre en 1997 au 2 août cette année”, relèvent WWF et Global Footprint Network. En effet, ce jour a connu une évolution saisissante. Nous sommes passés de 1977 période à laquelle la planète avait épuisé ses ressources le 12 novembre, au 24 octobre dix ans plus tard, en 1987. En 1997, c’était le 30 septembre, et en 2007, il survenait le 15 août
Des émissions de CO2 variables selon le niveau de développement
Les intensités d’émission de CO2 sont variables selon les territoires, et il est aisé d’établir une relation entre le niveau de développement du pays et son activité polluante. Dans cette crise écologique, ce ne sont donc pas seulement les émissions de CO2 qui sont pointées du doigt mais aussi les causes de l’accentuation de ces émissions, en partie liées aux inégalités de revenu et de pouvoir dans les pays du globe.
À la lumière de ces aspects fondamentaux, les travaux de Laurent Eloi notamment dans son article Comment nos inégalités polluent la planète donnent une piste de réflexion pragmatique quant au lien inégalités de développement-crise écologique :
« Cet enjeu écologique de la crise contemporaine des inégalités peut être en partie compris de manière micro-écologique. Du côté des riches, l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen (et sa « consommation ostentatoire ») nous apprend que le désir d’imitation des modes de vie des plus fortunés par la classe moyenne peut conduire à une épidémie culturelle de dégradations environnementales. Du côté des pauvres, Indira Gandhi, seul chef d’Etat présent au sommet fondateur de Stockholm en 1972, nous enseigne que « la pauvreté et le besoin sont les plus grands pollueurs » : la pauvreté conduit dans le monde en développement à des dégradations environnementales insoutenables mais rendues nécessaires par l’urgence sociale de survivre. Ces dégradations résultent d’un arbitrage perdant à moyen terme entre bien-être présent et futur : les ressources naturelles constituant de fait le véritable patrimoine de la majorité des habitants des pays pauvres, leur dégradation se traduira à terme par un appauvrissement des populations. L’éradication de la pauvreté est donc un objectif écologique à condition qu’elle ne soit pas considérée comme un simple rattrapage sur le mode de l’hyperconsommation mais qu’elle entre dans le cadre d’une redéfinition de la richesse et de ses indicateurs […] ».
Pour schématiser, d’après Global Footprint Network, si chaque être humain avait le même rythme de vie qu’un Français, nous aurions besoin de trois planètes pour vivre. En suivant le même raisonnement, la population mondiale aurait besoin de cinq planètes si elle vivait au rythme américain. Au contraire, en vivant au rythme indien nous n’aurions besoin que de 0,6 planète. Le risque majeur étant que le niveau de vie des pays en développement atteignent celui des pays développés, sans que de concrètes décisions pour minimiser les émissions de CO2 n’aient été prises. Si chaque être humain avait le même rythme de vie qu’un Français, nous aurions besoin de trois planètes pour vivre.
Un instrument de sensibilisation controversé
Destiné avant tout à sensibiliser la population à la protection de l’environnement, le concept de “jour du dépassement” soulève des polémiques de par son mode de calcul. L’agrégation des deux valeurs (empreinte écologique et biocapacité) est dénoncée pour l’approximation de son résultat.
Dans un article publié en 2010 par le Guardian , l’ex-chef de WWF au Royaume-Uni, Leo Hickman déclarait : “Comment pouvez-vous coller ensemble des faits concernant, par exemple, les gaz à effet de serre, la destruction des forêts tropicales et le rendement du maïs, pour arriver à un seul chiffre ?”. Sa critique porte non seulement sur le calcul de l’empreinte carbone, dont le site New Scientist est catégorique : « Nous ne pouvons pas calculer notre empreinte écologique », que sur la notion d’hectare global (biocapacité) qui s’appuie sur le rendement agricole de chaque surface (plus une surface peut produire de ressources, plus elle compte d’hectares globaux). Pour Leo Hickman, le calcul du “jour de dépassement” s’assimile à “comparer des pommes et des poires afin d’arriver à une conclusion globale”.
Ainsi, le jour de dépassement est largement critiqué par plusieurs études scientifiques qui dénonce une simplification de la réalité. Insuffisant, il n’en reste pas moins un outil pertinent quant à la question de sensibilisation des individus à cette cause, notamment quand on aborde la dangereuse perspective démographique que l’empreinte écologique des pays développés est cinq fois supérieure à celle des pays en voie de développement.
« Partout l’impératif du mieux s’impose ; à l’Occident, c’est le mieux mais moins, ailleurs c’est le plus mais mieux. »
Edgar Morin, Au-delà du développement et de la globalisation