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Mesdames, ne faites pas lire vos maris !

Ce mercredi 17 mai 2017, L’Express publiait un article intitulé “Mesdames, faites lire vos maris !”. Il s’agit d’une interview de Vincent Monadé, auteur d’un essai sur la lecture des hommes. À l’appui de quelques chiffres éloquents, il montre que les hommes lisent moins que les femmes et dans un éventail de genres très restreint. Mais pourquoi donner un tel titre à cet article ? Pourquoi formuler une injonction sexiste pour défendre une cause culturelle somme toute assez louable ?

Bon combat, mauvaise approche

Le constat de base est assez banal. On le remarque dans les statistiques, les hommes sont de moins grands lecteurs que les femmes. Ils se portent plus facilement sur la presse et les essais. L’éducation prodiguée par la famille et par l’école joue bien sûr un rôle non négligeable. Les âmes les plus charitables, comme celle de Vincent Monadé, ont donc tenté de trouver des moyens de pallier toutes ces lacunes. Et c’est là que le bât blesse.

Il ne s’agit pas ici de critiquer la bonne intention de l’essayiste. Toute personne un tant soit peu passionnée par la lecture aura la volonté d’initier ses proches à cette activité. Malheureusement les conseils prodigués sont sexistes, genrés et véhiculent une conception très régressive des rapports sociaux. Les questions de la journaliste qui mène l’interview ne font d’ailleurs rien pour arranger les choses. Cette complaisance face au sexisme de l’auteur est une sorte de démission coupable du rôle normalement attribué au journaliste.

Conseiller aux hommes de lire des livres sur le foot ou des livres courts et surtout pas Guerre et paix ou Les frères Karamazov (bel et bien cités dans l’interview !) les force à s’en référer à leur genre – en tout cas les stéréotypes qui lui sont associés – pour choisir l’objet de leur attention. Les considérations biologiques, morphologiques et physiologiques n’ayant ici rien à faire, adopter les codes sociaux du genre masculin ou du genre féminin n’a pas de réel intérêt. On ne fait qu’intérioriser et perpétuer des stéréotypes générateurs d’exclusion et contraignants. Pourquoi un homme ne pourrait-il pas lire de livres longs ? Pourquoi un homme ne pourrait-il pas se plonger dans les Bridget Jones ? Pourquoi perpétrer indéfiniment ce clivage entre livres-de-bonnes-femmes et romans virils ? Il n’y a pas de honte à être un mec qui pleure en lisant Jane Eyre, comme il n’y a pas de scrupule à être une femme lisant So Foot en terrasse devant une bonne bière.

Et puis, d’où sortent ces statistiques ? À quelle tranche d’âge appartiennent ces hommes et ces femmes au temps de lecture si inégaux ? Si l’on doit le deviner d’après le public visé par l’essayiste de si bon conseil, il semble qu’il s’adresse aux acti·f·ve·s, de préférence marié·e·s – puisque visiblement chacun des genres ne va pas sans l’autre. Gageons qu’il exclut de ses études les jeunes, de trois à vingt-cinq ans peut-être, voire les seniors, qui sont aussi des lecteurs conséquents. Et les jeunes, tiens ? Ne sont-ils pas souvent les premiers à lire de l’heroic fantasy, du fantastique, des BD voire des mangas ? D’après expérience personnelle, les garçons comme les filles  et les non binaires s’échangent leurs conseils de romans dès l’école primaire, pour peu qu’iels aient découvert Harry Potter, Eragon ou L’Alchimiste. Le goût de la lecture, s’il est vraiment peu à peu conditionné par le genre, doit-il vraiment n’être réparé en quelque sorte qu’à l’âge adulte, une fois effectué le constat que les femmes liraient plus que les hommes alors que les adolescent·e·s étaient éga·les·ux quelques années auparavant ? Peut-être ne faut-il pas en demander encore plus au genre féminin mais plutôt s’interroger sur les causes possibles des disparités entre genres, non ?

La charge mentale, épisode 15

Assumer sa carrière professionnelle est un job à plein temps. Gérer son logis est également très prenant. S’occuper de la vie de ses enfants aussi. En plus de tout ça, établir le planning et organiser les projets de la famille peut relever du défi et mener au surmenage. Alors si, en plus de tous ces impératifs pratiques et logistiques, les femmes devaient s’arroger la charge de mener la vie culturelle de leur mari, elles frôleraient le burn-out et la démission forcée de leur vie.

En quel honneur, par quelle justification sensée, osez-vous enjoindre les femmes à prendre leur mari par la main pour les éduquer ? Les conversations de couple peuvent mener à conseiller des lectures. Mais à aucun moment la femme ne doit porter le rôle de mère éducatrice pour son mari ! On ne peut forcer personne à lire, on ne peut pas non plus forcer les épouses à faire la culture de leur mari. Le mariage est la concrétisation de la beauté d’une relation amoureuse (ou un moyen légal d’assurer la sécurité de ses biens et de ses enfants, entre autres). En aucun cas, ce n’est un acte contractuel qui place l’épouse dans la position de débitrice, forcée de remplir des obligations farfelues envers son mari. Consacrer sa relation par le mariage n’est pas synonyme de transformer le mari en un assisté placé à la charge de sa femme.

Curiosité et plaisir, principe fondamental de la culture

Enfin, il convient tout de même de rappeler que la culture doit avant tout être un plaisir. Certes les structures scolaires sont là pour nous ouvrir des portes. Mais libre à chacun•e de passer ces portes et de s’intéresser à la myriade de livres, de peintures, de musées, de chansons qui l’entoure. Personne ne doit porter personne dans son éducation culturelle. On peut se conseiller mutuellement, on peut initier ses proches à des domaines qui leur sont inconnus s’ils manifestent l’envie de découvrir mais qu’ils ne savent pas par où commencer. En revanche, personne ne peut être blâmé·e parce qu’il ou elle n’a pas prémâché le pain culturel de son/sa conjoint·e.

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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