STYLE

Mondial du tatouage – À la rencontre de la grande famille des tatoués

Tin-Tin, le président du Syndicat National des Artistes Tatoueurs et artiste très reconnu, vous le dira lui-même : le tatouage éprouve de grandes difficultés à se faire reconnaître pleinement  comme un art – le dixième, pour être précis. Pourtant, il s’agit bien de réalisations graphiques tout aussi valables qu’une peinture ou une planche de bande dessinée. Seulement ici, le support est le corps d’un autre, qui devient alors tout à la fois spectateur et toile. Pour cette septième édition du Mondial du tatouage à La Villette, nous avons donc donné la parole à cette entité non moins importante que la main de l’artiste : les tatoués eux-mêmes.

Photo : Marie Puzenat

Marion – Photo : Marie Puzenat

S’intéresser aux artistes, d’abord à travers leur style

Avec le développement de plus en plus connecté de la société, et les tatoueurs qui suivent le mouvement en démultipliant leur présence sur les plateformes, il devient relativement aisé de suivre le parcours de l’un d’eux, l’évolution d’un salon ou l’actualité des conventions. Dylan, 22 ans, suit ainsi “une dizaine de tatoueurs sur Instagram” tout comme Adrien, qui est même prompt à en recommander quelques uns, présents pour la plupart sur le Mondial. “Il faut que t’ailles voir Ivana, elle fait des trucs géniaux. Son stand c’est le 977, ça s’appelle Tattoo Art”. Il conseille aussi Mikki Bold et Sad Amish, dont il connaît si bien le pseudo Instagram qu’il vérifie si on l’a bien noté correctement pour pouvoir le retrouver.

Adrien – Photo : Emma Henning

À une ou deux générations au-dessus, s’il leur arrive de regarder un peu les émissions de télé-réalité américaines comme LA Ink qui suit la vie quotidienne de Kat Von D ou Ink Master, les tatoués se concentrent surtout sur la quête du bon tatoueur pour réaliser leur prochaine pièce. Et concernant ce choix, justement, y a-t-il un profil de tatoueur à qui ils s’adressent exclusivement ?

“Pas du tout !” est la réponse que l’on entend le plus souvent. Et lorsqu’on les interroge sur des préjugés d’âge ou de sexe concernant le tatoueur et ce que cela pourrait avoir comme effets sur la qualité du tatouage, tous répondent que ce qui compte avant tout est le style. “Il faut reconnaître la personne par rapport au travail qu’elle fait”, explique Dylan. “On reconnaît l’art. On va vers la personne par rapport à ce qu’elle fait”. L’attention est beaucoup plus portée sur le book, qui contient toutes les photos du travail de l’artiste, que sur l’apparence du tatoueur lui-même.

C’est aussi le cas de Bernard, qui, une fois qu’il a une idée en tête, part à la recherche d’un tatoueur “capable de réaliser” ce qu’il veut. Il tire alors son portable de sa poche et nous montre une photo de tête de loup en haute définition. “Je veux la même chose exactement”. Et en effet, il a passé une partie de son week-end à consulter tatoueurs et tatoueuses à la recherche de celui qui pourra satisfaire son envie – à chercher du côté des tatoueurs hyperréalistes, peut-être ? Parce qu’il ne veut pas, évidemment, d’une “caricature”, et déclare refuser toute fantaisie qu’il n’aurait pas demandée.

Un impressionnant tatouage traditionnel japonais – Photo : Emma Henning

 

Reconnaître et encourager l’enjeu artistique

Véronique, elle, se dit “prête à [s]’ouvrir à la création”, il est question de faire “confiance à l’artiste” pour qui on a eu un coup de cœur. Ainsi, si Dylan s’est présenté à Sake, venu d’Athènes, pour la tête d’éléphant qu’il arbore désormais fièrement sur son bras, c’est d’abord parce qu’il connaissait son style précis en noir et blanc. Il explique brièvement le mode opératoire : “Je lui ai envoyé des photos de tatouages que j’aimais bien, des formes géométriques, je lui ai dit que je voulais une tête d’éléphant et il m’a fait une création ensuite.” Il ajoute : “c’est important de laisser le tatoueur faire comme il veut. Là il m’a rajouté un petit paysage et ça m’a plu, c’est son style !”

Le tatouage fraîchement encré de Dylan – Photo : Marie Puzenat

Et une fois le tatoueur trouvé sur internet, et la discussion entamée via les réseaux sociaux, certains sont prêts à aller très loin pour faire réaliser la pièce de leurs rêves. Heureusement, s’il existe un lieu dédié aux rencontres entre tatoueurs et tatoués venus du monde entier, ce sont bien les conventions ! Si Dylan est venu spécialement d’Evian avec un ami, Adrien n’a pas hésité à se rendre à une convention de Londres pour retrouver celui qui le tatoue désormais depuis quatre ans :

Photo : Emma Henning

Ael Lim. Son style très graphique se retrouve ainsi en trois tatouages sur son bras droit, et un petit dernier réalisé peu de temps après notre entretien.

Photo : Emma Henning

 

 

 

 

 

 

 

 

Au fil de ces rendez-vous, se rendant compte que le tatoueur singapourien aurait bien eu besoin d’un traducteur rôdé en français dans ce genre d’événements grand public, il lui a proposé ses services et l’a, depuis, accompagné plusieurs fois pour l’aider à tenir son stand et à vendre ses produits dérivés.

Adrien en train de se faire tatouer par Ael Lim pour la quatrième fois ! Photo : Emma Henning

 

Pourquoi un tatouage ?

Si ces tatoués s’impliquent autant, c’est parce que ce qu’ils considèrent tous, sans exception, comme un art a une signification importante pour eux. Véronique et Bernard ont ainsi attendu “plus de quarante ans” pour s’autoriser leur premier tatouage, il y a dix ans, quand la pratique a vraiment commencé à se démocratiser. Ils ont toujours trouvé ça joli, mais c’est surtout “aujourd’hui [que] c’est ouvert”. Dans leurs milieux professionnels, ils n’ont jamais été contraints de les dissimuler ou même de s’en abstenir, mais c’est d’eux-mêmes qu’ils se limitent, et évitent des choses trop voyantes qui pourraient rebuter leurs interlocuteurs. Véronique est éducatrice spécialisée et Bernard gendarme, ce qui implique selon eux un minimum de tenue.

Les tatouages de Bernard et Dominique – Photo : Marie Puzenat

“55 % des français considèrent le tatouage comme un art.”

Mais s’ils ont tout deux attendu aussi longtemps pour leur premier tatouage, c’est surtout à cause de sa longévité : “ce qui me freinait, c’était la peur de regretter ce que j’allais faire”, explique Véronique. “On a envie de marquer certains points de notre vie, qu’on s’approprie. Si c’est une raison que beaucoup évoquent, une chose est sure : il existe autant de raisons de laisser à vie une trace sur sa peau que de tatoués. Par exemple, pour Dylan, la symbolique n’est pas si importante : “Au début je pensais qu’il fallait une signification, mais pour celui-là il n’y en a pas vraiment. Je savais juste que je voulais un éléphant quelque part”. “Mon premier tatouage est corse, parce que je suis corse et que je voulais quelque chose que j’étais sûr de ne pas regretter, mais je pense que si on a un coup de coeur, un truc qui nous plaît vraiment bien, il n’y a pas de souci”.

Photo : Marie Puzenat

Photo : Marie Puzenat

 

 

 

 

 

 

 

 

La tatoueuse Asenet Ramirez, Corazon loco, Barcelone – Photo : Marie Puzenat

La reconnaissance n’est pas loin

D’édition en édition, la bienveillance ambiante reste inchangée : que l’on soit tatoué ou pas, en famille ou seul, exhubérant ou discret, tout le monde est accueilli à bras ouverts et le Mondial est un lieu propice aux rencontres et au partage. Si encore aujourd’hui, à l’extérieur, le tatouage est souvent exposé à des regards réprobateurs, les choses changent doucement mais surement. La première raison, et celle dont Tin-Tin est très fier, est que 55 % des français considèrent le tatouage comme un art. L’autre est que la grande famille des tatoués s’agrandie et se diversifie de jour en jour, comme le montre si bien les témoignages recueillis. Cet art, dont il nous reste encore tout à connaitre a encore de beaux jours devant lui.

Aime la culture, TOUTE la culture, et l'anonymat. Pas facile d'en faire une biographie, dans ce cas. Rédactrice et Secrétaire de Rédaction pour Maze. Bonne lecture !

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