Leila Alaoui voyageait à travers le monde pour aller à la rencontre des cultures et des histoires, que ce soient des jeunes Marocains qui rêvent d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée ou encore des réfugié.es d’origine syrienne qui ont voyagé jusqu’au Liban. Présente à Ouagadougou le 15 janvier 2016 lors de l’attaque menée par Al-Qaïda contre le restaurant où elle est attablée, elle est grièvement touchée et succombe à ses blessures trois jours après. Hommage.
Une vie engagée
La jeune photographe était à Ouagadougou dans le cadre d’un projet de documentaire commandé par Amnesty International sur les violences faites aux femmes en Afrique de l’Ouest, un projet à l’image de son parcours déjà bien rempli. Son observation du monde et la démarche critique qui en découlait la poussait toujours à explorer, à aller plus loin, tout en gardant l’humain au cœur de ses projets. La photographie, le documentaire et parfois la vidéo aussi, étaient ses moyens d’expression et de partage. Leila Alaoui avait pour but de montrer certaines réalités sociales à travers divers sujets tels que les migrations et les identités culturelles. Celle qui partageait sa vie entre Marrakech, Paris et Beyrouth s’inspirait de l’espace méditerranéen, toujours avec douceur, talent et sans aucune prétention.
No Pasara
Son premier projet “No Pasara” installe déjà à l’époque les fondations de son engagement humain et photographique. En effet, cette série de 24 images commandées par l’Union Européenne en 2008 alors qu’elle a seulement 26 ans montre une réalité déjà présente depuis bien longtemps au Maroc. Depuis les années 1960, ce sont plusieurs centaines de milliers de marocain·e·s qui essaient de traverser la mer Méditerranée en quête d’un avenir meilleur. À travers cette série d’images, la photographe montre la réalité de ces jeunes qui vivent au Maroc mais qui rêvent d’un ailleurs imaginé de l’autre côté de cette mer. En résultent des portraits profonds, en couleur et en noir et blanc, où l’on peut observer ces jeunes dans leurs quotidiens. Que ce soit au travail, dans la rue, face ou dos à la mer, que celle-ci soit réelle ou peinte, ces jeunes marocain.es nous transportent dans leurs espoirs à travers leurs regards profonds, tournés vers nous, ou en direction de cette vie imaginée. Nous pouvons notamment y remarquer les vêtements portés, entre maillots d’équipes de football et tee-shirts annotés de noms de pays comme la France, qui semblent être autant de symboles des lieux désirés. Ici, le temps semble être suspendu. Le Musée des Beaux-Arts de Montréal rend d’ailleurs hommage à la photographe à travers une exposition de cette série photographique jusqu’au 23 avril 2017.
Atreen (We are waiting)
En novembre 2013, Leila Alaoui se rend au Liban pour un autre projet commandité. Cette fois-ci, il s’agit pour la photographe d’y rejoindre des réfugié·e·s syrien·ne·s pour aller au-delà des chiffres sur l’immigration, qui ne cessent d’augmenter, et trouver les humains et leurs histoires. Après deux années de conflits en Syrie, les histoires sont justement multiples et complexes. Pour la photographe, l’important semble être de nous montrer la multiplicité de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants à travers son objectif. À l’image de son projet No Pasara, Leila Alaoui met des visages sur des nombres, avec des regards perçants qui nous observent et des scènes de ce que sont devenues leurs vies quotidiennes dans des camps au Liban. Nous pouvons aussi y voir des photos de familles et de lieux également devenus communs pour ces réfugié·e·s dans l’attente.
Les Marocains
Durant les semaines qui ont précédés son décès, sa série Les Marocains était exposée à la Maison Européenne de la Photographie (MEP) à Paris. Il s’agit d’une série d’images grandeur nature qui ont été réalisées dans un studio mobile qu’elle a transporté à travers le Maroc. Son inspiration ? Le photographe Robert Frank et sa série The Americans, portrait d’une Amérique après-guerre. Son but ? Réaliser des portraits de femmes et d’hommes qui appartiennent à différents groupes ethniques avec sa subjectivité assumée, étant elle-même Franco-Marocaine, tout en étant proche et distanciée. Plus encore, elle souhaite déconstruire le regard orientaliste généralement porté sur le Maroc par l’Occident. Sur le site de la MEP, elle a laissé le témoignage suivant :
« Les photographes utilisent souvent le Maroc comme cadre pour photographier des Occidentaux, dès lors qu’ils souhaitent donner une impression de glamour, en reléguant la population locale dans une image de rusticité et de folklore et en perpétuant de ce fait le regard condescendant de l’orientaliste. Il s’agissait pour moi de contrebalancer ce regard en adoptant pour mes portraits des techniques de studio analogues à celles de photographes tels que Richard Avedon dans sa série “In the American West”, qui montrent des sujets farouchement autonomes et d’une grande élégance, tout en mettant à jour la fierté et la dignité innées de chaque individu. »
Merci pour tout Leila.
*Pour en (sa)voir davantage : https://www.leilaalaoui.com/