On sentait depuis quelques années un mouvement relativement progressiste sur le statut des homosexuels, avec le mariage pour tous, notamment, dans plusieurs pays. Pourtant, ces derniers mois laissent un goût amer.
La situation tchétchène en premier lieu, qui n’est malheureusement pas une exception. Quelques semaines après la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie, la quête de l’égalité semble être encore un long et douloureux chemin. Car quand certains s’adonnent aux dérives d’une classique homophobie banalisée, d’autres en subissent la violence réelle, physique et morale. En Tunisie, de nombreux médecins légistes continuent de pratiquer le test anal sur demande de la police judiciaire ou du procureur public, l’homosexualité étant passible de trois ans de prison. Une pratique qui indigne et face à laquelle des organisations se sont soulevées, révélant des zones d’ombres persistantes.
Une étape avant la condamnation
En Tunisie, l’article 230 du code pénal prévoit jusqu’à trois ans de prison pour les homosexuels. Un code pénal datant de 1913 soit « l’époque coloniale » comme le précise Mounir Baatour, président de l’association SHAMS, militant en faveur des droits LGBT en Tunisie. De ce fait, la police a recours à des interpellations visant les homosexuels, à travers les délits de faciès ou la délation, par exemple. On imagine bien que pour la police certaines caractéristiques physiques suffisent à définir une personne homosexuelle. Mais cette persécution ne s’arrête pas là. Afin de vérifier si l’homme est bel et bien homosexuel, les autorités ordonnent la pratique d’un test anal de la part d’un médecin légiste. Il s’agit, concrètement, d’ausculter l’anus d’un homme afin d’y observer d’éventuelles lésions, dilatations ou encore relâchements. Ce qui s’apparenterait donc à des caractéristiques post-coït anal. Le magazine Vice note à ce sujet : « Cette inspection minutieuse de l’anus à la recherche de « signes » d’une activité sexuelle régulière par voie anale, pourtant sans validité médicale, fait office de preuve pour la justice tunisienne. » Concernant, les femmes lesbiennes, il n’existe pas de pratique de ce type pour « tester » leur homosexualité. La persécution envers les hommes est plus forte dans la sphère publique.
Le test anal est donc une pratique très brutale et violente envers l’intimité d’un individu mais également violente dans les gestes eux-mêmes. De nombreux témoignages ont révélé que les forces de l’ordre se livrent à des insultes, frappent et torturent les interpellés. Ceux-ci ont le droit de refuser ce test mais le choix est peu souvent laissé : « Il y’a même des cas où les accusés ont subi le test anal sous la contrainte en étant menottés et immobilisés par deux policiers pendant que le médecin fouille dans leur anus », explique Mounir Baatour. Le président de SHAMS évoque d’ailleurs des situations plus poussées : « Il y’a ceux qui poussent la recherche encore plus loin pour la recherche de spermatozoïde dans l’anus de l’accusé. »
De fortes contestations écartées par le gouvernement
Bien évidemment, cette pratique suscite l’indignation notamment chez les organisations internationales et les organisations non-gouvernementales. Le Comité des Nations Unies contre la torture a dénoncé la pratique du test anal, la qualifiant d’acte de torture, mais sans aller plus loin que la condamnation, aucune sanction n’a été prise à l’encontre de la Tunisie. Des organismes tels que Human Rights Watch ont apporté un éclairage sur la situation. Ils ont notamment souligné le fait que l’Ordre des médecins de Tunisie a publié un communiqué début avril, dans lequel il rappelle que toute pratique médicale doit respecter la dignité d’un individu. Il y est écrit que « l’Ordre des médecins considère la pratique d’un examen génital ou anal pour vérifier ou confirmer la nature des pratiques sexuelles d’une personne sans son consentement libre et éclairé, comme une atteinte à sa dignité et appelle les médecins réquisitionnés à informer les personnes qu’ils ont à examiner, de leur droit de refuser un tel examen. » Cela semble être une prise de position importante mais elle « reste en dessous [des] espérances » des militants de l’association SHAMS, selon son président.
SHAMS a été créée le 23 janvier 2015 et, malgré l’obtention d’un visa légal, trouve difficilement un statut juridique puisque le gouvernement tunisien refuse de publier les statuts de l’association dans le Journal officiel de la République tunisienne. Ils mènent des actions de sensibilisation, procurent de l’aide judiciaire pour les arrestations, assurent un soutien moral à la communauté LGBT. Mounir Baatour explique que « la stratégie de SHAMS est la médiatisation de la cause LGBT en vue de créer un débat social sur cette cause et d’imposer l’existence des LGBT comme étant une composante de la société tunisienne dans le champ médiatique actuel. » L’association milite également et avant tout pour l’abolition de l’article 230 pénalisant l’homosexualité. Concernant la pratique du test anal, l’association SHAMS mène campagne pour son interdiction et ne se satisfait pas du communiqué de l’Ordre des médecins publié le 3 avril 2017. Pour Mounir Baatour, il n’y a rien permettant des conditions sereines pour aboutir à un consentement. La seule issue possible serait, selon lui, que l’Ordre des médecins se positionne pour une réelle interdiction du test anal sous peine de sanctions disciplinaires envers les médecins.
Une homophobie inhérente au pouvoir en place ?
Avec une telle situation, alarmante sur le respect des droits de l’homme mais également l’égalité, un changement de climat, notamment au niveau politique pourrait conduire à inverser la tendance. Le climat actuel est très homophobe. Mounir Baatour pointe du doigt « un gouvernement islamo-conservateur qui persécute les homosexuels et qui les jette en prison ». Depuis 2011 et la Révolution, la parole s’est libérée en Tunisie. Toutefois, il explique qu’il est difficile de protester en faveur de la communauté LGBT à cause d’une homophobie pesante. Depuis 2016, le mouvement islamo-conservateur Ennahdha a regagné une place sur la scène politique tunisienne. Durant son mandat de ministre des Droits de l’homme et de la Justice transitoire, Samir Dilou (Ennahdha) affirmait considérer l’homosexualité comme un trouble médical à soigner. L’homophobie a de beaux jours devant elle.
À la dimension politique s’ajoute une forte variable religieuse. En effet, le président de SHAMS dénonce également « des imams qui appellent publiquement à la défenestration et la lapidation des homosexuels ». On peut donc voir que la religion, qui détient une importante place dans la sphère publique, contraint l’émancipation des homosexuels et de leurs droits, puisque cela ne rentre pas dans ses principes. Et cette posture de la religion sur l’homosexualité infuse les foyers. Mounir Baatour nous raconte une triste histoire : « Dernièrement il y’a eu même une famille qui s’est procuré une fatwa de l’Imam du quartier pour tuer son fils homosexuel qui a dû fuir le domicile familial et se réfugier à Tunis dans un refuge des LGBT tenu par SHAMS. »
Quand on demande à Mounir Baatour son sentiment concernant la condition des homosexuels dans le monde et notamment en faisant le parallèle avec la Tchétchénie, il explique que « l’homosexualité reste une situation très compliquée à vivre dans un pays de culture arabo- musulmane avec un gouvernement islamo-conservateur ». Il trouve aussi des points de comparaison avec la Tchétchénie, indiquant que des cas de meurtres familiaux sont également fréquents en Tunisie mais moins médiatisés. Pour abolir le test anal et plus globalement contrer l’homophobie en Tunisie, il semblerait nécessaire de s’intéresser aux liens entre police, justice et médecine. Tant que la loi établira l’homosexualité comme illégale, les autorités auront toujours la liberté de s’adonner à de douteuses dérives incontrôlées.