CINÉMA

A la recherche des femmes chefs : un goût d’optimisme

Sorti mercredi 5 juillet, A la recherche des femmes chefs, le documentaire éclairant de Vérane Frédiani nous offre une incursion dans le monde de la gastronomie, à la rencontre de celles qui contribuent à le construire. Nous avons discuté avec la réalisatrice pour qu’elle nous en dise plus sur ce projet inspirant.

Pour Vérane Frédiani, le point de départ de ce documentaire découle d’abord d’une envie de représenter les femmes dans le monde professionnel, et de faire un constat de la place qui leur est faite. Le premier choix de la réalisatrice s’était porté sur le monde de la mode, « où la place de la femme est paradoxalement souvent oubliée, mais c’était moins évident, en partie parce que c’est un monde privilégié, qui implique beaucoup d’argent ». Vérane Frédiani avait déjà travaillé auparavant sur Steak (R)évolution, un autre documentaire axé sur la gastronomie, et finalement ce milieu s’est imposé comme un choix évident. « C’est un domaine plus large et qui parle à tout le monde. Tout le monde va au restaurant, tout le monde mange, tous les jours. »

C’est de cette manière que la réalisatrice a décidé de parcourir les quatre coins de la planète, à la recherche des femmes qui font la gastronomie d’aujourd’hui et de demain, qu’elles soient dans les grands restaurants, dans les écoles, qu’elles travaillent en sommellerie, en cuisine ou autour de la street food. Au premier abord, trouver ces femmes n’était pas forcément évident. « On ne voit pas beaucoup de femmes chefs dans les festivals et dans les magazines, donc comme tout le monde, je me suis dit qu’il ne devait pas y en avoir beaucoup. Et après en cherchant, j’en ai rencontré énormément ! J’ai même dû faire une sélection dans les rencontres que j’ai faites pour le film, ce qui n’était pas facile mais j’ai voulu insister sur des profils de femmes qui sont des combattantes et peuvent nous inspirer toutes. »

Briser les frontières

En plus de prôner une mixité entre hommes et femmes, le film de Vérane Frédiani met aussi l’accent sur une évidente mixité géographique et une volonté de rassembler plutôt que de comparer ; un angle d’attaque rafraîchissant qui distingue le film de bon nombre de documentaires. Les frontières ont en effet peu de sens lorsqu’on touche à un domaine aussi universel que la gastronomie, d’autant plus que les similitudes entre les parcours de ces femmes cheffes apparaissent nettement, d’où qu’elles viennent. « L’important pour moi, c’était de pouvoir créer du lien entre elles et faire en sorte que ces femmes isolées puissent créer des réseaux. On vit dans un monde où la méritocratie existe peu, alors que la réussite par les réseaux, elle, est bien réelle. L’idéal serait que ces femmes puissent intégrer les mêmes réseaux que leurs collègues masculins, mais tant que ce n’est pas le cas, c’est important de se rassembler. »

Se rassembler, c’est en effet ce qui parait primordial face aux inégalités et aux moments de misogynie ordinaire qui minent insidieusement le parcours des femmes. Ce sexisme banalisé transparait dans le discours de certains hommes rencontrés dans le film, dont le naturel permet justement à Vérane Frédiani de pointer ces moments et de les dénoncer. « Quand ça arrive dans la vie, par exemple quand on ne propose pas la carte des vins à une femme en partant du principe qu’elle n’y connait rien, souvent personne n’ose rien dire, tout le monde rigole parce qu’on n’a pas forcément envie d’entrer dans un débat et de casser l’ambiance. Mais quand on voit ce genre de moment sur grand écran, dans le noir, on se le prend en pleine figure : ça permet de montrer les choses hors contexte et de provoquer une prise de conscience et un échange après le film ».

Crédit La ferme productions

 

Questions de regards

Comme souvent, le cinéma est médium de réflexion et de rassemblement, en plus de permettre une grande liberté et une marge de manœuvre suffisante au projet ; des raisons qui ont notamment poussé Vérane Frédiani à choisir le cinéma plutôt que la télévision pour ce documentaire. « Les femmes chefs n’ont quasiment jamais de temps, et cette liberté du cinéma m’a permis d’attendre le temps qu’il fallait pour pouvoir les rencontrer, peu importe si ça devait être six mois. Ça m’a permis de vraiment aller à la rencontre de ces femmes, d’avoir une vraie liberté et de ne subir aucune forme de censure. »

A la recherche des femmes chefs nous permet aussi d’avoir le regard de ces femmes elles-mêmes sur leur place au sein de la profession. Si nombre d’entre elles semblent s’affirmer fièrement et développent même des actions militantes, d’autres n’ont tout simplement pas de temps à consacrer à la question.

« Beaucoup de femmes chefs sont encore dans un souci de légitimité et de crédibilité, dans un combat personnel qui ne laisse pas de temps pour la communication. Je pense que souvent en tant que femme on arrive à l’âge adulte avec un manque de confiance en soi, on a du mal à déléguer et à communiquer sur ce qu’on fait ».

Or, la communication est plus qu’importante dans notre monde d’information constante, et elle permet par ailleurs de montrer des exemples féminins à qui s’identifier, ce qui est essentiel pour les générations suivantes.

Repenser la société

Alors que les préoccupations linguistiques sont de plus en plus prégnantes dans le combat pour l’égalité des sexes, avec notamment la démocratisation de l’écriture épicène, la question de la féminisation des noms de métiers reste un sujet délicat -on se souvient de la mise au point empreinte de sexisme hypocrite de l’Académie française contre une féminisation systématique. « En anglais, le titre du film est Goddesses of Food, donc la question ne se pose pas, mais en réfléchissant au titre français ça a été un vrai choix de ne pas féminiser le mot « chefs ». Pour les femmes chefs, ça ne marche pas, ça dévalue tout de suite leur travail dans la tête des gens alors qu’elles sont évidemment chefs au même titre que les hommes. C’est une question difficile tant que l’impact de la féminisation sera aussi négatif dans les mentalités… Il faut garder en tête en tout cas qu’il n’y a pas de « cuisine de femme » ou d’ « assiette de femme » : il y a une approche féminine de la cuisine, certes, de par l’histoire, l’expérience, le vécu de chacune, mais c’est tout. ».

Anne-Sophie Pic dans ses cuisines – Crédit La ferme productions

 

Repenser la gastronomie, et plus largement la cuisine et la manière de s’alimenter, apparait finalement comme une manière de repenser la société. « La gastronomie est au cœur de la vie, et c’est important d’éduquer les enfants autour de ce concept, de créer des potagers dans les écoles, de leur apprendre à se nourrir et à se réunir autour d’une table pour communiquer, garçons comme filles… Ce n’est pas pour rien qu’existe le concept de gastro-diplomatie, les chefs d’état ont bien compris que ce qui est servi au repas a un rôle à jouer ! C’est le secret d’un monde en paix. L’idée c’est de faire en sorte que la question de la nourriture soit partagée au sein du foyer. C’est important pour les hommes d’aller en cuisine familialement comme c’est important pour les femmes d’y avoir accès professionnellement. »

S’il reste encore un long chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités autour des questions de mixité et d’égalité, A la recherche des femmes chefs s’impose comme un document précieux et incontournable qui met en lumière ces inspirantes « déesses de la nourriture ». Elles s’appellent Anne-Sophie Pic, Alice Waters, Dominique Crenn ou encore Kamilla Seidler, et ce sont des femmes qui rêvent, qui osent, qui en veulent et qui se battent. Résultat, on ressort de la salle galvanisé·e par cette bouffée d’optimisme et prêt·e à affronter les défis d’aujourd’hui et de demain.

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

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