Troisième visite pour Maze au Mondial du tatouage, et cette année, on s’est tout particulièrement concentré•e•s sur les tatoueuses. Elles ne représentent que 20 % des artistes tatoueurs, mais leur nombre croit chaque année. Nous avons rencontré d’eux d’entre elles pour les interroger sur leur pratique artistique, mais aussi sur ce que c’était d’être une femme dans ce milieu.
Kim Ai
Pourquoi être tatoueuse ?
Parce que j’aime les tatouages (rires). J’ai toujours aimé le tatouage, j’ai toujours aimé le dessin, j’ai découvert ça sur le tard, mais petit à petit c’est un peu devenu une évidence. J’ai toujours dessiné, et été très attirée par le monde de l’animation, la bande dessiné… A la base je n’aurais jamais pensé être tatoueuse en fait, ça fait pas très longtemps que j’ai découvert ça. C’était vraiment une attirance pour le dessin et après ça tombait sous le sens vu que j’aimais les tatouages – j’en voulais quand j’étais gamine – voilà, la vie, quoi !
En tant que Femme dans un milieu majoritairement masculin, avez-vous déjà senti une différence de traitement ?
Non. A l’époque ça devait être un problème, avec que des mecs, il fallait supporter… Et être crédible ça devait être difficile. Aujourd’hui on n’a aucun problème. Moi perso je travaille quasiment qu’avec des gars, et les mecs sont mêmes plutôt sympas avec nous. J’ai jamais eu de souci, et s’il y a bien un milieu où justement on en a rien à foutre si t’es une meuf ou un mec c’est bien dans le tatouage. Les filles ont autant leur place que les mecs. On propose un travail différent. Généralement quand tu vois des tatouages réalisés par une nana ça se voit et c’est intéressant d’avoir deux approches totalement différentes.
Pensez-vous qu’il existe un art du tatouage féminin ?
Non, pas un art, parce que de toute façon il y a tous les styles. Chacun a sa personnalité, son genre… mais oui, les filles ont tendance à faire des choses plus fines. Après, les artistes que je préfère sont masculins et c’est pas pour ça qu’ils font des trucs.. Non mais en fait il y a beaucoup de filles que j’aime aussi (rires).
C’est vrai que souvent on se dit : « ah ça c’est une nana qui l’a fait ». Il y a quand même une sensibilité qui est différente chez une femme que chez un homme. Je le vois, je fais des trucs mangas et quand moi j’en fais et quand un mec fait du manga c’est différent, on voit qu’on a pas du tout les mêmes influences, les mêmes délires, ni les mêmes références, je lis pas les mêmes choses qu’un mec par exemple.
Les mecs ont aussi tendance à ne pas savoir dessiner les filles dans le manga, ils font toujours des seins débiles – c’est absurde. Une fille qui va dessiner du manga, elle va leur faire une vraie silhouette. On voit que c’est des nanas et qu’elles font attention à l’anatomie féminine, alors qu’un mec, faut plus que ça claque. Dans le manga ça se voit vachement.
Comment s’est fait la transition du dessin sur papier au tatouage sur la peau ?
C’est une technique différente : c’est comme si tu passais de la peinture au crayon de couleur : ça n’a rien à voir ! Toi tu viens avec l’impression que tu sais dessiner et que ça va le faire, mais non ! En fait, il faut tout réapprendre, il faut aussi revoir sa façon de dessiner parce que tout n’est pas adaptable en tattoo, tout ne va pas bien vieillir. C’est surtout ça qui est hyper important dans le tatouage et qui est dur, c’est de se dire : « Merde, voila cette illustration est parfaite, mais pas pour le tatouage ». Faut savoir faire la différence entre « ça je vais en faire une peinture, et ça un tatouage ». Parce que sur le moment c’est beau mais 10 ans après c’est illisible. J’essaie de faire attention à ça.
Quelle est votre clientèle ?
Majoritairement des nanas. Après moi ça ne fait pas très longtemps – 1 an – que j’essaie de lancer un peu un style, et ça ne fait que 3 ans que je tatoue. Sans le vouloir, je me suis tournée vers le kawaii ; au départ je me voyais plus faire du japonais traditionnel, des trucs assez obscurs, un peu dark… Mais les choses se sont faites naturellement et j’ai eu une clientèle tellement réceptive… Mes clientes sont tellement cool, forcément du coup t’es hyper détente. J’aimerais bien développer ça chez les gars mais pour ça il va falloir du manga classique. A Montpellier les gens sont moins réceptifs, c’est pour ça que j’essaie de bouger dans le nord pour les conventions. Dans le nord ils sont vachement plus détendus vis-à-vis de ça, ils se prennent pas la tête. Même si c’est pas “esthétique”, c’est du pur délire. En tout cas, je suis en pleine découverte et je fais que kiffer.
C’est votre premier mondial ?
C’est mon premier mondial, c’est intense, j’avais commencé à chopper le rythme des conventions et ici c’est vraiment un level au dessus : les gens, le passage, l’énergie… Toute la journée j’entends des petits cris : « oh mon dieu c’est trop mignon »… Je suis en train de tatouer, j’écoute et du coup je vois un peu ce qui plaît. J’ai tatoué une dizaine de personnes depuis le début du mondial. A Montpellier je fais des grosses pièces, des manchettes ; ici que des petites pièces, pour contenter tout le monde.
Emilie B.
Pourquoi être tatoueuse ?
J’ai toujours dessiné, je voulais un truc dans l’art mais trouver un métier dans lequel on dessine c’est super chaud. Et puis je me suis rapprochée un peu de l’univers rock’n’roll, métal, dont le tatouage fait partie et ça m’a beaucoup plu.
Vous avez donc commencé par le dessin ; le passage a une autre technique a-t-il été difficile ?
Je n’ai pas eu beaucoup de mal. Le plus dur c’est de trouver un apprentissage, en fait. J’ai pas galéré de fou – j’ai eu très peur, je me souviens que j’avais très très peur au début. Après je ne vais pas mentir, il faut tout réapprendre, mais si on suit les conseils des gens et qu’on s’applique… Je mettais 150 ans pour faire un tatouage, mais je m’appliquais, et j’y arrivais.
Vous séparez donc vraiment le tatouage et le dessin ?
Complètement ! C’est vrai que j’ai du mal à prendre autant de plaisir à dessiner qu’avant. Je sais qu’il y a plein de tatoueurs pour qui c’est pas du tout le cas, mais moi j’aime tellement la peau que j’ai du mal à dessiner. Je m’ennuie assez vite, en fait. Il faudrait que j’essaye de faire d’autres trucs, comme de la peinture, mais honnêtement on est toujours sur la route, et pour l’instant j’ai pas le temps pour essayer de nouvelles choses. Bizarrement, pour l’aquarelle, je suis vachement plus douée en tatouage qu’en aquarelle réelle. L’aquarelle va où elle veut alors que là c’est moi qui décide ; ça m’arrange, en fait (rires).
Comment élaborez-vous votre style ?
J’aime bien mélanger pas mal de choses, même si j’ai quand même une base un peu geek. J’essaye de mettre des choses très douces avec des choses très carrées, très dures, très abruptes pour avoir plusieurs types de lectures du tatouage. J’essaye de m’amuser. Il y a deux ans, je faisais de la gravure ; il n’y avait pas une touche de couleur dans mes tatouages.
Étant une femme dans ce milieu majoritairement masculin, ressentez-vous des différences de traitement ?
Les clients ça pose pas trop de problème, même si ça dépend de la région où on est. Je travaille dans le sud, c’est un peu particulier, mais sinon niveau clients, ça va, généralement. Pour trouver de l’apprentissage quand on est une femme, je trouve que c’est plus dur, par contre une fois qu’on est tatoueuse, pour trouver une place en salon, je trouve ça plus simple. C’est quand même un milieu macho, même si ça s’est beaucoup beaucoup amélioré…
Aussi, une fois qu’on est tatoueuse, il paraît qu’on fait moins peur au client. Les tatoueuses sont soi-disant plus sympa, plus avenantes – alors que c’est pas forcément vrai. Ça fait moins flipper le client, donc dans les salons ils aiment bien avoir des filles. Mais encore une fois, ça dépend. On nous reproche quand même souvent d’être une femme. Après c’est comme dans tous les métiers, je pense, les réflexions sexistes… dès que c’est à la base un métier d’homme… Mais ça reste beaucoup moins présent, et puis nous on évolue quand même dans le tatouage assez spécialisé, donc on travaille chez des gens qui font vraiment ce qu’ils aiment et qui n’ont pas forcément la même mentalité.
Vous avez évoqué vos clients dans le Sud…
Le sud-est, c’est très bling-bling, très “j’te prends de haut”. On ne travaille pas forcément avec de la clientèle locale, non plus : vu qu’on fait du très spécifique et qu’on ne prend pas du tout-venant, on s’éclate et il y a aucun problème. Mais c’est vrai que… enfin j’ai déjà eu des clients qui m’ont donné des régimes, par exemple. Il y a des cons partout. Il a des clients qui font ça parce qu’ils sont intéressés, d’autres qui font ça parce que c’est cool, à la mode : ils viennent, ils te payent et tu leur appartiens. Alors qu’on est des humains qui aiment se faire respecter et respecter les gens ! Mais ça ne nous arrive plus, maintenant. Des trucs sexistes comme ça, j’en ai un bon paquet, mais c’est dans la société en général…
Quelle est votre clientèle ?
Maintenant, j’ai plus de mecs qu’avant. Pendant très longtemps, j’ai tatoué que des femmes, je ne sais pas pourquoi. Avant je faisais de la gravure, ça passait mieux que ça. Je vois quand même pas mal de femmes. Je pense qu’il y a quand même une réappropriation du corps qui se passe. J’ai beaucoup de femmes d’un certain âge qui viennent et qui me disent “c’est bon, maintenant que j’ai plus mon mari, je fais ce que je veux, je me fais plaisir, je me lâche”. C’est plutôt cool. Moi ça me fait plaisir, parce que quand j’ai des femmes qui viennent se renseigner et qu’elles disent “je vais demander à mon mari”, ça me fait grincer des dents. Je peux rien dire parce que c’est pas mon problème ; c’est sa vie, elle fait ses choix, mais… j’ai toujours une petite réflexion quand même parce que j’ai trop de mal à prendre sur moi – genre “oui, enfin est-ce que ton mec il te demanderait ton avis ?”. Non, je ne pense pas. Petit côté serrage de dents.
Y a -t-il des codes physiques à adopter dans ce milieu ?
Dans les magazines tatouages, des filles grosses et tatouées, il n’y en a pas trop… alors que des tatoueurs, on ne demande pas forcément qu’ils soient flamboyants. Les filles, en général, ils te prennent pas trop en photo… Moi ça m’est déjà arrivé par exemple de me faire photographier pour mon bras et d’entendre : “tu peux décaler un peu ton bras de ton corps s’il te plaît ?” . Ouais, merci, c’est sympa… Tu me coupes sur Photoshop mais tu me dis pas ça, quoi. Encore une fois ça ne concerne pas tout le monde, mais ça fait plus vendre une fille qui est avec les cheveux rouges et des gros seins qu’une fille normale qui s’en fiche. Enfin pas à ce point, mais moi je suis là pour tatouer, je suis pas modèle photo, je vends pas mon image… moi ce qui m’importe, c’est d’avoir de beaux tatouages. Si j’étais belle, ce serait un plus, je dénigre pas du tout ça. On peut être belle, tatoueuse et talentueuse, c’est pas un souci. Mais pour moi, ça devrait pas être un critère de sélection de présentation de tatoueuse. De toute façon il n’y a qu’à regarder les émissions : sur dix bonnes tatoueuses, il y en a une qui est un peu plus banale, on va dire. Alors qu’un mec, on va moins lui demander. Il y a toujours le tatoueur beau gosse, mais c’est moins présent je trouve.
Et effectivement, au gré de nos déambulations dans cette septième édition du Mondial du tatouage, ce sont très largement de jolies filles lourdement maquillées et aux poses sexy que nous rencontrons sur les publicités et les couvertures de magazines…
Nul doute en tout cas que leur art coloré et inspiré les mènera loin, bien loin des préjugés sexistes qui peuvent encore faire obstacle à la création féminine dans ce milieu. Un grand merci à elles pour leur gentillesse et leur humour, et, nous l’espérons, à très bientôt dans d’autres conventions de tatouages aussi renommées et populaires que ce Mondial 2017 !