Depuis 1991 et la fin de la guerre froide exemplifiée par la chute de l’Union soviétique, les Etats-Unis semblent être l’unique superpuissance, ou « hyperpuissance » pour reprendre le terme formé par le Ministre des Affaires étrangères français Hubert Védrine en 1998. Ce concept englobe l’influence économique, militaire, sociale, politique, culturelle qu’à cet état sur le reste du monde, et c’est en cela que l’expression « gendarme du monde » prend tout son sens. Cependant, les années 2000 remettent en question cette vision toute puissante du géant américain, notamment après 2003 et le fiasco d’Iraqi Freedom.
Les livres se multiplient sur le sujet, avec notamment Après l’empire, essai sur la décomposition du système américain d’Emmanuel Todd (2002), et la plupart des médias évoquent la montée en puissance de la Chine, de l’Inde, ou de la Russie entre autres : le XXIe siècle serait-il celui du post-American world, pour reprendre l’expression de Fareed Zakaria ?
Sous nos yeux, l’ère de la Pax Americana semble être révolue. La fin du « siècle américain » décrite par Henry Luce en 1941 serait-elle enfin arrivée ? En réalité, il faut nuancer cette faiblesse américaine ; ce déclin est en effet très relatif.
Un débat neuf ? Pas vraiment non…
Comme le montre l’utilisation de l’expression « fin du siècle américain » mentionnée au dessus en 1941, le débat sur le déclin américain est loin d’être récent. Le politologue Samuel Huntington a d’ailleurs rédigé un article intitulé « The U.S. – Decline or Renewal » (« Les Etats-Unis – Déclin ou Renouveau ») publié dans la revue Foreign Affairs de l’hiver 1988-89 où il souligne que cette idée s’inscrit en fait dans une vague bien plus grande de déclinisme depuis les années 50. La crise qu’il décrit juste avant la fin de la guerre froide serait d’ailleurs la cinquième vague de ce cycle.
En 2012, Barack Obama a déclaré dans son discours sur l’état de l’Union : « Oui, le monde change. Non, nous ne pouvons contrôler tous les événements. Mais l’Amérique demeure la nation indispensable dans les affaires internationales ».
En effet, le monde change. La puissance américaine se doit de prendre en compte une multiplicité croissante d’acteurs nationaux, internationaux et transnationaux tout en continuant de faire converger ces derniers autours de ses intérêts par le biais de changements normatifs au niveau de l’architecture générale du système international.
Les conclusions sur la perte d’hégémonie américaine sont dues aux efforts pour endiguer le programme nucléaire iranien, à la menace nucléaire nord coréenne, à la croissante compétition avec la Chine, à l’incapacité de réagir au Moyen-Orient et en particulier en Syrie… Des situations où la perte d’autorité américaine se fait sentir qui ne cessent de se multiplier et de contribuer à détériorer les perceptions qu’en a l’opinion publique.
De plus, les Etats-Unis changent domestiquement également. Au niveau politique, l’Amérique de Bush voulait façonner un monde à son image, tandis qu’Obama a mené une « lead from behind strategy », avec notamment la « light foot print » pour les questions militaires. Moins d’agressivité, plus de multilatéralisme… On assiste aujourd’hui davantage à une puissance du status quo qui tente de maintenir son leadership plutôt que de l’étendre.
Au niveau social, les américains rejettent le messianisme de leur gouvernement, ce qui s’est notamment traduit par une « war fatigue » (une lassitude face aux guerres menées) et un regain d’intérêt envers la politique isolationniste, dans une certaine mesure, caractéristique de l’Amérique de la doctrine Monroe (1823).
L’empire américain est-il donc en déclin ?
L’empire américain semble voué au déclin si l’on suit la suite historique logique des précédents empires. C’est d’ailleurs l’historien Paul Kennedy qui a inventé le concept d’« overstretch » après la débâcle vietnamienne pour critiquer la sur-intervention militaire américaine et prédire sa chute. Mais la question du déclin américain implique de s’interroger sur la distribution de puissance au niveau global.
En réalité, il se trouve que les États-Unis se posent encore comme la première puissance dans quasiment tous les domaines, même si beaucoup évoquent la possibilité d’être très rapidement dépassés par la Chine.
Bien que la Chine partage des intérêts communs avec la grande puissance, sa militarisation croissante représente une menace pour l’équilibre de l’ordre mondial actuel. Quant à la Russie, le pragmatique revirement néo-slavophile de Poutine est un facteur déstabilisant de plus pour la suprématie américaine, capable de sérieusement compliquer ses intérêts.
Cependant, Yannick Quéau, directeur général du think tank Osintpol, explique que la suprématie militaire de l’Oncle Sam demeure bien supérieure : le budget de la défense reste bien protégé – encore davantage sous la présidence de Trump – et la décrue sur la période récente n’est pas vérifiable en dollars constants. De plus, les Etats-Unis modernisent leur arsenal, avec l’arrivée du B-21, un bombardier nucléaire furtif au long rayon d’action ou le destroyer antimissile DDG-1000 par exemple, qu’eux seuls sont en mesure de produire.
Cette idée est partagée par de nombreux intellectuels, comme par Robert Kagan qui consacre son dernier ouvrage The World America Made (2012) (« Le Monde qu’a créé l’Amérique ») à renier cette idée, de même que le célèbre analyste et théoricien des relations internationales Joseph Nye qui intitule son essai publié en 2015 Is the American century over ? (« Le siècle américain est-il fini ? »), question à laquelle il répond clairement : non.
Son explication est très simple : fondateur du concept de soft power (capacité à influencer et séduire d’autres états sans recours à la force), il explique que bien que certains Etats concurrencent les Etats-Unis, ils ne le font que dans un domaine particulier. Les USA restent le seul Etat à revendiquer le triptyque puissance économique, puissance militaire (hard power) et « culturelle » (soft power).
Beware
En somme tout, ce n’est pas parce qu’une idée semble dominer les médias qu’il faut la prendre au pied de la lettre – Trump et ses « alternative facts » n’en sont qu’une triste preuve. Prévoir le déclin d’une grande puissance n’est pas chose aisée. On se souvient notamment des nombreuses prédictions pour la fin de la Guerre froide, aucune desquelles ne prévoyaient une fin paisible (tandis que certains penchaient pour la confrontation militaire vers une « guerre chaude », d’autres pensaient que le conflit s’étendrait sur le long terme sans fin réelle).
Tellement de facteurs et acteurs sont à prendre en compte qu’aujourd’hui dire que les Etats-Unis sont sur le déclin n’est que partiellement vrai. En termes relatifs, oui (et encore, cela dépend en quoi exactement) ; en termes absolus, pas tellement. Finalement, il est possible que cette nouvelle phase dans le développement américain ne soit qu’un énième cycle auquel l’opinion publique croit en partie en raison du traitement des médias d’une part, et de l’incertitude de la présidence trumpiste d’autre part. Donnons-nous donc rendez-vous d’ici une dizaine d’années pour en tirer des conclusions moins spéculatives et plus appropriées.