CINÉMA

Jean-Gabriel Périot – Qu’avez-vous vu à Hiroshima ?

Après une dizaine d’années de courts-métrages remarqués et un premier long-métrage documentaire réussi en 2015, Jean-Gabriel Périot s’essaye au long-métrage de fiction avec le très beau Lumières d’été (sortie le 16 août). Rencontre avec un réalisateur surprenant qui entretient un rapport passionné avec Hiroshima.

Après le passionnant documentaire Une Jeunesse allemande, marqué par le travail de l’archive, Jean-Gabriel Périot signe son premier long-métrage de fiction. Lumière d’été témoigne d’une passion pour la ville d’Hiroshima en posant la question de la vie après la catastrophe nucléaire. Il poursuit ainsi par la fiction le formidable court-métrage documentaire et expérimental 200 000 fantômes réalisé il y a une dizaine d’année¹. Lumières d’été raconte le trajet d’un documentariste qui découvre la vie à Hiroshima aujourd’hui, grâce notamment à la rencontre de Michiko. C’est surtout un film où douceur et terreur se mêlent et où les vivants rencontrent les morts dans un tourbillon temporel qui nous ramène au présent de nos vies et de notre monde. Avec ce film, Jean-Gabriel Périot surprend, en réalisant un film au Japon en version originale, et prouve qu’il est un cinéaste avec qui il faut compter. Retour avec lui, sur ce film japonais, mais aussi sur le rapport qu’il entretien avec l’archive.

 

Lumières d’été est votre premier long-métrage de fiction après un premier long documentaire Une Jeunesse allemande. Pourquoi alternez-vous entre fiction et documentaire ?

Quand une idée, un désir menant à un projet de film déboule, il trouve sa forme naturellement. J’avais envie de travailler sur Hiroshima aujourd’hui, comment cette ville est habitée et ce qu’elle peut raconter. Spontanément, ça s’inscrivait plutôt dans le parcours plutôt fictionnel d’un personnage, qui m’est venu très vite. Certaines questions vont plus passer par la poétique, pour des choses plus suspendues et alors il vaut mieux s’exprimer par la fiction que par le documentaire et des images d’archives concrètes.

Vous aviez déjà consacré un court métrage plus documentaire et expérimental sur Hiroshima. Pourquoi y revenir ?

Grace à 200 000 fantômes, j’ai pu passer du temps à Hiroshima et y retourner très souvent. Hiroshima est devenu pour moi une sorte de lubie. Je me suis demandé en préparant Lumières d’été ce que représentait pour moi cette ville et ce qu’elle m’apportait. Ce film est sur le présent de cette ville, agrémenté de mon expérience de dix ans d’aller-retours à Hiroshima.

 

 

Le personnage du réalisateur dans le film est-il votre double ?

J’espère que je suis beaucoup moins chiant que lui ! (rires) Quand je l’ai écrit, je ne me suis absolument pas projeté dans ce personnage parce que je ne lui ressemble pas. Même s’il est réalisateur, c’est un personnage qui m’est assez étranger.

Qu’avez-vous essayé de montrer d’Hiroshima avec ce film ?

Le film partait d’une interrogation : comment peut-on apprendre à être heureux après Hiroshima ? L’horreur d’Hiroshima nous pousse à une réflexion sur notre présence au monde et sur la fragilité de la vie. Cela nous pousse à être plus attentif à la vie et au temps.

 

 

“L’horreur d’Hiroshima nous pousse à une réflexion sur notre présence au monde et sur la fragilité de la vie.”

Le cinéma japonais a-t-il été une référence ou avez-vous cherché à vous en extraire ?

Je cherche à ne jamais m’inscrire dans une certaine tradition. En tant que spectateur, le cinéma japonais est certainement celui que je regarde le plus et ce depuis longtemps. J’y suis très sensible. J’ai certainement incorporé inconsciemment une manière de faire du cinéma japonais. Il y a une attention forte envers les personnages ou certains détails à laquelle je suis sensible dans une partie du cinéma japonais et qui se retrouve peut-être par incidence dans mon cinéma.

Il est difficile de vous situer dans une géographie du cinéma. Vous êtes français mais vous avez fait un film sur un sujet très allemand – le groupe Baader-Meinhof – puis un film sur Hiroshima en japonais…

“Je ne suis ni un spectateur de films français, ni un lecteur de littérature française.”

Je ne sais pas où je me situe. Une des grandes possibilités du cinéma est qu’il offre de sortir de son propre espace culturel et/ou géographique pour explorer d’autres espaces. En me confrontant à des éléments culturels qui ne sont pas les miens, j’effectue un voyage où je me détache des références françaises que je connais beaucoup mieux. C’est aussi une affaire de hasards qui m’ont conduit à certains sujets sur lesquels j’ai fait des films. C’est peut-être aussi lié au fait que je ne suis ni un spectateur de films français, ni un lecteur de littérature française. Mon univers de spectateurs est assez large et je ne m’inscris pas spontanément dans la culture française.

Vous avez une démarche double de documentation à la fois du présent et du passé. Quel lien faites-vous entre cette double documentation ?

En tant que documentariste, je ne suis pas un filmeur. Un autre jour en France que j’ai tourné dans la jungle de Calais l’année dernière fait figure d’exception. J’avais besoin d’aller filmer une image à Calais, c’est la première fois que ça m’arrive. Mais ce n’est pas ma manière de fonctionner, je travaille avant tout avec les images d’archives normalement. Quel que soit leur époque, elles ont toutes le même statut. Quand je monte des images d’archives, je les abstrais et je les ramène dans le présent. Toutes les images d’archives me parlent d’aujourd’hui, qu’importe leur datation. Je ne travaille pas sur la factualité des évènements mais davantage sur ce qui peut réunir des évènements en termes d’énergie contestataire, de révolte de violence ou d’enthousiasme.

 

 

Pourquoi revenir toujours à l’images d’archives ?

Ce qui m’intéresse dans les archives, c’est ce qu’elles révèlent. En observant les images d’archives, on se rend compte que l’on représente toujours les mêmes choses de la même manière. Les images se répètent. Des images de manifestants qui se font tabasser il y en a depuis le début du XXème siècle. C’est toujours les mêmes, elles sont plus ou moins vieilles ou plus ou moins granuleuses. Je privilégie les images d’archives parce que j’ai besoin de maitriser les images que j’utilise, il faut que je sache quand et comment elles ont été prises et ce qui s’est passé. Si je prends des images récentes, on n’a pas assez de recul.  C’est encore trop frais pour comprendre ces images, je ne sais pas comment m’en saisir. Je trouve aussi les images contemporaines assez moches. Les images que j’utilise était faites en 16mm par des cinéastes, alors que maintenant ce sont des images faites avec un portable sans idée de cadrage. Je n’arrive pas à m’accaparer alors en tant que cinéaste le rendu de cette image numérique. Le choix des images est sensible, je les choisis parce qu’elle m’émeuve. J’instaure un rapport plastique aux images.

 

 


  1.  200 000 fantômes sera projeté en introduction de Lumière d’été au cinéma

 

Lumières d’été (2016), de Jean-Gabriel Périot, avec Hiroto Ogi, Akane Tatsukawa, Keiji Izumi…

Production : Local Films / Distribution : Potemkine Films

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