SOCIÉTÉ

2017, le retour vers les années 1930

Face à la montée en puissance des populistes, les alarmistes ne manquent pas d’agiter la menace du retour aux années 30. Après Trump, Orban la frayeur Wilders et le Front National qui se profile à l’horizon, les comparaisons historiques ont beaucoup à nous apprendre, à condition de nuancer. 2017 ou quand l’avenir s’apparente à un retour en arrière.

Des parallèles troublants

La crise des années 30 est devant nous. C’est le titre du livre de François Lenglet, l’ancien directeur de la rédaction des Échos, aujourd’hui à la tête du service France de France 2. « Les années 30 sont de retour » pour l’historien Pascal Blanchard. Cette décennie noire a, elle aussi, été précédée d’une crise : le krach boursier de 1929. En 1931, c’est la récession généralisée, les banques font faillites, l’austérité s’annonce alors. Deux ans plus tard, Hitler est Chancelier. En 1934, les Ligues fascistes marchent dans Paris. En 1936, la guerre civile éclate en Espagne, Staline mène des grandes purges… « L’esprit des années 30 », théorisé par Serge Bernstein, serait-il là ?

On a appris des années 30, les politiques économiques keynésiennes, à la suite de la crise de 2008, y sont pour beaucoup : l’abaissement rapide des taux d’intérêt par les banques centrales n’ont, certes, pas permis de passer à coté des cures d’austérité mais ont freiné l’alimentation de bulles. Crées au sortir de la crise de 29, les institutions internationales – l’OMC, le FMI mais surtout les banques centrales – ont montré leur résilience sans, toutefois, parvenir à surmonter durablement et efficacement les crises. Friands de cycles, les économistes n’ont pas tardé à identifier la fin d’un – de cycle – dans la crise de 2008, avec le passage à une ère post-industrielle.

De la crise économique, s’en suit la stagflation, puis une crise morale, politique. Affaiblis, désunis, impuissants, les politiciens n’ont pas su redresser la barre. Les élites, politiques et financières, servent de boucs-émissaires d’une crainte exacerbée concernant l’avenir. Ou bien « c’est la faute de Bruxelles ». Ils ne sont pas les seuls : les musulmans, aujourd’hui, les juifs, hier (et encore aujourd’hui).

« Tous se repliaient sur leurs valeurs et tout le peuple vivait en pleine catastrophe avec plus d’intensité que jamais. » « Les puissances qui poussaient à la haine par leur bassesse étaient plus véhémentes et plus agressives que les forces de conciliation. » « Et nous frémissions en voyant combien notre monde, dans sa fureur suicidaire, est devenu plus obscur, plus ténébreux. » Relisez ces phrases, mettez les au présent. Leur auteur semble vivre en 2017. Pourtant, son nom est Zweig, Stefan. Et ces phrases sont issues de son autobiographie posthume – Le Monde d’hier – paru en… 1944. Alimentée par la crise économique, la crise de confiance envers les politiques reste le parallèle le plus criant avec la décennie violente des années 30.

Alexis de Tocqueville (1805-1859), « L’Histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies. »

Info ou intox

Dans un scénario catastrophe, 2017 serait-elle une copie des années 30 ? Le bouleversement numérique, l’accélération du temps, le resserrement des échelles… Il est très perturbant qu’à l’heure où nous entrons pleinement dans le XXIème siècle, certains de nos politiciens en appellent aux recettes en vigueur au XIXème : le repli protectionnisme, la montée de l’autoritarisme, le libéralisme, l’individualisme. L’après Donald Trump ? Viktor Orban (Hongrie, Fidesz), Andrzej Duda (Pologne, PiS), Beppe Grillo (Italie, Mouvement 5 Étoiles), Nigel Farage (Royaume-Uni, UKIP), Frauke Petry (Allemagne, AfD)… Le Front National de Marine Le Pen se targue d’être le premier parti de France – une formule floue mais forte de sens. Grégoire Kauffmann, historien du parti extrémiste français et auteur (Le nouveau FN – les vieux habits du populisme), émet des réserves sur ce parallèle historique : « les années 30 agissent toujours comme un épouvantail, ce sont des années répulsives qui nous empêchent de penser la complexité du présent et surtout qui nous détournent de d’autres comparaisons historiques qui me semblent beaucoup plus judicieuses », les années 1880-1890 dans son cas. Un épouvantail déjà agité, fin janvier, lorsque Theresa May invitait Trump à visiter Londres en pleine protestation contre le Brexit – parmi les manifestants, on pouvait entendre dans la bouche d’un enseignant : « On sait ce qui s’est passé dans les années 1930 quand les gens n’ont rien dit ».

À quelques semaines du premier tour de la présidentielle française, scruté par le monde entier, le Front National apparait confiant. Dans sa rhétorique, la même nostalgie d’un passé idéalisé et la même dénonciation d’une perte de valeurs, de sens que dans les années 30. Le temps s’accélère, le champ des possibles parait se réduire. Grégoire Kauffmann distingue : « On n’a de cesse de vouloir penser le Front National comme étant une résurgence d’un certain fascisme français né dans les années 30 avec les ligues fascistes et antiparlementaires. » Le Front National en 2017, pour lui, « ne prétend pas comme les Ligues fascistes des années 30 combattre la République mais la rétablir ». Le FN « renoue avec le nationalisme français de la fin du 19e, notamment avec le phénomène boulangiste. Le nationalisme français, lorsqu’il surgit avec Boulanger dans les années 1880, se veut républicain, un nationalisme anti-élites, antiparlementaire. » Boulanger était pour une République autoritaire, contre les puissances de l’argent et de la finance. Le FN userait donc « d‘un copié-collé avec la rhétorique ultra-républicaine boulangiste de ces années-là. »

Les années 30 ne seraient donc qu’un étendard qu’on agite pour un ultime sursaut républicain ? Pour Grégoire Kauffmann, le FN serait une « sorte de vipère au sein de la République, donnant à comprendre ses mauvais génies. » Un sondage du Monde en novembre nous apprend qu’un tiers des sondés (32 %, soit 8 points de plus qu’en 2014) trouvent que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie », elle n’est donc pas  irremplaçable, ni immuable. Est-ce que nous nous rassurons en nous disons qu’ils ne sont « que » déçus des manquements démocratiques, qu’ils ne veulent pas réellement sa fin, « juste » l’améliorer ? Invoquer les tristes périodes de l’Histoire doit nous rappeler que rien n’est acquis sans pour autant tout obscurcir : les partis extrémistes restent dans la légalité sans appeler (jusqu’à maintenant) à la violence et n’ont pas été renforcés par l’exercice du pouvoir. Et contrairement aux années 30, l’Europe, aujourd’hui soixantenaire, est certes désunie mais pas en guerre.

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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