À l’occasion du quarantième anniversaire de la mort de Jacques Prévert, une de nos journalistes adresse une lettre à l’un des plus grands poètes français.
Cher Jacques,
Je me permets de vous appeler Jacques car ça va faire longtemps que l’on se connait tous les deux. Cette année cela fait quarante ans que vous nous avez quittés. Enfin je dis nous, mais en vérité nous ne nous sommes jamais rencontrés et pour cause je suis née presque 100 ans après vous. Pourtant, pour moi vous serez toujours vivant et j’ai le sentiment que nous sommes comme de vieux amis. C’est sûrement dû au fait que depuis mes premiers jours, vos mots m’accompagnent.
La première fois que le nom de Prévert est venu à mes oreilles, j’étais comme tout le monde en maternelle. Et comme beaucoup d’enfants, le premier poème que j’ai appris par cœur c’était L’Hiver, la fin la plus triste d’une poésie d’enfant :
“Et d’un coup disparaît. / Ne laissant que sa pipe / Au milieu d’une flaque d’eau / Ne laissant que sa pipe/ Et puis son vieux chapeau.”
Quand j’ai parlé de vous à ma maman elle s’est mise à chanter un autre de vos poèmes d’école, “En sortant de l’école”, (la version des Frères Jacques) je l’imaginais aussi petite que moi en train de fredonner ces paroles. Et j’avais envie de partir avec ces enfants faire le tour de la terre.
J’avais cinq ans, je venais à peine d’apprendre à lire et votre parole m’avait déjà touché. Paroles, justement le titre de votre meilleur recueil. Je me souviens j’avais sept ans et je l’avais trouvé dans la bibliothèque familiale, je l’ai volé discrètement et il ne m’a plus quitté. Il y a peu de temps j’ai retrouvé un cahier datant de cette époque, sur la première page l’inscription : “Cahier de poésie”, à l’intérieur celles de Paroles recopiées dans leur intégralité. J’ai mesuré alors l’influence que vous aviez eue sur moi et qui m’a poussée alors que je n’avais pas encore dix ans à vouloir être écrivain et journaliste. C’est à ce moment-là que je me suis détachée de vos poèmes pour enfant pour m’intéresser à la manière dont vous écrivez, à votre façon de jouer avec les mots et que j’ai retrouvé plus tard adolescente en lisant les textes de Boris Vian. J’étais fascinée par vos poésies les plus graves et les thèmes que vous abordiez : “Paster noster”, “Déjeuner du matin”, “Barbara”, et les autres. Naturellement je ne comprenais pas tout mais j’appréciais déjà votre engagement.
J’avais toujours moins de dix ans, c’était la fin des années 1990, c’était l’époque des VHS, l’époque où on les achetait vierge et où on enregistrait les films qui passaient à la télévision dessus. Sur une de cassettes que mes parents avaient enregistré, je découvre le dessin animé de Paul Grimault, Le Roi et l’oiseau, au scénario et sans surprise ? Encore vous. Vos mots, toujours vos mots qui résonnent dans ce conte à la fois fantaisiste et politique. Pour la première fois, j’ai eu ce sentiment de devoir le partager avec tous les enfants que je connaissais, l’envie que tout le monde puisse le voir et pour cause ce film est comme vous, intemporel.
Et alors que vous ne restiez jamais très loin de moi, je grandissais et je vous étais un peu infidèle. Je suis revenue vers vous à l’adolescence alors que j’écoutais toujours vos mots en écoutant Les Feuilles mortes chanté par Montand : sa voix, votre texte et la sublime musique de votre compère, le grand compositeur Joseph Kosma. De fil en aiguille, à cette même période, j’avais quinze ans et je m’intéressais aux classiques du cinéma français. Un film en particulier : Les Enfants du paradis de Marcel Carné, une autre révélation et toujours vous à l’écriture. Très vite ce film s’inscrit dans mon coeur, je le visionne sans cesse y captant chaque détail, chaque citation. Et notre histoire reprend son cours comme avant. Je reviens à vous grâce au cinéma en découvrant les autres films que vous avez écrit pour Marcel Carné. Peu importe le support, depuis toujours vos paroles sont les mêmes, on les reconnais entre toutes. Unique, éternel, engagé, surréaliste, populaire, génie du verbe. Cette année, cela fait quarante ans que vous nous avez quitté. Mais moi, jamais.