Pauline Picot est une artiste qui croque les mots, la poésie et le théâtre à pleines dents, avec frénésie. Metteuse en scène pour la compagnie l’ECROU, doctorante en théâtre, écrivaine prometteuse, la jeune femme trouve encore le temps de faire des lectures en scène et se consacre aujourd’hui à un projet textuel et musical inspiré de Frankenstein.
À 26 ans, elle a déjà publié trois ouvrages aux éditions Quartett : Les Possibles de son corps, en 2012 ; Ian, en 2014, qui évoque la vie de Ian Curtis du groupe Joy Division ; et Des camisoles et autres textes en 2015. Elle publie cette année aux éditions les Éclairs un quatrième recueil, poétique, onirique et perturbant, À l’heure qu’il sera, illustré par le peintre François Malingrëy. Une plongée vers un pays dévasté et heureux, où la narratrice nous fait entrevoir un amour bien particulier. A travers l’étrange, Pauline Picot nous emmène dans sa « vision » et s’interroge avec nous sur notre rapport à l’autre, à l’amour, à la solitude. Maze a rencontré pour vous cette auteure atypique pour parler inspiration, théâtre et mystique.
Comment en es-tu venue à écrire ?
J’écris depuis très longtemps mais il y a vraiment un moment dans ma vie où mon écriture s’est transformée, où j’ai commencé à prendre au sérieux ce que je faisais. Non pas me prendre au sérieux, mais prendre ce que je faisais, pas juste pour me décharger, mais pour construire des objets textuels.
C’est la rencontre avec une amie au lycée, qui m’a fait lire des textes qu’elle écrivait et j’ai réalisé que l’écriture peut être quelque chose de puissant, qui n’est pas juste un déversoir. Ça a changé ma vision de l’écriture. Et à partir de là, j’ai commencé à écrire avec ça en tête. Et au fur et à mesure ça s’est construit. Mon écriture continue d’évoluer aujourd’hui.
Quelles sont tes sources d’inspiration ? Tes auteurs fétiches ?
J’ai beaucoup d’auteurs que j’adore. Il y a beaucoup de choses qui me nourrissent. Après, ça va se poser comme une couche sédimentée au fond de moi. Ce ne sont pas des choses qui vont m’inspirer sur le vif. Au contraire, ce sont des choses tellement puissantes, avec un niveau extraordinaire, que, si j’y pense en écrivant, ça me bloque. Et même je trouve ça un peu présomptueux de dire qu’ils m’inspirent. En fait je suis un peu un caméléon au niveau des inspirations. Elles changent un peu tous les jours. J’aime profondément des auteurs aussi différents que Stendhal, Faulkner, Burrows, Austen… C’est tout mélangé, en fait. En ce moment, je lis un polar. Mais heureusement, c’est déconnecté de ce que je fais, parce que je pense que je n’arrive pas à la cheville de ces gens-là, et mon but n’est pas de faire ça.
Quand tu écris, tu penses au lecteur ?
Il y a eu un moment dans mon parcours d’auteure où j’y ai vraiment pensé. Mon premier livre a été publié quand j’avais 22 ans. Quand il est sorti, mon entourage proche m’a fait la réflexion que c’était très violent et qu’ils ne pensaient pas qu’il y avait autant de violence chez moi. Ça m’a un peu heurté. Je n’avais tellement pas pensé que mon livre pouvait être lu par tout un chacun. Du coup, quand j’ai commencé à réécrire après mon premier livre, j’étais bloquée. Je pensais que tout ce que j’allais écrire pouvait être lu. C’est pour ça que mon second livre est un texte moins personnel que mes autres textes. Je suis partie dans une direction qui me protège un peu plus, dans laquelle je me dévoile moins.
Avoir publié quatre ouvrages à l’âge de 26 ans, c’est un accomplissement…
Ça reflète ma manière de consommer la vie de manière très effrénée. Je trouve que c’est un petit peu… douteux. Finalement, je suis en train de me dire qu’il faut que je ralentisse pour prendre plus de recul et profiter davantage de chaque chose. Comme dirait une amie qui m’est très chère, « pour déplier dans le temps » les choses qui m’arrivent. Il m’est arrivé pas mal de choses ces derniers temps et je crois que c’est mieux de faire moins, et mieux. Je ne renie aucun de mes textes. Mais en regardant en arrière, je trouve que je suis allée super vite. Maintenant j’aimerais plus épaissir tout ça et le détendre dans le temps pour en profiter davantage. J’aimerais ne plus faire la course.
Tu fais aussi des lectures de tes textes. Tes écrits sont-ils faits pour être dit à voix haute ?
Mes trois premiers textes sont publiés dans une édition de théâtre. Le dernier, non. Mais tout dépend de la destination éditoriale des textes. Moi, je n’ai pas changé de manière d’écrire. Ils ont tous la même veine : c’est une personne qui s’exprime, qui a quelque chose d’important et d’urgent à dire. Mon dernier livre est publié dans une maison d’édition de fiction, mais pour moi c’est autant de la poésie, que du théâtre, que de la fiction.
Quand le texte est édité, tu as envie de le faire vivre d’une certaine manière. Sans attendre forcément qu’une compagnie le monte. Je n’ai pas envie de mettre en scène mes textes, pas de les jouer, mais de les faire vivre. Parce que sinon, dans un livre, ils sont comme enfermés. Entre deux tranches, entre trois livres, dans une bibliothèque. On ne sait pas ce qu’il y a dedans. Alors que si je fais un moment public où je fais entendre ce qu’il y a dedans, je trouve que c’est une belle manière de faire vivre le texte. Après ce n’est pas toujours moi qui le fait, parce que je ne suis pas actrice. Donc je travaille souvent avec une actrice professionnelle, Sarah Kristian. Il m’arrive aussi de faire des lectures seules, ou avec des musiciens. Je suis à la recherche de projets multiformes comme ça, autour des textes.
Il y a des thèmes récurrents dans tes textes : la folie, l’aliénation de l’homme par la société… Y-a-t-il des thèmes qui t’obsèdent lorsque tu écris ?
Moi je ne m’en rends pas forcément compte. Mais j’ai la chance que des gens m’aient déjà fait des retours sur mon écriture. Non pas que l’écrivain soit stupide et ne sait pas ce qu’il met dans son texte. Mais avoir une vision globale d’une écriture n’est pas forcément aisé. On est dans chaque texte, chaque projet, donc on ne se rend pas forcément compte de la globalité. Ce que l’on m’a dit, c’est qu’il y a souvent des regards d’homme sur les femmes, de rapports hommes-femmes, de personnages de femmes assez puissants, surtout sur mon dernier livre. Et l’aliénation. Par le regard des autres. Par la pression exercée par les gens. Par le monde du travail.
Le thème de l’innocence m’intéresse aussi. Même si je pense que je n’ai pas exploré le thème autant que j’aimerais. On associe souvent l’innocence à la jeunesse. Mais peut-on toujours être innocent en étant adulte ? D’ailleurs, la narratrice dans A l’heure qu’il sera dit « J’espère être pure dans tes yeux ». Pour moi c’est une phrase hyper importante dans le texte, alors qu’elle fait 3 mots, qu’elle est cachée. Ça veut dire quoi, être pure dans les yeux de quelqu’un ? Ça m’intéresse d’y réfléchir.
Dans À l’heure qu’il sera, il y a une ambivalence : on a à la fois l’idée d’un monde heureux, mais aussi celle d’un monde détruit. Pourquoi ?
Ce texte, je l’ai écrit comme une vision. Je me suis vraiment laissée guider par l’écriture. A tel point que parfois j’étais obligée de relire pour me rappeler de ce que j’avais écrit. Ce qui n’est pas du tout mon rapport normal à l’écriture. Là, j’ai vraiment eu un rapport presque épiphanique à cette vision, de ce pays. Au départ, j’avais d’ailleurs pensé à un titre avec le mot « pays ». Cette idée de « pays » m’intéressait beaucoup, mais comme un territoire, pas comme un pays avec des frontières. Quand j’écrivais ce texte, c’est comme si je me replaçais mentalement dans ce pays étrange. Et je revenais à chaque fois là-bas et j’explorais tout ce qui se passait dedans pour mes deux personnages. Pour moi, c’était vraiment une vision d’amour. Mon cœur était ouvert à cent pourcent et j’écrivais en suivant ce fil de vision, ce qui m’a surprise moi-même.
Et je me suis posée la question : est-ce que ce ne serait pas plus facile de s’aimer dans un univers vierge, où tout est à reconstruire. Je le vois dans le texte : tout est détruit, plus rien ne nous attend, on a le temps d’être ensemble, de faire l’amour, de pas être pressé, de regarder l’autre. J’aimais beaucoup cette idée de deux personnes complètement seules. Qu’est-ce qui arrive quand on est vraiment seuls, l’un face à l’autre ? Est-ce qu’on peut toujours s’aimer ? Ou est-ce qu’on finit par avoir envie de se tuer ? Moi j’ai envie de répondre, oui, on peut toujours s’aimer. On peut à un moment donné se haïr mais à la fin, ce qui reste, c’est cet espèce d’amour immense et infini.
Ce texte est symbolique. On retrouve les thèmes du cataclysme et de la vie après la mort. Pour moi, c’est un texte sur la puissance de l’amour comme force qui dépasse tout, y compris la destruction, la haine mutuelle. C’est un texte presque mystique.
Ton dernier livre, publié aux éditions les Éclairs, est illustré par François Malingrëy. C’est toi qui a choisi les illustrations ?
C’est un peintre qui travaille pour la première fois avec une auteure. Ce sont mes éditeurs qui m’ont montré le travail des différents artistes et j’ai immédiatement adoré le travail de François. Je trouvais ça sublime. Il fait beaucoup de tableaux réalistes en apparence, mais dans lesquels il y a toujours quelque chose de très inquiétant et de très étonnant et dérangeant. Exactement comme dans un rêve, quand tout se passe normalement et que tout d’un coup, tu découvres que tu es tout nu. Du coup, ce côté étrange allait très bien avec le texte. On n’a pas vraiment eu besoin de se concerter, car François peint beaucoup des dormeurs. Ça allait très bien avec l’histoire de cet homme, à qui cette femme parle. Et pour le livre, il a fait trois tableaux énormes, qui font 1,50 mètre sur 1,10 mètre. J’étais très honorée et touchée de voir ces tableaux immenses.
Quel est le lien entre tes textes et ton expérience personnelle ?
Je suis cachée dans mes textes. Je considère vraiment l’écriture comme un paravent. Tu peux le déplier, faire « coucou, c’est moi », et revenir derrière. Tout l’art du paravent, c’est que ce soit furtif. Sinon, ça casse le jeu de l’écriture.